Tout le monde sait bien que les meilleurs toilettes, ce sont les toilettes de sa propre maison. On s’y sent bien, tranquille. On sait que ça fonctionne bien, que c’est propre (à quelques poils près). Et, surtout, on fait notre business en paix, sans personne à côté (à moins d’être parent ou d’avoir un partenaire vraiment, vraiment open).
Malheureusement, le commun des mortels passe plus de huit heures par jour à l’extérieur de sa maison, au travail. Et c’est là que ça se complique. Des employeurs refusent l’accès aux toilettes à leurs employés, prétextant qu’ils abusent de leurs « privilèges » de pause-pipi. D’autres boss surveillent les pauses aux toilettes. On invente des trucs comme les toilettes inclinées pour être certain que les travailleurs soient inconfortables et qu’ils fassent caca en vitesse. En bref, les patrons n’aiment pas trop ça, qu’on fasse nos besoins d’humains normaux durant nos précieuses heures de travail payées. Ton p’tit pipi, tu le gardes pour chez toi!
« Il n’y a rien de pire que de devoir se retenir ou d’hésiter à deux fois avant d’y aller parce qu’ils sont sales, malodorants, etc. »
Pourtant, avoir accès à des toilettes propres, et au moment où l’envie nous prend, est un facteur déterminant de la qualité de vie au travail. « Or la qualité des toilettes est un vrai facteur de qualité de vie au travail. Il n’y a rien de pire que de devoir se retenir ou d’hésiter à deux fois avant d’y aller parce qu’ils sont sales, malodorants, etc. Cela donne l’impression que l’entreprise ne se préoccupe pas des conditions de travail. Les salariés se sentent alors en manque de reconnaissance », dit Denis Monneuse, sociologue et expert associé à l’Institut de l’entreprise, en France, au magazine Atlantico. Selon lui, les toilettes sont encore un sujet tabou en entreprise, ce qui fait qu’ils manquent souvent d’aménagement, et sont peu appréciés des employés. « Pour la discrétion, les salariés préfèrent des toilettes un peu à l’écart, avec des portes totalement fermées, sans laisser voir par en dessous grâce aux chaussures par qui ils sont occupés. L’épaisseur des murs compte aussi pour garantir l’insonorisation », avance-t-il.
Préférer torturer ses intestins
On est loin, alors, des toilettes communes de la plupart des grands bureaux nord-américains, par exemple! Très peu intimes, les cabines ne sont souvent pas insonorisées, et très peu discrètes – bonjour les craques dans les portes qui nous laissent faire du eye-contact avec notre voisin d’en face pendant qu’il lâche un p’tit pet! Résultat : par gêne ou par poop-shyness, des employés sont forcés de se retenir toute la journée. #torture
Les TROIS QUARTS des Canadiennes se retiennent de faire caca ailleurs que dans leur propre maison!
Et, comme de fait, c’est un problème qui touche plus particulièrement les femmes, qui sont victimes de ce qu’on appelle le poop-shaming. Oui, oui! Parce qu’une femme féminine cute-cute, ça ne fait pas caca, hein?
« Au travail, j’use de stratagèmes pour aller faire un #2 en toute discrétion. Je change d’étage, par exemple, pour être certaine de ne croiser aucun de mes collègues. Ou j’utilise la toilette pour personnes handicapées, au rez-de-chaussée – ce qui, j’en conviens, n’est pas très éthique. Mais il faut ce qu’il faut! », affirme Véronique, 34 ans, qui travaille dans une agence média. Selon elle, elle n’est pas la seule femme de son bureau à user de stratégie pour un toilet break en paix.
« Quand je ne peux vraiment plus me retenir, je prends ma voiture sur mon heure de repas pour retourner à la maison pour aller faire caca, dit Julie, 26 ans. Je trouve ça tellement con, mais je n’y arrive tout simplement pas au travail. »
Il existe même un terme, le scatological standoff (ou « face-à-face scatologique ») qui désigne le fait qu’une femme attende que sa voisine-de-cabine fasse caca en premier pour pouvoir déféquer, lorsque les deux se trouvent côte à côte, au travail. Il a été inventé par Sarah Albee, autrice du livre Poop Happened.
Et cette gêne n’est pas que mentale, selon la gastro-entérologue Robynne Chutkan, qui, dans une entrevue pour Terrafemina, affirme qu’il « existe de profondes différences entre les voies digestives féminine et masculine, à commencer par la densité du côlon, qui est plus long chez les femmes ». Moins facile pour elles, donc, de se soulager – en public ou pas.
Le problème est si répandu que certains parlent même du #pooptriarcat, qu’on pourrait traduire par quelque chose comme #patriarcaca?
Outre le stress, cette honte chez les femmes peut mener à des problèmes physiques. Elles affichent des taux plus élevés d’irritation du colon et de maladies inflammatoires de l’intestin, par exemple, et elles sont plus constipées que les hommes. Le problème est si répandu que certains parlent même du #pooptriarcat, qu’on pourrait traduire par quelque chose comme #patriarcaca? Les inégalités et les doubles standards qui suivent les femmes jusque sur le bol en disent long sur la société pensée par et pour les hommes. Comme si les femmes n’avaient pas déjà assez de merde à gérer, ont dit les journalistes Jessica Bennett et Amanda McCall.
Comment remédier à la situation? En parler, premièrement. Dé-tabouiser la chose. Apprendre aux jeunes femmes qu’aller aux toilettes, c’est naturel. Demander de meilleurs w.c. à nos boss. Et, si on est un patron, avoir en tête nos employés – surtout nos employéEs – quand vient le temps de penser à l’architecture des cabinets d’aisances.
L’important, c’est de se rappeler qu’au bureau – ou ailleurs – tout le monde fait caca!
#fairecacaenpaix2020