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Faut-il tirer un trait sur la chasse ?

Une pratique en ligne de mire.

Par
Oriane Olivier
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Un maire de 72 ans aurait été agressé le week-end dernier dans la Somme par des chasseurs, auxquels il demandait de s’éloigner des habitations. L’édile septuagénaire aurait en effet été violemment bousculé après avoir rappelé à l’ordre un petit groupe qui ne respectait pas la loi interdisant de traquer les animaux à moins de 150 mètres des maisons. Un événement qui relance évidemment l’éternel débat sur la pratique de la chasse en France. Décrié par les écolos et les anti-spécistes, qui reprochent aux adeptes de la carabine de mépriser la faune sauvage ; défendu comme un morceau de patrimoine par les amateurs de pâté aux trois poivres, tirer sur des animaux pour le plaisir est un loisir qui fait régulièrement polémique, et les points de vue des deux bords s’entrechoquent souvent violemment, un peu comme un sanglier et une Jeep.

L’ARGUMENT ÉCOLOGIQUE

D’un côté, les défenseurs de l’environnement accusent les partisans de la chasse de tous les maux. Ainsi, chaque année, ils laisseraient près de 7000 tonnes de plomb – l’un des métaux lourds les plus toxiques – dans la nature après leur passage. Des munitions abandonnées, qui polluent les sols et les cours d’eau. Pire, cette contamination fait également peser une menace indirecte sur des espèces pourtant protégées, comme le lynx, qui dévorent des proies criblées de grenailles. Un véritable poison pour la biodiversité, qui s’ajoute au bilan de 22 millions d’animaux abattus tous les ans. Et cet inventaire macabre pourrait même être bien plus important, car il ne prend pas en compte les bêtes mortellement blessées, que l’on ne retrouve jamais.

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A vrai dire, il est presque surprenant que l’Hexagone ne soit pas encore la destination touristique favorite des amoureux de safari, puisque nous avons la plus longue liste d’espèces chassables des pays membres de l’UE : pas moins de 90 ! Une liste qui inclut également le plus grand nombre d’espèces menacées ou en danger d’extinction…

Les chasseurs, quant à eux, se présentent comme les “premiers écolos de France”, et revendiquent un attachement profond à la nature et sa préservation. Pour appuyer leur propos, ils mettent en avant leur rôle dans la protection et la gestion de la biodiversité, à laquelle ils consacreraient bénévolement près de 78h par an : entretien des haies et des bords de chemin, remise en état de zones humides, comptage des oiseaux… Autant d’activités qui profitent en effet au territoire, sans pour autant véritablement compenser le préjudice de la pratique envers l’environnement.

D’ailleurs, depuis le rebranding opéré par les lobbies de la chasse, ne parlez surtout plus de “gibier mort”, mais de “prélèvements”, qui s’insèrent dans une logique de “gestion adaptative permettant de réguler les espèces nuisibles”. Un discours bien rôdé, qui omet toutefois de préciser qu’une bonne partie des animaux chassés sont en réalité issus de l’industrie de l’élevage. Ainsi, 30 millions d’animaux (dont un tiers destiné à l’export) sont annuellement “produits” pour finir en trophés au dessus d’une cheminée : 14 millions de faisans, 5 millions de perdrix grises et rouges, 1 million de canards colverts, 40 000 lièvres, 100 000 lapins de garenne… A se demander si les seuls spécimens invasifs que le chasseurs empêchent vraiment de proliférer ne sont pas les randonneurs qui piquent les meilleurs coins à champignons.

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L’ARGUMENT DE L’INSÉCURITÉ

En ce qui concerne la dangerosité de leur loisir, les chasseurs marquent des points. Ainsi, en 20 ans, le nombre d’accidents de chasse a diminué de 52%, et le nombre de morts de 80%. Une régression spectaculaire, qui n’est pas seulement liée à la baisse du nombre de chasseurs parmi la population française, mais à une réelle démarche de sécurisation de la pratique, opérée au cours de la dernière décennie. Ainsi, sur la saison 2023-2024, on comptait 6 décès à cause d’un tir (uniquement des chasseurs), contre 29 personnes tuées en 2003… Une chute significative, qui devrait peser dans le débat public en faveur des amateurs de galinette cendrée.

Pourtant, la proportion de Français.es qui s’inquiète de se promener en forêt lors des périodes de chasse reste stable depuis plusieurs années (2 Français.es sur 3), quant à celle qui ne se sent “pas du tout en sécurité” dans les bois lorsqu’elle entrevoit le bout d’un happeau, elle atteint désormais des records (32%, +4 points depuis 2021). D’ailleurs, une large majorité de Français.es (près de 80%), se déclare aujourd’hui favorable à ce que le dimanche devienne un jour sans chasse.

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Et pour cause, car malgré les progrès énoncés en matière de sécurité, un incident sur quatre concerne encore des victimes qui ne pratiquent pas. Mais à la décharge des chasseurs, elles l’avaient peut-être un peu cherché ! Car il faut être particulièrement téméraire ou inconscient pour oser faire du vélo le weekend, conduire sur l’autoroute un dimanche (un mort sur une quatre voies en 2021 et un conducteur grièvement blessé par une balle perdue sur l’A63 l’an dernier), traîner en pyjama dans son salon (des balles traversent régulièrement les baies vitrées de lotissements), ou encore, couper du bois dans son jardin, alors qu’on ressemble comme deux gouttes d’eau à un sanglier (Morgan Keane, tué d’une balle au thorax en 2020, tandis que l’auteur du tir a pris seulement deux ans de prison avec sursis).

L’ARGUMENT DE LA TRADITION

Ah, l’argument massue de la tradition et du patrimoine ! Mais heureusement que toutes les habitudes ne sont pas faites pour durer éternellement, sinon on porterait encore des chemises à jabot…

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D’autant plus que la chasse n’est pas intrinsèquement française, comme peuvent l’être la mauvaise foi, ou le cassoulet. C’est une pratique humaine que l’on retrouve sur toute la planète, à toutes les époques, et qui avait avant tout une fonction nourricière, avant de devenir l’équivalent d’un ciné club pour mâles alphas en mal de sociabilité virile. Le loisir tel qu’on le connaît aujourd’hui est en réalité un héritage du Moyen-âge, qui était d’abord réservé à la noblesse. Il a fallu attendre la Révolution pour que la traque d’animaux sauvages devienne un sport à part entière, dans toutes les couches de la société.

Ce qui n’empêche pas la chasse de rester encore en priorité un hobby de nantis. Et on comprend vite pourquoi, car l’activité coûte cher : à peu près de 2800 euros par an entre les frais de transport, de cotisations, d’équipement et de munitions… En vérité, 36% des chasseurs déclarés sont des cadres ou des professions libérales, qui aiment sortir leur gros calibre en forêt. Loin devant les employés (23%), et les ouvriers (15%). Des chiffres qui écornent un peu l’image d’une tradition populaire, dont la disparition affaiblirait la culture française dans son ensemble.

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UN APPUI POLITIQUE DE TAILLE

Vous savez, cette soi-disant tyrannie des minorités dont les politiques de droite nous rebattent les oreilles depuis quelques années en agitant le péril woke ? Eh bien contre toute attente, la communauté la plus puissante et influente de France n’est peut-être pas celle des personnes transgenres islamo-gauchistes ! Car si on trouve moins de 2% de chasseurs parmi la population française, ils bénéficient pourtant régulièrement des largesses du Président de la République et des élus.

Une population choyée, envers laquelle on ne compte plus les petits cadeaux et les ronds de jambes : baisse du prix du permis de chasse de 400 à 225 euros pour encourager les adhésions, soutien du chef d’Etat à la chasse à la glu (désormais interdite) ou encore proposition d’un nouveau délit d’entrave rurale, pour brider les actions des militants anti-chasse, qui s’interposeraient lors d’une battue.

Mais pourquoi chouchoute-t-on les chasseurs, qui sont traités comme des invités d’honneur à la grande table de la République ? Sans doute parce que leur CSP d’appartenance et leurs doudounes sans manche en font désormais un électorat de choix, qui se situe du bon côté de l’échiquier politique…

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