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Femmes condamnées à mort : une réalité invisible

Par
Audrey Parmentier
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Dans le monde, au moins 500 femmes se trouvent actuellement dans les couloirs de la mort. Souvent, elles sont victimes des schémas arbitraires et discriminatoires dans l’application de la peine de mort.

Invisibles, marginalisées et presque oubliées. Parmi les 483 personnes qui ont été exécutées en 2020, seize étaient des femmes. Amnesty International et le Cornell Center on the Death Penalty Worldwide tiennent les comptes : elles représentent moins de 5% de la population mondiale dans les couloirs de la mort. «Aux Etats-Unis, 51 femmes sont actuellement condamnées à la peine capitale», expose Anne Denis, responsable de la commission Abolition de la peine de mort d’Amnesty International. Depuis 1977 – date à laquelle la peine de mort aux Etats-Unis revient en vigueur – on compte 17 femmes exécutées sur 1 534 exécutions. Ailleurs dans le monde, il est difficile d’avoir une estimation précise, les chiffres étant flous en Chine ou en Arabie saoudite. Aussi, certains pays refusent d’appliquer la peine de mort aux femmes. C’est le cas de la Biélorussie, du Tadjikistan et du Zimbabwe.

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Les données restent incomplètes mais il existe un grand différentiel entre le nombre d’hommes condamnés à mort et celui des femmes. Un écart qui s’explique par différents facteurs selon Simon Grivet, historien des Etats-Unis et spécialiste de la peine de mort. Il s’appuie sur le cas du pays d’Amérique du Nord : «Aux Etats-Unis, environ 99 % des meurtres sont commis par des hommes. Ensuite, lorsqu’elles sont reconnues coupables d’avoir tué quelqu’un, il existe souvent des circonstances atténuantes. Les gouverneurs préfèrent commuer ces peines de mort.» Mais ce n’est pas toujours le cas. En décembre 2020, Lisa Montgomery est la première femme à être exécutée par le gouvernement fédéral en près de 70 ans. Alors qu’elle souffre de troubles mentaux, l’administration Trump décide de mettre son nom sur la liste des prisonniers à exécuter.

Des femmes qui ont subi des abus et des violences

Très souvent, le contexte dans lequel ont été commis les crimes n’est pas pris en compte. La peine capitale étant l’aboutissement de multiples violations des droits humains découlant de discriminations. « Les femmes condamnées à mort ont souvent subi des abus et des violences qui reposent sur le genre, pour lesquelles elles n’ont pas reçu d’assistance efficace de la part de la police, de la justice ou d’autres services », affirme la rapporteuse spéciale de l’ONU contre les violences faites aux femmes, Reem Aslalem, dans un long mail dédié à URBANIA. Ce constat est confirmé par Anne Denis : « Les femmes sont souvent exécutées pour meurtre. Parmi elles, il y a des employées venant de pays asiatiques qui travaillent pour des familles bourgeoises en Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis. Il n’est pas rare que le meurtre fasse suite à une tentative de viol de la part du maître de maison.»

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Par ailleurs, celles qui sont condamnées pour des charges liées à la drogue ont souvent été plongées dans ce trafic parce qu’elles sont précarisées – notamment dans les pays asiatiques. «En Chine, on estime le nombre d’exécutions à plusieurs milliers par an. Dans ce compte, nous savons qu’il y a aussi des femmes », souligne la représentante d’Amnesty International. Et les femmes susceptibles d’être soumises à la peine capitale dans certains pays sont désavantagées par leur manque de connaissance des procédures. «La condition féminine reste très peu étudiée. Elles sont marginalisées quand elles se retrouvent en détention. Elles intéressent moins et ressortent moins dans la culture populaire », constate Simon Grivet. En plus de cette marginalisation, les femmes condamnées à mort sont victimes des stéréotypes et des préjugés liés au genre.

Revenons un peu en arrière. Jusqu’en 1981, la peine de mort était en vigueur en France. Au cours du XXe siècle, « 56 femmes ont été condamnées à mort et seulement six ont été exécutées par guillotine », rappelle Nicolas Picard qui ajoute qu’elles ont toujours été sous-condamnées par rapport aux hommes. Le chercheur souligne que les femmes à l’époque bénéficiaient de la même clémence que l’on accorde aux mineurs. « On les jugeait plus passionnelles et elles étaient perçues comme plus faibles et manipulables », reprend-il. A tel point que les exécutions des femmes sont interrompues en 1887 pour reprendre sous le régime de Vichy. Dans les années 30, certaines féministes réclamaient la peine de mort pour les femmes. « Elles estimaient que si elles voulaient le droit de vote, elle devait obtenir le droit d’aller à la guillotine », raconte Nicolas Picard.

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Des soins de santé ignorés

Encore aujourd’hui, les discriminations liées au genre peuvent se manifester de multiples façons. Si les femmes peuvent passer plus facilement pour des victimes, elles sont aussi plus susceptibles d’être perçues comme des criminelles selon le crime commis : « Si le comportement d’une femme est conforme aux attentes liées à leur genre – si elle est complice– elle peut bénéficier d’une peine plus clémente », indique le rapport de la Coalition mondiale contre la peine de mort*. Mais lorsqu’il s’agit d’une infraction liée à la morale, les femmes sont alors condamnées de manière disproportionnée. Au Pakistan, Zafran Bibi avait dénoncé le viol dont elle avait été victime par son beau-frère. Elle a été poursuivie pour adultère et condamnée à mort en 2002. A noter que les responsables de la justice restent encore très masculins dans une partie du monde, ce qui renforce les inégalités entre les genres devant le tribunal.

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Mais les discriminations n’interviennent pas qu’en amont de l’exécution. Prenons l’exemple de l’Iran. Selon Amnesty International, les exécutions judiciaires ne se font plus par lapidation, mais lorsque tel était le cas « les hommes condamnés étaient placés dans un trou creusé jusqu’à la taille. Pour les femmes, il leur arrivait à la poitrine. Or, si la personne arrive à s’extraire de l’orifice alors elle garde la vie sauve. Quand c’est une femme, on ne lui laisse aucune chance », révèle Anne Denis. Autre conséquence de leur marginalisation, les besoins des femmes sont souvent ignorés, selon le rapport de l’ONU datant de 2018. Concrètement, les prisons ne fournissent pas de soins de santé spécifiques aux femmes et les privent de certains produits nécessaires. De plus, il arrive que les serviettes hygiéniques soient confisquées en guise de punition. Le rapport de la Coalition mondiale contre la peine de mort indique que des femmes détenues ont accouché seules en prison en Thaïlande et au Myanmar. Toutefois, il arrive que les conditions de détention des femmes soient aussi moins difficiles – les prisons des hommes étant souvent davantage surpeuplés.

*Cette année, la journée mondiale contre la peine de mort était dédiée aux femmes.

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