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Féminisme et astrologie : analyse d’une sororité ésotérique

Quand se réapproprier les étoiles donne du pouvoir aux femmes.

Par
Violette Cantin
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Je suis féministe depuis que j’ai 14 ans, et je m’intéresse à l’astrologie depuis que j’en ai 18. Je me fais d’ailleurs un devoir d’aborder au moins l’un de ces deux sujets dans la majorité de mes conversations. Après tout, « es-tu féministe ? » et « quel est ton signe astrologique ? » me semblent deux excellentes questions afin de mieux cerner la personne à qui l’on s’adresse.

Mais au-delà de mon idéalisme de jeune adulte qui cumule les nouvelles relations sur Co–Star, y a-t-il des liens plus profonds à établir entre féminisme et astrologie ? J’ai parlé à trois femmes qui y ont réfléchi. Voyage astral au pays de l’égalité des sexes.

Du travail à faire

Mettons tout de suite les choses au clair : l’astrologie n’est pas en soi une discipline foncièrement féministe. « Il reste beaucoup de travail à faire pour la rendre plus inclusive et moins colonialiste », croit Vanessa DL, qui observe néanmoins que de plus en plus d’astrologues tentent de rendre leur travail plus inclusif, notamment au travers de la « post-colonial astrology ».

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Cette enseignante des arts mystiques, qui se qualifie elle-même de sorcière, détonne par rapport au cliché poussiéreux de la cartomancienne de cirque ou de l’astrologue excentrique qui a, justement, un peu trop la tête dans les étoiles.

« Pour les personnes qui veulent s’identifier à l’extérieur des contraintes de la société patriarcale et de la dualité de genres, l’astrologie présente un modèle intéressant parce qu’il est beaucoup plus fluide »

Le compte Instagram épuré de Vanessa DL compte plus de 15 000 abonnements, et elle n’hésite pas à mettre le politique et le féminisme en corrélation avec les arts divinatoires. L’astrologie, à l’image de la société, peut être moderne et progressiste.

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« Pour les personnes qui veulent s’identifier à l’extérieur des contraintes de la société patriarcale et de la dualité de genres, l’astrologie présente un modèle intéressant parce qu’il est beaucoup plus fluide », explique-t-elle. Pour plusieurs, l’astrologie n’est pas qu’une pseudoscience : il peut s’agir d’une échappatoire sociale en raison de son modèle moins binaire.

Les jeunes filles stupides

Dans mon entourage, la plupart des gens qui s’intéressent à l’astrologie sont des jeunes femmes, une observation qui semble se confirmer dans certains sondages. Et dans l’imaginaire collectif, les jeunes femmes sont bien souvent associées à la superficialité, à la frivolité et à tous ces intérêts jugés inutiles et risibles, comme le maquillage par exemple.

Y aurait-il un lien à établir entre le peu de crédibilité accordé à l’astrologie et le public à qui la discipline est souvent associée ?

« Quand on voit que ce sont des femmes qui s’intéressent à l’astrologie, on l’associe à un aspect simple et bêbête, alors que c’est vraiment plus compliqué.»

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D’après Vanessa DL, c’est tout à fait possible : « Quand on voit que ce sont des femmes qui s’intéressent à l’astrologie, on l’associe à un aspect simple et bêbête, alors que c’est vraiment plus compliqué. »

L’artiste française Camille Ducellier observe elle aussi un lien tacite entre les femmes et l’astrologie. « Culturellement, les femmes sont plus socialisées à se tourner vers leur monde intérieur, à se remettre en question, à réfléchir à leur développement », soutient-elle. Elle a d’ailleurs exploré ces liens dans son livre paru en 2011, Le Guide pratique du féminisme divinatoire.

« Quand je l’ai écrit, tant la société que les milieux féministes n’étaient pas très ouverts aux dimensions spirituelle et ésotérique », se souvient-elle. Elle admet avoir écrit ce livre entre autres par bravade, par désir de provoquer doucement des milieux féministes qui étaient à l’époque plus hermétiques.

Comment expliquer ce blocage ? « J’ai l’impression qu’il y avait une tendance au sein des milieux féministes à vouloir acquérir les outils des dominants, donc des hommes, afin de lutter contre le patriarcat. Cela revenait à dévaloriser les valeurs qui ont été portées par des femmes pendant des siècles », estime-t-elle.

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Reprendre le pouvoir

L’heure ne semble toutefois plus être au rejet massif des pratiques divinatoires. Au contraire, se réapproprier ces notions pourrait donner du pouvoir aux femmes.

L’écrivaine et docteure en sémiologie des arts visuels Pattie O’Green a publié le mois dernier Manifeste céleste, un livre dans lequel elle aborde son parcours spirituel. « Je trouve intéressant de se réapproprier l’astrologie, parce que ça a été tellement ridiculisé. On peut chercher à l’approfondir, à en tirer de l’empowerment », croit-elle.

« Je crois que ça peut aider des femmes sur le plan de la croissance personnelle en leur donnant confiance en elles. »

Elle se dit néanmoins très critique de l’astrologie en raison de son aspect individualiste. « Je crois que ça peut aider des femmes sur le plan de la croissance personnelle en leur donnant confiance en elles, mais peut-être pas sur le plan collectif », continue-t-elle.

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Camille Ducellier croit également qu’établir des liens entre les deux disciplines peut contribuer à donner du pouvoir aux femmes. « Tout cela opère d’une même gymnastique, qui est celle de davantage regarder les choses dans des continuums que dans ce qui nous sépare et crée des binarismes », affirme-t-elle.

Les théories féministes et queer sont déjà vigilantes en ce qui a trait aux rapports de pouvoir et analysent le masculin et le féminin comme un spectre continu, à travers notamment la fluidité de genre. « On retrouve cette même logique dans l’ésotérisme, même si ce n’est pas pensé comme tel : l’absence de division entre le rationnel et l’irrationnel, la fluidité de genre et des énergies… », mentionne Camille Ducellier.

Repenser l’astrologie

Avec tout ça, il pourrait être tentant de désigner l’astrologie comme une « nouvelle religion ». Mais l’astrologue Vanessa DL insiste que ce n’est pas le cas. « Ça donne des outils, mais ce n’est pas un système de croyances, ni un code moral ou éthique, et ce n’est pas dogmatique », souligne-t-elle. De quoi laisser un peu d’air aux mouvements féministes, qui ont trop souvent souffert du dogmatisme religieux.

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Non, l’astrologie n’est pas une religion. C’est une discipline que plusieurs de ses adeptes tentent de moderniser. Et de faire émerger d’un moule sociétal traditionnel qui comprend une bonne dose de sexisme, de binarité et de colonialisme.