Logo

Féministe et racisée : l’amour (hétéro) impossible ?

Ou l’épreuve de construire une relation dans une société patriarcale et raciste.

Publicité

Ce constat est connu : trouver l’amour et faire sa vie avec LA bonne personne est quelque chose de compliqué. Alors imaginez comment ça doit être difficile quand on est une femme qui souhaite se caser avec un homme qui n’est pas trop sexiste dans une société profondément machiste. Maintenant, imaginez être une femme racisée qui souhaite vivre une relation avec un homme non-misogyne et qui n’a pas de biais racistes. Impossible. Comment gérer à la fois le racisme et le sexisme au sein d’un couple ? C’est la complexe équation avec laquelle doivent composer de jeunes féministes qui nous ont raconté leur histoire.

Cet article a été écrit par un homme cisgenre maghrébin, je préfère vous prévenir. Il a été assez difficile à écrire car il est impossible pour moi de me mettre à la place des personnes concernées et j’ai dû faire des choix dans les témoignages recueillis. J’aurais aimé davantage écrire sur la misogynoir, sur le poids de la famille et de la société qui s’immisce dans la vie intime de ces femmes (à lire, l’article de la BBC sur le hashtag #VraieFemmeAfricaine), sur le racisme intégré par nos communautés… Mais ça sera peut-être l’objet d’autres articles.

Publicité

« C’est toujours pareil : je parle à un gars pendant des mois et au final j’apprends qu’il n’est pas attiré par moi mais uniquement par les clichés qui me collent à la peau. » À peine 20 ans et Zahra est déjà désabusée par les hommes qui lui font la cour. Maghrébine, féministe et portant le voile, elle n’est « pas pressée de se caser » et se trouve particulièrement méfiante avec la gente masculine, en particulier avec les blancs qui ont tendance à la fétichiser.

« Il rêvait que je sois sa Jasmine »

« Ils ont beaux être déconstruits, ils finissent quasiment toujours par te faire une remarque sur tes origines. Une fois, je parlais avec un homme blanc qui avait l’air safe. Mais pour un premier date, il m’a proposé de venir chez lui pour faire du couscous. Il rêvait que je sois sa Jasmine et lui mon Aladdin », raconte l’étudiante.

Une vie de couple avec un homme blanc fétichiste, c’est malheureusement ce qu’a vécu Louise, 20 ans et d’origine vietnamienne : « Mon ex était vachement fétichiste, sur tout ce qui entoure l’Asie et la femme asiatique. Je ressentais du malaise quand il me disait que les Asiatiques étaient les meilleures. Il trouvait que c’était les plus belles, les plus gentilles, les plus dociles, etc. Quand j’essayais de lui en parler, il répondait que ce n’était que du positif. Mais c’était vraiment quelque chose de malsain. »

Publicité

Les femmes noires sont également aussi victimes de ce fétichisme qui est parfois totalement assumé. « Jeune, j’avais ce qu’on appelle la jungle fever : je n’étais attiré que par les femmes métisses ou noires », expliquait Vincent Cassel dans une interview publiée par le magazine Marie Claire en 2013. L’acteur de 53 ans – marié à Tina Kunakey, mannequin d’origine togolaise de 22 ans – a même publié un hashtag #negrophile4life suite à la cérémonie des Césars.

« La négrophilie, c’est la double instrumentalisation des personnes noires. On les utilise pour combler leurs fantasmes et les divertir. Mais quand on les accuse de racisme, ils se cachent derrière le fait qu’ils fréquentent des personnes noires. Les victimes servent d’alibi et de caution », analysait la YouTubeuse Keyholes & Snapshots dans une vidéo consacrée au sujet publiée en septembre 2017 et malheureusement toujours d’actualité.

Publicité

Quand ce n’est pas du fétichisme, les femmes racisées doivent souvent faire face à des remarques tout simplement racistes. C’est ce qui est arrivé à Sophie* dès son premier date avec un homme blanc : « Il m’a demandé comment se prononçait mon prénom. J’ai un prénom vietnamien, je lui dis comment le prononcer : il y a littéralement deux syllabes. Il m’a répondu que c’était un peu bizarre et qu’il allait m’appeler Claire. »

Faut-il alors se tourner vers des hommes qui ne sont pas blancs pour espérer construire quelque chose de viable ? La solution n’est pas si simple. « Certes, je me sens plus en sécurité avec un gars racisé, même si j’avoue qu’ils sont presque tout aussi problématiques que les blancs. Ceux qui ont grandi dans la société raciste française ont intériorisé le racisme lié à leur propre communauté et les clichés sur les femmes », souligne Zahra.

Publicité

Les hommes : une perte de temps et d’énergie

« Même parmi les hommes racisés, le tri va être immensément important à partir du moment où je dégage toute personne qui négocie ce que je dis sur la question du genre. Des fois, il en reste un ou deux qui s’accrochent à moi. Mais il y a souvent une faille : ce sont souvent des profems (i.e. des hommes qui fanatisent les féministes) », assure pour sa part Liza, 22 ans, féministe décoloniale du collectif Nta Rajel.

Une union dans une société patriarcale et raciste n’est pas assez belle pour miser ce que je dois miser : ma vie. C’est tellement grave de se mettre en couple avec un mec, que tu peux en mourir.

Publicité

Et d’ajouter : « Quand je parle à un mec, j’essaie parfois de ne pas le limiter à sa condition d’homme sexiste. In fine, j’ai l’impression d’y perdre du temps et de l’énergie. On est dans l’éducation : on donne nécessairement plus que l’autre. » Le constat est le même pour Sophie : « Étant donné que je suis prof, je passe déjà pas mal de temps à éduquer des enfants. Je me dis que passé un certain âge, c’est mort pour que j’éduque une personne qui n’est pas déconstruite à moins qu’elle engage d’elle-même la conversation sur le sujet. Sinon, je laisse tomber. »

Faut-il justement laisser tomber l’objectif de construire une relation avec un homme ? L’idée fait parfois son chemin dans la tête de ces jeunes féministes. En tout cas, ce n’est pas du tout une priorité. « Je me dis que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Une union dans une société patriarcale et raciste n’est pas assez belle pour miser ce que je dois miser : ma vie. C’est tellement grave de se mettre en couple avec un mec, que tu peux en mourir. Je me dis au final, que le célibat, c’est la vie. Je veux construire seule un équilibre qui me parle », estime Liza. Un constat partagé par Zahra : « On met beaucoup la pression aux femmes pour être en couple et avoir des enfants. Mais honnêtement, si je ne trouve pas quelqu’un, je m’en fiche. La vie de couple n’est pas une condition sine qua non à mon bonheur. »

Publicité

« Il n’y a pas de bonnes décisions, pas de bons critères »

Conjuguer féminisme et vie de couple, c’est un sujet largement évoqué par l’autrice afroféministe Laura Nsafou dans son blog Mrs Roots. « Rester seule pour mieux vivre et se préserver ? Laisser son engagement à la porte de la maison ? L’emmener avec soi et le cultiver dans le couple, avec les forces que cela suppose ? En fin de compte, il n’y a pas de bonnes décisions, pas de bons critères. Il n’y a que des femmes noires sachant ce qu’elles acceptent ou non de leur·s partenaire·s », écrivait la militante en septembre 2017.

Difficile de construire une relation hétérosexuelle saine quand on est une femme racisée aux convictions féministes et anti-racistes. L’exercice d’équilibriste est complexe et les chances de tomber sur le bon numéro aléatoires. Seul le temps pourra nous dire si les hommes sauront prendre conscience des différentes problématiques auxquelles sont confrontées les femmes et des privilèges donnés par la société. En tout cas, ça sera déjà un premier pas.

*Il s’agit d’un pseudo.

Publicité