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Fin du contenu pornographique sur OnlyFans : entre hypocrisie et croisade morale
Grosse nouvelle du côté du web jeudi après-midi : Bloomberg a annoncé que la plateforme OnlyFans comptait « bannir les contenus présentant des comportements sexuellement explicites » dès le mois d’octobre, le tout pour répondre aux demandes de plusieurs de ses partenaires d’affaires. Depuis, les différentes réactions pleuvent tandis que les réseaux sociaux et les médias traditionnels tentent de faire la lumière sur la nouvelle, qui comporte encore quelques angles morts.
Mais tout d’abord, petite mise en contexte.
OnlyQuoi ?
Créée en 2016, la plateforme virtuelle britannique OnlyFans est un service d’abonnement où sont offerts, moyennant un montant X, des accès à du contenu vidéo et photo exclusif, en grande partie à caractère pornographique. Les créateurs et les créatrices peuvent ainsi monétiser leur contenu grâce aux abonnements des utilisateurs et utilisatrices de la plateforme.
Si le service est populaire auprès des travailleurs et travailleuses du sexe, on y retrouve également des coachs et autres professionnels du fitness, des nutritionnistes, des musicien.ne.s et des artistes en tout genre, qui publient régulièrement en ligne.
À ce jour, OnlyFans compte environ 130 millions d’adeptes, dont une grande proportion paie pour des abonnements mensuels à des pages proposant du contenu pour adultes. Si la plateforme existe depuis un peu plus de 5 ans, sa popularité a littéralement explosé avec la pandémie en mars 2020.
Une décision hypocrite
« que la plateforme se retourne contre ceux et celles à qui elle doit son succès, c’est extrêmement violent »
« Afin d’assurer la viabilité à long terme de la plateforme, et de continuer à accueillir une communauté inclusive de créateurs et créatrices, ainsi que de fans, nous devons faire évoluer nos directives en matière de contenu, déclarait tout récemment un porte-parole d’OnlyFans, en ajoutant par voie de communiqué que la nudité demeurera permise, à condition qu’elle ne contrevienne pas aux politiques d’utilisation de la plateforme. »
On a eu envie d’en discuter avec Mélodie Nelson, autrice, militante pour les droits des travailleur.euse.s du sexe et cofondatrice de Nouvelles Intimes, une plateforme web qui aborde les enjeux en lien avec l’industrie et le travail du sexe.
« Au départ, je refusais d’y croire, révèle d’emblée Mélodie Nelson. « Il faut se rappeler qu’en effet, OnlyFans n’a jamais seulement été une plateforme de vidéos érotiques, mais elle s’est construite et doit sa popularité au contenu des performeurs et performeuses érotiques. Donc que la plateforme se retourne contre ceux et celles à qui elle doit son succès, c’est extrêmement violent », lance celle qui a elle-même été travailleuse du sexe pendant plusieurs années.
« Les nouvelles politiques d’OnlyFans coupent non seulement un moyen de diffusion et une source de revenus, mais surtout, une façon de pratiquer une profession de manière sécuritaire »
Du côté des créatrices de contenu érotique, un flou persiste. « Pour le moment, on n’a pas reçu d’avis officiel comme quoi il y avait un changement de politique, raconte Sita Payette, qui a lancé sa page OnlyFans en mars 2020, dès le début de la pandémie. Personnellement, le contenu que je crée et diffuse n’est pas pornographique à proprement parler. Il est plutôt de nature érotique et sensuel, donc je crois comprendre que ça ne changera rien pour moi. Mais je pense beaucoup à mes collègues qui vont être affectées de manière très concrète dans leur travail », ajoute la jeune femme de 24 ans au bout du fil.
À l’instar de Sita Payette, Mélodie Nelson se sent tout aussi préoccupée par les personnes qui diffusent du contenu à caractère pornographique, qui perdront une plateforme de diffusion et, incidemment, une source de revenus importante. « Depuis ce matin, je n’arrête pas de penser aux personnes qui se sont tournées vers le travail du sexe virtuel depuis le début de la pandémie, et qui s’y sentaient en sécurité, affirme Mélodie Nelson, manifestement ébranlée de parler à l’imparfait. Les nouvelles politiques d’OnlyFans coupent non seulement un moyen de diffusion et une source de revenus, mais surtout, une façon de pratiquer une profession de manière sécuritaire. »
Une croisade morale
Quand on la questionne sur les raisons qui sous-tendent cette décision, Mélodie Nelson est sans équivoque : il s’agit d’une véritable croisade morale.
« Ce matin, j’ai lu un tweet de Jeff Yates, qui est journaliste à Radio-Canada, et qui dépeignait la décision de OnlyFans comme une conséquence de la controverse entourant Pornhub, il y a quelques mois, explique Mélodie. Pour moi, c’est clair que des campagnes de peur et de panique morale comme celles menées par des groupes comme Exodus Cry entraînent des restrictions comme celles annoncées par OnlyFans hier. Ça fait partie d’un tout. »
On se rappelle que Exodus Cry est une organisation religieuse qui cherche à abolir l’industrie du sexe dans son ensemble : le travail du sexe et le trafic sexuel illégal, mais aussi le travail du sexe légal, donc la pornographie en général ou les clubs de strip-tease. En décembre 2020, Pornhub avait subi des pressions énormes afin de retirer de nombreuses vidéos de sa plateforme, suite à la parution de l’article choc du New York Times « The Children of Pornhub ». Les entreprises de cartes de crédit Visa et Mastercard s’étaient d’ailleurs retirées des moyens de paiements permis pour effectuer des transactions sur le site américain de contenu pour adultes.
« La décision de OnlyFans s’inscrit dans un contexte plus large, qui a de grandes ramifications […] afin, encore une fois, de contrôler le corps des femmes »
« Le problème ne vient absolument pas du fait que [des groupes comme Exodus Cry] critiquent ouvertement le modèle d’affaires hautement discutable du site [Pornhub] et exige le retrait de matériels d’abus sexuels, de vidéos non consentantes, piratées ou volées. C’est d’ailleurs ce que les victimes et les travailleuses du sexe demandent depuis des années. Le problème, c’est l’idéologie d’Exodus Cry et le but ultime que ses leaders visent avec Traffickinghub. À savoir : la fermeture définitive de Pornhub. Portée par un slogan : “Shut. It. Down.” », peut-on lire sur le site Nouvelles Intimes, dans un texte signé Natalia Wysocka.
« La décision de OnlyFans s’inscrit dans un contexte plus large, qui a de grandes ramifications, et qu’on peut attribuer à des groupes qui font pression afin, encore une fois, de contrôler le corps des femmes, déplore l’autrice et militante. C’est dans ce sens-là que je dis qu’il s’agit d’une croisade morale et la nouvelle qui nous intéresse aujourd’hui n’en est qu’une manifestation de plus. »
Mélodie Nelson, qui précise que ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’un site qui fait la promotion de contenu pour adultes se retourne contre ceux et celles qui en ont fait le succès, croit en la résilience des travailleurs et des travailleuses du sexe. « Je suis sûre qu’ils et elles sauront se renouveler, se réinventer comme ils et elles l’ont toujours fait, depuis la nuit des temps. Ils et elles vont continuer de trouver de nouveaux modèles d’affaires et d’engagement. J’ai confiance. »