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Faites entrer l’accusée (à tort)

GAV et comparution immédiate : ou comment l'Etat fait tout pour briser le mouvement social.

Par
Lola Buscemi
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Lundi 27 mars 2023 au Tribunal de Paris. Accompagnée d’un policier, Julie* entre dans le box des accusés. Elle cherche des yeux ses amis présents dans la salle, et leur sourit, comme pour les rassurer. Au moment de la suspension d’audience, un de ses amis dira à un autre : “T’as vu comme elle se tenait toute droite, très fière ?”. Elle est née en 95, est étudiante et travaille dans une librairie parisienne, le Monte en l’air. Sur le banc, la jeune femme a l’air un peu perdue et très fatiguée. Et pour cause, elle vient de vivre quatre jours privée de liberté. Elle l’expliquera plus tard, quand le juge lui permettra de s’exprimer. Après avoir passé 48 heures en garde à vue, sans papier toilette et sans pouvoir réellement dormir, Julie sera transférée à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pendant deux jours, en attendant son audience. Pourtant, Julie a un casier judiciaire vide.

La jeune femme aux cheveux bruns est accusée d’avoir “participé à des actes de violences et dégradations, et à une manifestation avec visage dissimulé” lors de la manifestation du jeudi 23, à Paris, mais aussi d’avoir refusé de donner son code de téléphone et ses empreintes au commissariat. Les forces de l’ordre affirment l’avoir vue jeter des projectiles dans leur direction pendant la manifestation. Alors qu’elle chute au moment d’une charge des CRS, elle se fait traîner à terre, interpellée, puis menottée. Julie clame son innocence et dénonce ses conditions d’interpellation, ainsi que sa privation de liberté de 95 heures.

« Cette arrestation arbitraire est un message de l’État »

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Après quelques minutes de délibération, la juge annonce à Julie que sa garde à vue est annulée et qu’elle est, par conséquent, relaxée. Dans la salle du tribunal, les personnes venues en soutien applaudissent la décision de justice, avant d’être rappelés à l’ordre par la juge qui assène l’audience d’un : “Vous vous croyez au spectacle ?”. La jeune femme sortira libre du tribunal, mais ne recevra aucune excuse ou dédommagement pour les quatre jours qu’elle a passés privée de sa liberté. “Cette arrestation arbitraire est un message de l’État”, affirme Sana Belaïd, libraire et membre de la CGT Librairie, venue soutenir Julie.

Cela fait presque trois mois que les manifestations contre la réforme des retraites ont commencé et le cas de Julie est assez symptomatique de la politique de maintien de l’ordre observée. Après son arrestation musclée, la jeune femme a attendu près de deux heures dans le bus de la Police, avant d’être transférée au commissariat. Le bus ne part pas tant qu’il n’est pas rempli. Cette procédure, à la frontière du légal, a souvent été mentionnée et critiquée pendant les différentes audiences au Tribunal. Les policiers parlent de “circonstances insurmontables” propres aux manifestations, qui justifieraient le délai, parfois de plusieurs heures, entre le passage de menottes et la lecture des droits au commissariat.

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La loi prévoit une durée initiale de 24 heures pour une garde à vue. Ensuite, le magistrat de garde est appelé et choisit de prolonger cette dernière à 48 heures pour les nécessités de l’enquête ou de l’arrêter. “Il n’y a aucune automaticité à la durée de 48 heures et c’est même l’inverse. La loi prévoit que ça dure 24 heures. C’est seulement dans des cas spécifiques que doivent justifier les policiers que la prolongation des gardes à vue leur est accordée par le procureur”, rappelle Kim Reuflet, magistrate et présidente du Syndicat de la magistrature. Dans le cas des arrestations au cours des manifestations, le choix s’est presque systématiquement porté sur la prolongation.

Des GAV pour rien

Pourtant, prolongées ou non, la plupart des gardes à vue n’aboutissent à rien. La grande majorité des manifestants arrêtés sont retenus plusieurs heures au commissariat, avant d’être relâchés sans poursuite. Les procédures sont classées sans suite, pour infraction insuffisamment caractérisée ou absence d’infraction. Le jeudi 16 mars, 292 gardes à vue ont été prononcées à Paris. Seules neuf ont donné lieu à un défèrement. Du 16 au 25 mars, selon les chiffres de la Chancellerie, seuls 26% des 1 346 personnes interpellées ont été poursuivis par la justice. “Il y a un taux anormalement élevé de gardes à vue qui se terminent par des classements sans suite. C’est le signe qu’il y a une utilisation dévoyée de la garde à vue et un abus de cette possibilité de priver les manifestants de leur liberté d’aller et venir pour les empêcher de manifester et les dissuader d’y retourner”, pointe du doigt Kim Reuflet.

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Ces pratiques soulèvent un fort sentiment d’injustice et donnent lieu à une mobilisation de plus en plus forte des citoyens, collectifs et syndicats.

Sophie, une parent d’élève, se mobilise face à cette répression policière. Après la mise en garde à vue de mineurs qui n’avaient “vraiment rien fait”, elle a décidé d’intégrer le collectif Anti répression Lycées pour demander aux ministres de l’Éducation et de l’Intérieur de mettre un terme à la violence qui s’exerce à coups d’interpellations et de gardes à vues sur les jeunes militants. Désormais, à chaque blocus, un parent d’élève est présent pour être observateur et médiateur avec les policiers. Yves*, lui, est retraité, mais se dit “profondément” choqué par le traitement que reçoivent les jeunes qui manifestent. Alors il se présente au Tribunal, pour chaque audience de manifestants, pour montrer son soutien à coups d’exclamations et de soupirs bruyants.

« Ces arrestations n’avaient vocation qu’à empêcher la manifestation populaire »

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Le 31 mars, un ensemble d’avocats a annoncé qu’une centaine de plaintes avaient été déposées pour dénoncer des “arrestations et détentions arbitraires”. Les plaintes mettent en cause les forces de l’ordre et la justice. Elles se basent sur trois infractions : atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne dépositaire de l’autorité publique, non-intervention pour l’arrêt d’une privation de liberté illégale et entrave à la liberté de manifester. “De notre point de vue, ces arrestations n’avaient vocation qu’à empêcher la manifestation populaire”, affirme maître Coline Bouillon, une des avocats des victimes.

Dans la salle 602 du tribunal, dévolue aux comparutions immédiates, Marie* fait son entrée. Elle a 23 ans mais en fait cinq de moins et semble avoir l’esprit ailleurs. La jeune femme est française mais fait ses études à Amsterdam. Le 28 mars, elle a fait partie des 201 personnes arrêtées sur le territoire au cours de cette dixième journée de manifestations. La jeune femme est accusée d’avoir jeté des bouteilles en plastique sur les forces de l’ordre et d’avoir dissimulé son visage. Comme Julie et beaucoup d’autres, elle a passé 48 heures en garde à vue. La jeune femme ayant pris la décision de bénéficier d’un délai supplémentaire pour mieux préparer sa défense, ce sont les modalités mises en place en attente du jugement qui sont discutées. Le procureur pointe du doigt l’attitude de la jeune femme, qui se tient pourtant bien.

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La répression comme seule réponse

Dans son regard perdu, qui semble se demander ce qu’elle fait là, le Procureur y voit “une défiance injustifiée face à la justice”. Il demande un contrôle judiciaire avec interdiction de quitter la France et donc de reprendre ses études aux Pays-Bas, une interdiction de manifester, ainsi qu’une obligation de se présenter une fois par semaine au poste de police. Le juge a félicité les policiers que Marie visaient avec ses projectiles, pour ne pas avoir porté plainte. “Certains parlent d’un acharnement policier, voici la preuve qu’il n’en est rien”, a-t-il dit. Yves, présent également à cette audience, a été contraint de quitter la salle après avoir lancé un “la honte!”. L’avocat de Maris insiste : “La liberté doit toujours primer. Manifester est un droit”. La sentence tombe : en attendant son jugement, la jeune femme a l’interdiction de participer à une manifestation publique sur Paris et en Île-de-France, sous peine d’être incarcérée.

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Gardes à vues abusives et préventives, interdiction de manifester… tout est fait pour casser le mouvement social. Des pratiques qui se sont répandues depuis le mouvement des Gilets Jaunes. La réponse d’Emmanuel Macron face à la colère des citoyens à souvent été la répression. Face à ces citoyens, associations, syndicats d’avocats et de magistrats et des politiques de gauche qui ne cessent d’alerter le gouvernement sur la répression policière disproportionnée et attentatoire à la liberté, Gérald Darmanin a dénoncé un sport national qui consiste à salir les policiers et les gendarmes” et félicite les forces de l’ordre qui arrivent à éviter les morts. Laurent Nunez, préfet de Police de Paris, a affirmé qu’il n’y avait pas “d’interpellations injustifiées”.

*Certains prénoms ont été modifiés