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Félix Maritaud en drag queen pour la réalisatrice québécoise Sophie Dupuis

« J'ai lu le scénario, j'ai adoré, j'ai largué mon mec de l'époque et j'ai accepté, évidemment. »

Par
Daisy Le Corre
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« L’ouverture du plateau est donc confirmée pour ce vendredi 18 mars. Ce sera au 3e étage du SKY au 1478, rue Sainte-Catherine Est. » Derrière mon écran, je jubile. Cela faisait une éternité que je n’avais pas mis les pieds au SKY, là où, pourtant, ma vie montréalaise a réellement commencé. C’est là que j’ai bu de la « sangria bleue » pour la première fois, que j’ai rencontré ma moitié pour la première fois et vu des drag queens « en vrai » pour la première fois. Difficile de faire plus culte comme lieu.

J’avais donc très hâte de revenir au SKY ce vendredi après-midi : je savais que j’allais en prendre plein les yeux, comme d’hab. Au programme : le tournage du nouveau long métrage de Sophie Dupuis, DRAG (encore seulement un titre de travail), et l’opportunité de discuter avec elle, mais aussi avec sa muse, Théodore Pellerin, ainsi qu’avec l’incontournable acteur français Félix Maritaud, repéré dans Sauvage et 120 battements par minute.

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Il est 13 h 55, l’attaché de presse me propose de le suivre pour rejoindre les autres journalistes et l’équipe de tournage. À peine arrivée, j’ai la chance d’apercevoir les toutes premières images du film sur un petit écran, en compagnie du producteur Étienne Hansez, qui nous invite ensuite à le suivre sur le plateau.

En traversant le SKY (que je ne reconnais pas, tant la métamorphose est grandiose), mes yeux s’arrêtent sur un comptoir où des dizaines de perruques sont posées. « On a un budget de 85 000 $ pour la conception des perruques. C’est ce qu’il fallait pour être à la hauteur de l’univers imaginé par Sophie », lance le producteur, aux petits soins de ses équipes.

Quelques minutes plus tard, nous voilà aux portes d’un party qui bat son plein en plein après-midi. Je me revois, huit ans plus tôt, à me dandiner dans les allées, émerveillée par les drag queens qui m’entourent et portée par l’énergie libératrice des lieux. L’atmosphère est restée la même.

« Action ! » Ça y est, ça tourne. J’aperçois bel et bien Félix Maritaud qui remue son booty sous l’oeil des caméras, mais aussi Théodore Pellerin, immense, en mini jupe et talons hauts. Qu’il est belle. Comme tou.te.s les figurant.e.s présent.e.s d’ailleurs. L’atmosphère est détendue, ça rit, ça parle fort, ça se chahute, ça fait du bien. « Oh my god, c’était bon ça ! », lance Sophie Dupuis, visiblement satisfaite de cette scène de « party MDMA » (selon ses dires) tournée sous nos yeux ébahis.

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« Sophie n’est pas du tout dans un délire égotique comme c’est parfois le cas en France, avec certains réalisateurs et réalisatrices. Ce qu’elle veut, c’est créer une belle scène, une VRAIE scène. Elle s’en fout de “jouir” à la fin en disant que c’est “sa” scène ou que c’est elle qui a fait le film. C’est tellement précieux de pouvoir travailler avec elle », m’a confié Félix Maritaud, fan de sa réal’ québécoise.

Pourquoi avoir braqué les projecteurs sur l’univers drag, au Québec, en 2022 (seulement) ? « J’ai toujours été passionnée par l’art de la drag, mais je n’avais pas spécialement prévu de faire un film là-dessus. Et puis, j’ai commencé à explorer cet univers à fond via les réseaux sociaux, entre autres. J’aimais tout ce que ça représentait pour la communauté LGBTQ+, et notamment le geste politique de monter sur scène. C’est aussi un manifeste pour la liberté, l’art de la drag. Depuis que je baigne dans cet univers, j’ai compris tellement de choses sur moi et sur le monde qui nous entoure. Je ne peux plus revenir en arrière, je ne peux plus fermer les yeux sur le patriarcat et tout ce que ça génère », me confie entre deux scènes la réalisatrice, qui avait aussi veillé à me demander quel pronom j’utilisais avant de m’adresser la parole. C’est bien la première fois que ça m’arrive en interview. Félix Maritaud aussi s’est renseigné avant notre échange : « Je dois te genrer comment, au fait ? Moi, peu importe, en tout cas. » Pareil pour moi. Ça n’a pas d’importance.

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Ça fait du bien ce genre de « petite » considération. À vrai dire, c’est à l’image du communiqué envoyé par l’équipe : « La démarche de Sophie Dupuis (…) se veut résolument inclusive et respectueuse de la communauté LGBTQIA2S+. La réalisatrice a notamment auditionné plus de 250 comédiens issus de la communauté. » Wow.

« Il était temps de faire un film de drags avec des personnes de même sexe qui s’aiment, sans que ce soit un problème dans leur vie. Je pense que ça va faire beaucoup de bien dans l’univers culturel québécois. »

Si le Québec est prêt pour un film sur l’univers drag queen ? La Québécoise hésite avant de me répondre. « Je ne sais pas à quel point on est réellement prêts, finit-elle par dire. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, et encore tellement de gens qui ont une réaction de rejet en voyant juste une photo de drag queen… Mais il était temps de faire un film de drags avec des personnes de même sexe qui s’aiment, sans que ce soit un problème dans leur vie. Je pense que ça va faire beaucoup de bien dans l’univers culturel québécois. »

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« C’est pour ça que c’était important de faire une équipe hyper inclusive devant et derrière la caméra, ça fait une réelle différence sur notre vision des choses. Si je n’avais pas travaillé avec des personnes queers, le film n’aurait pas été le même et n’aurait pas été bon », poursuit Sophie Dupuis, qui espère réellement que les personnes de la communauté LGBT+ vont se reconnaitre dans son film.

« Beaucoup d’acteurs m’ont déjà dit qu’ils avaient besoin d’un film comme ça, et qu’ils en auraient eu besoin quand ils étaient jeunes aussi. Ça, déjà, pour moi, c’est super important. C’est à ça que je veux que mon film serve : que les gens se reconnaissent, enfin », lance la réalisatrice qui a fait valider certaines scènes de son film par des vraies drag queens montréalaises. « J’avais besoin de leur approbation. »

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De son côté, Théodore Pellerin avoue que cela fait un moment qu’il parle de ce projet avec Sophie. Il y a six ans déjà, il lui avait fait savoir qu’il aimerait jouer une drag queen un jour. « Et voilà, on y est! Ça fait un an et demi à peu près que j’accompagne Sophie dans l’écriture du scénario », me raconte Théodore Pellerin, qui a suivi les cours de danse et d’exploration du chorégraphe et danseur canadien Gérard Reyes (NDLR, il a étudié le ballroom à New York), pour développer une féminité neutre et trouver son propre drag.

« C’est une vraie recherche de trouver son “clown” et d’apprendre à marcher avec des talons, etc. Bref, déconstruire le poids de la masculinité avec lequel on a grandi. Ça permet aussi de naviguer à travers des expressions dans le corps, la voix, la parole, etc. : il s’agit de se permettre plus et de se libérer de certaines normes », raconte celui qui a eu une révélation et un coup de foudre quand on l’a maquillé pour la première fois.

« Soudain, tu te vois et tu te perçois d’une autre façon, c’est ton “clown” qui sort, c’est très particulier. La toute première fois, je me suis dit : “Wow i look hot!” (rires) », se souvient Théodore, qui salue au passage le travail titanesque des maquilleurs et maquilleuses. Au total, pour un rôle de drag queen, il faut compter 2 h de maquillage et 1 h pour la pose des perruques. « On arrive 4 h plus tôt que d’habitude », lance la muse de Sophie Dupuis.

« J’ai lu le scénario, j’ai adoré, j’ai largué mon mec de l’époque et j’ai accepté, évidemment. Je sais que ce film va fonctionner. »

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Pour Félix Maritaud aussi, c’est une expérience extraordinaire de pouvoir faire ce film et de jouer une drag grâce aux conseils avisés de toute une équipe artistique. « Il y a une vraie drag queen montréalaise qui a cru que je faisais du drag dans la vie, en me regardant tourner une scène. Mais non, je ne pourrais pas faire ça en vrai : il y a toute une équipe derrière pour m’aider à prendre vie », raconte l’acteur français engagé aussi activiste queer.

« Mais le coeur du film, c’est l’amour toxique entre les personnages. Quand t’as déjà été dans une relation comme ça et que t’en as souffert, tu sais à quel point c’est dur d’aider les gens. Je me souviens que Sophie m’avait envoyé un mail en me disant qu’elle voulait faire ce film pour que, si jamais une personne était prisonnière d’une relation toxique, elle le réalise en regardant DRAG. J’ai lu le scénario, j’ai adoré, j’ai largué mon mec de l’époque et j’ai accepté, évidemment. Je sais que ce film va fonctionner. »

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Si Sophie Dupuis ne sait pas encore ce qu’elle fera après DRAG, elle est sûre d’une chose : « Je vais sûrement rester dans des sujets similaires, je ne vais pas retomber dans un film 100% hétéro… Je n’y arrive plus, je n’ai plus envie et ce n’est plus le genre d’histoires que j’ai envie de raconter. Ça ne m’intéresse plus, en fait! Dans 10 ans, peut-être, mais là, j’ai l’impression d’avoir trouvé une nouvelle famille. Je pense que j’ai vraiment trouvé ma mission. » Yasss Queen !

DRAG (titre de travail) sera distribué au Canada par AXIA FILMS et prendra l’affiche en 2023.