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Faut-il vraiment culpabiliser d’aimer les gossips ?

Oops, I did it again.

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À chaque fois, prise de remords, je me dis que c’était la dernière. Et puis je réalise que j’ai replongé, comme un dry january qui bute sur le premier vendredi soir venu. Je ne parle pas d’arrêter la cigarette ou les Chocapic à 23h. Non, je parle de ces bouts d’informations sur les autres que je prends plaisir à échanger. C’est comme ça qu’une session coworking dans un café peut vite contenir des infos aléatoires, allant du “Bidule s’est fait une coupe mulet” à “Le chien de Machin a avalé une chaussette”, en passant évidemment par “Trucmuche a couché avec Bidule”. Franck T. McAndrew, professeur britannique de psychologie et spécialiste du sujet, définit le commérage comme “toute conversation sur des personnes absentes, portant sur leur comportement, leur réputation ou leurs relations”. Il paraît même que c’est un vilain défaut. Mais alors, faut-il venir à bout de ces pulsions et étouffer l’étincelle qui anime nos yeux à la perspective d’une info croustillante ? Ou faudrait-il, comme le dit Mona Chollet, en finir avec la culpabilité ? Enquête au cœur des potins.

En creux de l’humanité, les commérages

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Les commérages ne sont apparus ni avec les réseaux sociaux, ni avec la presse people. Non, se délecter des derniers gossips est une activité bien plus ancienne : “Dès la Mésopotamie, les commérages prévalaient dans les villes et sur les marchés. Dans la Grèce antique, les commérages étaient largement rapportés dans des œuvres littéraires telles que L’Odyssée et les Fables d’Ésope. Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, les commérages sont au cœur de la vie quotidienne”, retracent des chercheur·ses dans leur étude “Explaining the evolution of gossip” (2024). Mieux, selon l’anthropologue et primatologue et professeur de psychologie évolutionniste à l’université d’Oxford Robin Dunbar, les commérages seraient l’une des raisons pour lesquelles l’homme serait doté de la parole. “Nous avons étudié des conversations spontanées dans des lieux divers (cafétérias d’université, bars, trains…), nous avons découvert que 65% environ du temps de conversation est consacré à des sujets sociaux : qui fait quoi, avec qui, ce que j’aime ou n’aime pas, etc.” écrit l’anthropologue britannique dans Grooming, Gossip and the Evolution of Language, publié en 1998. Son hypothèse ? Sans être fondamentalement utile à l’humain, le langage aurait en partie évolué pour permettre aux individus d’entretenir leurs liens sociaux. Ça tombe bien parce que dans nos sociétés modernes, on passerait en moyenne une heure par jour à échanger des informations sur les autres.

Parler dans le dos des autres a donc toujours fait partie des comportements humains, sans jamais avoir bonne presse. Associés au voyeurisme et à l’hypocrisie, les commérages ainsi que ceux qui les propagent sont perçus négativement, voire méprisés : “mauvaise langue”, “langue de vipère”, “commérages”, “cancans”, “ragots”… “À l’époque moderne aussi, les gens avaient tendance à associer les commérages à des informations superficielles, et ils ont acquis une mauvaise réputation”, me confirme Michele Gelfand, professeur à l’université Stanford, spécialiste des psychologies interculturelles et chercheuse sur l’étude “Explaining the evolution of gossip”, citée plus haut. “Il s’est avéré que les commérages avaient une fonction bien plus profonde pour les humains : les commères [traduit de l’anglais “gossiper”, qui ne comporte pas une charge si péjorative, ndlr] ne sont pas si mauvaises. En fait, les commérages pourraient même stimuler les niveaux de coopération au sein des cercles sociaux et ont aidé les humains à devenir l’espèce ultra-coopérative que nous sommes”, poursuit la spécialiste.

Lubrifiant social

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Qu’ils soient neutres ou enrobés de jugement, les ragots participent à renforcer les normes d’un groupe et alimentent une sorte de boussole morale. “Disséminer des informations sur la réputation des autres peut aider les récipiendaires de cette information à se connecter avec plus d’individus coopératifs, tout en évitant les personnes égoïstes. Autrement dit, les gens qui écoutent les commérages finissent par prendre en compte la réputation des autres au moment d’interagir avec eux”, détaille Michele Gelfand. En miroir, les commérages agissent comme un outil de contrôle social au sein du groupe, puisque personne ne souhaite devenir la cible des discussions. La spécialiste poursuit : “Les agents sont plus enclins à coopérer en présence d’une commère [gossiper] parce qu’ils veulent protéger leur réputation et éviter de devenir le sujet des rumeurs, donc ils adoptent leur meilleur comportement. Pendant ce temps, recevoir la coopération d’autrui peut constituer une récompense en soi pour les commères : ça leur donne un bénéfice et augmente leur aptitude aux commérages”.

L’utilité sociale des ragots se manifeste aussi à une échelle plus large, comme le détaillent les chercheuses Francesca Giardini et Rosaria Conte, autrices d’une étude sur le lien entre commérages et valeurs morales : “Dans les groupes de grande taille, l’échange d’informations sur les autres est essentiel pour l’identification et l’évitement des tricheurs, réduisant ainsi les coûts de la coopération et promouvant les échanges informels”. Les commérages servent aussi de matière brute dans la formation des amitiés, comme autour de la machine à café du travail, et consolident les liens au sein d’un groupe. Sans oublier que partager une information de première fraîcheur permet d’afficher son niveau de connaissances, et donc son insertion dans le monde social.

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Le lien créé par les commérages s’observe d’ailleurs à l’intérieur même du cerveau : la neuropsychologue et directrice de recherche au CNRS Sylvie Chokron a prouvé que le fait d’échanger les dernières news sur Machin ou Truc libère de l’ocytocine, hormone impliquée dans l’attachement, la confiance en soi et le plaisir. Ces discussions ont aussi pour effet d’évacuer des émotions négatives à l’endroit d’une tierce personne. Charline, 30 ans, aime gossiper pour “se décharger” lorsqu’elle se retrouve embourbée dans des situations conflictuelles et bénéficier de l’éclairage de personnes externes : “J’ai du mal à cerner mon propre avis, à faire des choix, et à communiquer sur mes émotions. Parler d’une personne avec quelqu’un d’autre me permet d’éviter de ruminer seule dans mon coin et d’y voir plus clair”. Et puis, il s’agirait de ne pas oublier la fonction divertissante des commérages, qui peuvent s’avérer aussi délectables qu’un épisode de Gossip Girl ou de Desperate Housewives – deux séries qui, vous l’aurez remarqué, ont fait des commérages leur matière première. XoXo.

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