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Faut-il débattre avec l’extrême droite pour convaincre ses électeurs ?
Le 13 avril, le militant écologiste Hugo Clément acceptait une invitation à débattre au sein du média d’extrême droite Valeurs Actuelles (VA pour les intimes), face à Jordan Bardella, Président du Rassemblement National (anciennement Front National, rappelons-le).
Je suis une partisane de la nuance et il y a de moins en moins de choses dont je suis certaine, même si j’ai des convictions bien ancrées. Alors quand la polémique au sujet de Hugo Clément a éclaté il y a deux jours, j’étais un peu paumée. Une partie des militant.es écologistes, anti-racistes et féministes – dont je fais partie – a vivement critiqué son choix. Pourquoi ? Comment ? Je vous récapitule tout ça en vous livrant quelques réflexions sur le sujet.
Un débat contre-productif ?
À première vue, je me suis dit que c’était de la bonne pub pour l’écologie qu’un militant connu comme Hugo Clément soit autant visibilisé. En plus, on ne peut pas nier que son intervention a été plutôt réussie. Il a expliqué posément beaucoup d’arguments et a sûrement fait découvrir pas mal de problématiques à l’électorat FN qui n’est pas le plus écolo de France.
Et puis j’ai lu cet article paru dans Libération qui a pointé un élément intéressant : ce qui pose un vrai gros problème, c’est le fait que le débat soit hébergé par VA, un magazine d’extrême-droite aux propos ouvertement sexistes, racistes, LGBTQphobes, etc. Ce qui m’a amenée à me poser la fameuse question…
Peut-on tolérer l’intolérance ?
Cette question, vieille comme le monde, revient à chaque fois que l’extrême droite entre dans un débat. Et en particulier le fameux “paradoxe de l’intolérance”, cher à Karl Popper. L’idée c’est qu’on ne peut pas être tolérant à l’infini, au risque de tolérer même les idées extrémistes et d’autoriser ainsi un Etat dictatorial. Il démontre que “la tolérance illimitée ne peut que conduire à la disparition de la tolérance.”
Adapté à notre sujet, cela revient à dire que plus on considère le FN (oui, ça restera toujours le FN) comme un parti comme les autres, digne de débattre sur tous les sujets de société, plus on ouvre la voie vers l’élection possible de ce parti, pourtant hyper-intolérant.
Rappelons rapidement que les seules mesures pro-écologie qui intéressent le FN sont des mesures protectionnistes (rouvrir des industries locales, fermer les frontières, supprimer des accord de libre-échange, par exemple).
Irene, militante féministe et autrice spécialisée en études de genre et en histoire, nous parle du lien entre écologie et luttes sociales dans un post Instagram que je vous conseille de lire :
Elle y explique que si l’extrême droite commence à (faire semblant de) s’intéresser à l’écologie, c’est surtout à des fins d’instrumentalisation de son programme. Le dérèglement climatique va engendrer des mouvements de populations majeurs : cette info, relayée par le FN, est un excellent moyen d’appuyer le fait qu’il faille fermer à tout prix nos frontières, voire sortir de l’Union Européenne. C’est du pain béni pour être élu dans 4 ans et pour continuer de laisser mourir des milliers d’êtres humains à nos portes.
L’intersectionnalité comme base
Ce que pointe aussi Irene, c’est le concept d’intersectionnalité. On ne peut pas lire une information ou réfléchir à un sujet sous un seul prisme. On ne peut pas penser l’écologie sans penser à la politique, aux luttes sociales, féministes ou sur ses liens avec le capitalisme.
C’est pourtant ce qu’Hugo Clément fait, aveuglé par ses nombreux biais de français de classe moyenne, parisien, blanc, etc. Les enjeux liés au dérèglement climatique ne touchent pas les Français.es qui votent FN, ou Hugo Clément (ou moi, d’ailleurs) de la même manière qu’ils touchent les personnes immigrées, les personnes racisées, les femmes.
C’est le propos de Fatima Ouassak, politologue anti-raciste et féministe :
Il y a fort à parier que l’accent soit mis, dans les années à venir, sur le risque d’une immigration trop importante dans un pays comme la France, “en lien” avec le réchauffement climatique. A ce problème-là, le FN ne répondra pas par des mesures humaines, on le sait.
Au final, quels résultats ?
Hugo Clément a retweeté l’article de Libération critiquant sa position, en expliquant avoir reçu des dizaines de messages d’électeurs RN intéressés et convaincus par ses propos. Info ou intox, on ne le saura jamais, alors je lui laisse le bénéfice du doute. Sur le thread, plusieurs lecteurs de VA ont acquiescé et trouvé ce débat pertinent.
Maintenant, on est en droit de se demander : combien de ceux-là vont réellement arrêter de manger de la viande, d’acheter sur Amazon, ou de voter pour un parti fasciste ? La question reste entière et personnellement, j’ai surtout peur que cela ne fasse que banaliser un peu plus la présence du FN, partout, sur tous les sujets, leur ouvrant royalement la voie aux prochaines élections.
Bien sûr qu’il faut parler d’écologie à tout le monde, mais pas en niant que si c’était un sujet véritablement apolitique, comme le certifie Hugo Clément. Sinon ça ferait longtemps qu’il intéresserait REELLEMENT tous les partis. L’écologie ne peut pas faire l’économie d’une réflexion anti-capitaliste, anti-raciste, féministe. Autant de sujets qui sont antinomiques avec le FN.