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« Fallout » et ce qui se trouve au bout du capitalisme
À l’origine, Fallout est un jeu vidéo postapocalyptique dont le premier volume est paru sur PC en 1997. Le concept était simple, efficace et révolutionnaire, pour l’époque : sans cadre social (ni conséquences à nos actions), on est libres de devenir qui on veut vraiment être, et le résultat n’est jamais très joli.
Avez-vous déjà largué une bombe nucléaire sur un petit hameau tranquille juste parce que ? Moi, oui. Ça change son homme !
Les jeux-vidéo n’ont jamais vraiment fait bon ménage avec le cinéma et la télévision, et ce, depuis cette infâme première tentative qu’était Super Mario Bros., en 1993. Plusieurs raisons expliquent cette incompatibilité : des horaires de production inadéquats, l’utilisation de talents marginaux, mais la raison principale pour laquelle les adaptations de jeux vidéo sont rarement réussies, c’est parce que leur histoire n’est (souvent) pas si passionnante que ça, si on n’y prend pas part personnellement en tant que joueur ou joueuse.
C’est un problème que Fallout n’a jamais eu. Basée sur un territoire sauvage et contaminé regorgeant d’histoires aussi riches que tragiques qui n’ont pas besoin de tant d’engagement pour livrer un impact émotionnel, la franchise était mûre pour une adaptation télé. Et depuis jeudi dernier, c’est maintenant chose faite et le Fallout de Geneva Robertson-Dworet et Graham Wagner est tout à fait à la hauteur de son matériel d’origine !
Un nouveau Far West pas tant souhaité
Fallout (la série) raconte l’histoire de Lucy (Ella Purnell, qu’on a vue dans Yellowjackets), une jeune femme ayant grandi dans une voûte antinucléaire suite à une apocalypse ayant eu lieu dans les années 1960. Lorsque des habitants de la surface s’étant fait passer pour ceux d’une voûte voisine envahissent la sienne, assassinent une partie de sa communauté et kidnappent son père (oui, ça brasse en ti-pépère), Lucy décide de partir à sa recherche.
Au-delà de l’histoire de Lucy ou de celles de Maximus (Aaron Moten) ou Cooper Howard (interprété par le toujours excellent Walton Goggins), Fallout présente un portrait de ce dont le monde aurait l’air si nous étions les seuls responsables de notre bien-être, comme plusieurs enthousiastes de l’armement en rêvent chez nos voisins du Sud. Un retour au Far West, où l’individu se faisait lui-même justice sur son lopin de terre.
La romanticisation de l’Ouest américain dans la culture populaire ne date pas d’hier. Le cowboy, avec sa confiance stoïque, armé de son fidèle six-coups et la belle en détresse sont tellement ancrés dans l’imaginaire collectif qu’ils n’ont besoin que d’exister pour faire la promotion de valeurs conservatrices. Chaque fois qu’on raconte un Western, on en revient à cette vision du monde monolithique qui date du XIXe siècle. Sauf si on veut démontrer que c’était pas si marrant que ça, vivre dans un monde sans foi ni loi.
Voilà un des nombreux messages que Fallout fait très bien passer au fil de ces huit épisodes à l’atmosphère aussi chargée que tendue : on ne peut pas retourner dans le passé.
Revenir aux conditions du far west serait envisageable seulement si une catastrophe majeure en venait à faire tomber le filet social. Non seulement la figure du cowboy y est pervertie et présentée comme un homme corrompu qui pourrit littéralement depuis 200 ans, mais on y questionne aussi celle du chevalier (sur laquelle le cowboy se base à l’origine) à travers le personnage de Maximus et de son association au Brotherhood of Steel.
Comme son matériel d’origine, Fallout brasse la cage en ti-pépère. Mais ça brasse des idées, aussi. C’est de l’art engagé à sa manière et, personnellement, j’ai trouvé cette vision beaucoup plus engageante et confrontante que bien des œuvres qui affirment plus haut et plus fort leur propre engagement.
C’est toujours la faute du maudit capitalisme
Une autre spécificité de l’univers de Fallout, c’est cette vision du monde triomphaliste des années cinquante dont les habitants des voûtes sont prisonniers depuis que le temps s’est arrêté. C’était une époque où le mode de vie capitaliste n’était que très voire trop peu critiqué et où tout le monde pourchassait la richesse dans l’eldorado d’après-guerre. Un peu comme les pionniers poursuivaient l’or dans le Far West, d’ailleurs.
Mis en abyme dans un monde dévasté par la puissance de l’armement nucléaire par le truchement de flashbacks et du personnage de Bud Askins (Michael Esper), le capitalisme utopique du siècle dernier apparaît dans la série comme une compétition sanguinaire visant à éliminer toute forme de vision du monde qui pourrait différer de celle que l’on essaie de mettre en marché.
C’est peut-être ici la déclaration la plus forte que fait Fallout et elle la fait avec patience et timing : un monde où on veut tout pour soi-même, c’est un monde petit, laid et où il est impossible que quoi que ce soit ne change.
Fallout écorche aussi une autre vision typique de la droite politique à travers sa représentation de la vie des « privilégiés » dans les voûtes. Celle d’une classe sociale qui s’estime supérieure par sa capacité de se mettre à l’abri des maux qui rongent la population ordinaire, mais qui, au fond, est manipulée par une menace qui devient, au fil des générations, aussi intangible qu’omnipotente. Encore une fois, ça fait réfléchir sans jamais prendre de raccourcis plates ou même de formules consacrées.
Les huit épisodes de Fallout sont disponibles depuis le 11 avril dernier sur Amazon Prime Video et ça se regarde fiévreusement, le temps d’un week-end. Peu importe si vous avez joué aux jeux vidéo ou non, je vous le recommande chaudement.