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Festival de grises mines à Boston
Au moment d’écrire ces lignes, je suis étendu dans un van stationné dans un parc au cœur d’un quartier branché de Boston. Il est 5 heures du matin. L’Associated Press vient de déclarer Donald Trump vainqueur. J’ai passé les cinq derniers jours dans l’État pivot de la Pennsylvanie pour prendre le pouls direct sur le terrain, mais je souhaitais terminer mon périple dans la ville du Tea Party pour le soir de l’élection. Pour éprouver un certain sentiment de sécurité, I guess.
J’ai vécu chaque minute de la soirée convaincu que j’assistais à un moment historique.
Mais à l’aube, en allant me coucher, l’ambiance est loin d’être à la fête dans les bars de la ville. L’espoir de nombreux Bostoniens et Bostoniennes cède plutôt la place à un lendemain de veille faisant écho à 2016.
Compte rendu des dernières heures de cette élection qui passera sûrement à l’histoire.
Quatre heures avant la fermeture des bureaux de vote
Le centre-ville est plutôt calme. On constate toutefois une présence policière accrue.
Selon une liste électorale trouvée en ligne, je me rends vers un premier bureau de vote. Pas un chat. Littéralement personne.
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Bon. Essayons ailleurs.
En se rapprochant du nord de la ville, on passe par hasard devant un autre bureau de vote. Des escouades de police rôdent autour, scrutant chaque piéton qui passe. Le bureau semble lui aussi assez calme, mais j’aperçois à l’extérieur un duo d’étudiants qui font un reportage sur la journée électorale.
Des collègues ! Allons leur parler.
– Êtes-vous ici depuis longtemps ?
– Depuis quelques heures déjà. Quand les gens auront fini de travailler, il y aura de longues files.
Les deux aimeraient devenir journalistes. En leur parlant un peu, je sens qu’ils souhaiteraient être ailleurs.
Ce dégoût des élections, je l’ai sentie pas mal partout où j’allais.
Je pense notamment à cette dame à Pittsburgh qui, après avoir appris la raison de mon voyage, m’a dit qu’elle n’a jamais vu des élections avec autant de haine. Peu importe le camp. Selon son témoignage, plusieurs avaient hâte que ça finisse.
Parlant d’en finir, je décide d’abandonner ma quête de bureaux de vote. J’ai soif, et j’ai l’impression que j’aurai de meilleures conversations dans un bar où le « match » sera diffusé.
Trop tôt pour quoi que ce soit
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Je débute la soirée dans le bar d’une école d’études internationales. Plusieurs étudiants s’y sont rassemblés pour boire et discuter. Personne ne regarde les nombreux écrans. Après tout, il est encore tôt, mais Trump a déjà de l’avance.
Plus les résultats entrent, plus les voix se taisent. Mon regard ne peut lâcher l’écran. J’attends juste que les votes de la Pennsylvanie commencent à être dépouillés. L’animateur de CNN analyse les sièges au Sénat.
– C’est ça qui m’intéresse. me lance le barman, un homme dans la cinquantaine.
Celui-ci n’a pas l’air au top de sa santé, tout en sueur, déjà brûlé par son taf.
– Pourquoi ?
– J’ai été au Madison Square quand Trump a fait son rallye. Je ne vote pas pour lui, mais j’ai compris qu’il était en pleine forme, à ce moment-là. Ce soir, l’important, c’est le Sénat.
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La veille, j’ai assisté à l’un des derniers rassemblements républicains à Reading, dans l’État de la Pennsylvanie. J’aurais de quoi faire un article complet sur le sujet avec tout ce que j’y ai vu et entendu. Mais ce que j’ai compris, c’est qu’au-delà des discours auxquels on est habitué, le clan Trump a insisté auprès de sa base électorale pour qu’ils se rendent aux bureaux de vote. « Swamp the vote so it can’t be rigged » était la phrase à l’honneur.
Le bar se vide tranquillement, il est temps d’aller ailleurs.
Cultiver l’espoir, mais bon
Grâce à quelques ficelles bien tirées, je réussis à trouver une soirée où sont rassemblés de jeunes démocrates.
Mes attentes sont élevées.
En arrivant audit lieu, c’est plutôt un festival de mines basses qui m’accueille.
C’est à peine si les serveurs nous remarquent, le regard rivé sur les écrans, souhaitant du fond de leur âme que Harris conserve son avance dans l’État clé de la Pennsylvanie.
La veille, lors du dernier rassemblement de Harris, une autre dame, celle-ci de Philadelphie, m’avait partagé sa certitude que la vice-présidente allait l’emporter et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. L’immense foule qui s’était rassemblée pour l’événement semblait d’ailleurs lui donner raison.
Philip, un jeune Bostonien dans la trentaine, vient nous parler. Il est dans le déni face aux résultats et répond très brièvement à mes questions sur l’élection. Le déni est peut-être effectivement la meilleure arme qui leur reste.
Les fêtards commencent à remplir leurs contenants Tupperware avec les restes du buffet. Pourtant, c’est encore serré, mais certains se réconfortent avec le fait que le Massachusetts soit resté bleu. Faut saisir les victoires quand elles passent.
Un petit souvenir
J’avais beaucoup d’attentes avant de prendre la route en direction des États-Unis. J’espérais vivre des événements qui allaient marquer l’histoire.
C’est peut-être un peu ce qui est arrivé, mais avec une drôle impression de déjà-vu.
Sur le chemin du retour, Boston est très calme, voire déserte. J’aperçois deux policiers suivant les résultats sur leur téléphone en « gardant » l’entrée d’un (autre) bâtiment fédéral. Deux automobilistes s’engueulent à coups de klaxon à une intersection. La vie continue.
Je baisse le regard et trouve par hasard un autocollant « I voted ».
Je n’ai pas voté, mais je foulais le sol américain à un moment clé et je serai curieux de revenir dans 2 ou 3 ans pour voir ce qui a changé (ou pas).
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