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Expatriée au Québec, je ne sais pas si, ni quand je reverrai mes proches

Dis, quand reviendras-tu?

Par
Daisy Le Corre
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La dernière fois que j’ai mis les pieds en France, c’était le 17 janvier 2020 pour l’enterrement de ma grand-mère. En venant vivre au Canada, c’était le moment que je redoutais le plus depuis mon départ: et si, pour X raison, je ne pouvais pas venir lui dire au revoir une dernière fois, le moment venu? Finalement, la vie a fait en sorte que je puisse lui rendre un dernier hommage entourée des miens au fin fond de la Bretagne, avant de repartir 2 jours plus tard à Montréal.

Et puis le vendredi 13 mars 2020, tout a changé. À deux mois près, je n’aurais pas pu sauter dans un avion comme je l’ai fait mi-janvier, le cœur en miettes et l’esprit en vrac. Depuis la pandémie et le confinement, ça me hante. Si ça avait été le cas, je ne sais pas comment j’aurais réagi ni l’impact que cela aurait eu sur mon quotidien et mon mental. «Avec des “si”, on mettrait Paris en bouteille», je sais bien. Je m’estime donc chanceuse.

Mais, comme beaucoup d’autres Français.es qui ont choisi de vivre à l’étranger, cette crise sanitaire qu’on est en train de traverser me met face à une autre question sans réponse: quand vais-je pouvoir revoir mes parents, ma soeur, mes neveux, l’esprit tranquille? «J’ai du mal à accepter cette situation, jamais je n’aurais pensé être confrontée à cela», m’a confié ma mère par Skype ce week-end, m’avouant pour la première fois, en avoir gros sur le cœur. «Je ne suis pas croyante mais je commence à prier pour que ta sœur (ndlr: elle vit en banlieue parisienne) puisse venir nous voir en août malgré tout. Et quand je pense à toi, ça me rend folle de penser que je ne vais pas pouvoir te revoir avant 2021». Elle ne se fait pas à l’idée qu’on ne fêtera pas les 2 ans de sa petite-fille franco-canadienne ensemble cet été, qu’on ne passera peut-être pas Noël ni le nouvel an ensemble, etc.

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Techniquement, je pourrais rentrer en France, à condition de respecter la quarantaine qui oblige actuellement les Français venus de l’étranger à s’isoler 14 jours. Au programme des «vacances»: l’interdiction de sortir de son domicile, sauf exceptions spécifiquement autorisées, ou l’interdiction de fréquenter certains lieux ou catégories de lieux. Bref, pas sûre de pouvoir aller faire trempette sur une plage avec mes parents si jamais je rentrais. Autre bémol de taille: pour un.e expat’ du Québec, comme moi, qui a deux semaines de vacances par année (voire trois pour les chanceux ou les fayots), c’est mission impossible. L’équation ne fonctionne pas.

Sans parler du virus lui-même: la peur d’être porteuse saine, la peur de le choper en chemin, la peur de les contaminer, la peur de ne pas respecter à la lettre les consignes et les gestes barrières, la peur de tout. La peur de plus savoir quoi faire du tout.

«Je ne t’ai pas dit mais depuis mon article sur ce que l’avenir nous réserve, je suis en contact avec une autre astrologue: la fille d’Elizabeth Teissier, elle vient de m’envoyer ses prédictions. Elle dit que ça va être compliqué jusqu’en… 2024, je la cite: “l’indice cyclique dessine une première grande zone d’instabilité entre 2020 (le 5 avril) et 2024 (angle 100°). Le contexte de crise reste présent pendant (au moins) ces quatre années”. Bref, j’ai décidé de ne pas la croire cette fois!». Ma mère n’a pas pu se retenir, oubliant au passage que les astrologues restent… des astrologues. «Mais ça va pas! Ce n’est pas une vie de ne pas savoir ce qu’on fera demain ni après-demain, de ne pas voir ses enfants ni ses petits-enfants. À quoi bon? J’aurai quel âge en 2024, moi? Et toi? Papa aura déjà 76 ans, tu imagines. C’est n’importe quoi».

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J’ai coupé court. Je n’avais pas l’envie ni la force de me mettre à penser, en plus du reste, aux vieux jours de mes parents. D’autant que le cercle est extrêmement vicieux: et si, pour X raison ou à cause d’une pandémie, je ne pouvais pas venir leur dire au revoir une dernière fois, le moment venu? Non, j’aime trop la vie et ses aléas pour y répondre. Pas maintenant.

«Attends maman, je ne te vois qu’à moitié là… Rallume ton ordi et rappelle-moi, il doit y avoir un bug de connexion internet. Ou alors, encore mieux: utilise le forfait que tu as pour m’appeler depuis ton fixe sur mon téléphone canadien, on s’entend mieux en général, ça ne coupe pas. Ok? Maman, tu m’entends?». Voilà à quoi ressembleront nos prochaines discussions plus ou moins profondes, par écrans interposés en oubliant ces coupures qui jalonnent nos échanges. Qu’importe. En attendant de pouvoir les serrer dans mes bras et de savourer, à nouveau, de précieux moments avec eux: internet est notre Graal.

– «Quand je pense qu’à une époque, je t’ai interdit d’avoir un ordinateur et internet… C’est fou!»

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– «Ça te faisait flipper, c’est normal. Les temps changent, maman. On se rappelle demain?»

– «Oui, oui, bisous»