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Faut-il avoir honte de faire autre chose à son travail ?
Et voilà. Pour la troisième fois de la semaine, vous avez fini toutes vos tâches en début d’après-midi. La boutique est rangée et il n’y a pas de client.e.s, ou vos mails sont envoyés, ou vos entretiens sont finis, ou vos voitures, réparées. Finito.
Un coup de balai, quelques menues activités supplémentaires pour tenter de gagner du temps… Angoissé, vous constatez que vous n’avez gagné que quelques minutes. Et maintenant, que faire ? Oserez-vous vous occuper autrement ? Travailler sur un projet personnel, écrire, écouter de la musique, regarder un film ?
La pression sociale dans le milieu du travail fait que vous avez de grandes chances… de ne rien faire.
À la limite, rester sur les réseaux sociaux en fermant votre onglet dès que quelqu’un s’approche trop : on préfère encore faire semblant de travailler plutôt que de partir trop tôt, de peur d’être jugés par ses collègues, même quand on a fini tout ce que l’on devait faire. Dans la plupart des sociétés, on valorise souvent plus le temps passé à travailler que la qualité du travail lui-même.
Pourtant, encourager ses employés à faire autre chose s’ils ont des temps morts, ça peut être bénéfique autant pour l’individu que pour le collectif.
Politique zéro pression
Déjà, il faut bien garder en tête que tout le monde ne peut pas partir de son travail plus tôt. Plein de gens sont payés à l’heure et s’ils partent plus tôt, ils risquent d’être moins payés. D’autres doivent rester ouverts au cas où un client entrerait dans la boutique. Mais certains ont trouvé des solutions.
« On s’est un petit peu arrangé entre nous pour que les shifts soient plus longs. Finalement, ce qu’on encourage les employés à faire, c’est que si jamais ils ont des périodes avec aucun client, ils peuvent utiliser ce temps-là à leur discrétion. On autorise ceux qui sont étudiants à réviser, travailler, même à lire ou à voir un film, il n’y a pas de problème, tant que le travail est fait », explique Alexandre, gérant d’une fabrique artisanale de bières, qui ajoute n’avoir jamais eu de soucis avec aucun de ses salariés.
En temps de pénurie de main-d’œuvre, c’est un avantage qui est même mis en avant par Alexandre lors du recrutement.
« Pour moi, c’est aussi une façon d’amadouer de potentielles personnes qui pourraient venir travailler et ça fonctionne : d’un côté, je rivalise avec toutes les entreprises qui ont des salaires plus précaires qu’ici et de l’autre, notre boutique se démarque en autorisant le travail à côté », explique le manager. Il constate aussi que ses employés restent plus longtemps dans la coopérative, alors que la rotation de personnel est normalement élevée dans ce type de secteur.
Un cercle vertueux
Lutter contre ces temps morts, sans rajouter du travail à l’employé, ça permet d’atteindre un équilibre entre le « burn-out » et le « bore out », tous deux des épuisements professionnels.
Mouna Knani, spécialiste en santé et sécurité au travail, a étudié le deuxième phénomène : « Le bore-out, c’est l’inverse du burn-out, c’est soit une surchage de travail, mais monotone, sans défi, sans innovation, soit de la sous-charge de travail où l’employé s’ennuie pendant de longues heures. Ça peut mener à l’épuisement, à force d’être exposé de façon permanente à cette sous-charge de travail. »
Le bore-out correspond à des critères bien précis : ce n’est pas parce qu’on s’ennuie une heure ou deux dans sa journée qu’on risque l’épuisement professionnel.
« C’est normal d’avoir du temps mort, mais il ne faut pas qu’il devienne constant », rappelle la chercheure. D’où l’intérêt de voir avec son responsable s’il est possible de combler ses temps morts avec des activités personnelles, sans culpabiliser.
Cette souplesse est généralement très bien vue par les employés, d’où la bonne rétention d’Alexandre et son système. Les récentes recherches montrent aussi que cette souplesse permet des gains de productivité, un meilleur bien-être physique comme mental et une baisse de l’absentéisme.
« Dans le même style, on voit de plus en plus d’entreprises adopter le fameux 80-20 %, donc on accorde 20 % de sa journée pour faire des activités qui nous intéressent, que ce soit du divertissement ou des activités pour faire des affaires personnelles privées », témoigne Mouna Knani.
Une tendance qui va jusqu’à l’adoption de la semaine de quatre jours, avec quatre jours intenses et sans temps morts, et trois jours pour faire ce que l’on veut. Faire semblant de travailler, c’est fini : autant bien bosser, puis profiter d’avoir été efficace pour faire ce que l’on aime.