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Salt Lake City, Utah. Ses 200 000 habitants, ses montagnes enneigées, ses immenses avenues et, en son centre, Temple Square, l’immense domaine du siège mondial de l’Église mormone. Fondée par des mormons pour les mormons, la capitale de l’Utah s’érige comme le point de ralliement de ces derniers mais aussi, plus récemment, de ceux qui claquent la porte de l’Église Jésus-Christ des Saints Derniers jours (LDS Church en anglais).
De plus en plus nombreux, ceux qui se surnomment les « exmos » – contraction de ex-mormons – s’émancipent de l’Église et de ses principes archaïques et discriminants. Les exmos, dont beaucoup sont membres de la communauté LGBTQI+, font le choix de parler ouvertement de leur expérience et d’exposer les traumas qu’engendre la doctrine mormone. Laissant derrière eux temple et famille, ils recréent sur Youtube, TikTok, Reddit mais aussi dans la vraie vie, une nouvelle communauté plus libre où café, cigarettes et plaisir intime sont autorisés.
Salt Lake City, symbole d’un empire en déclin
Dans Temple Square, centre du monde pour les 16 millions de mormons sur la planète, les bâtiments sont lisses, carrés, rien ne dépasse. Les allées sont bordées de gazon d’un vert éclatant, de fontaines et de parterres de fleurs qui semblent ne jamais se faner. Des allures de Jardin d’Eden parfois aux antipodes du reste de la capitale, élue comme l’une des pires villes des Etats-Unis où vivre, selon 24/7 Wall St.
L’Église étant la seule à détenir les registres d’inscription et la transparence n’étant pas vraiment une de ses valeurs, il est difficile de connaître précisément le nombre de mormons présents dans la ville. Mais déjà en 2018, seulement 49% des habitants étaient mormons, soit le pourcentage le plus bas jamais observé depuis les années 30, rapporte le journal Salt Lake Tribune.
« Être Mormone n’était pas que ma religion, c’était ma vie. Cela a affecté toutes les décisions que j’ai prises au cours de ma vie. »
Kayla White, ex-mormone, nous raconte son passé récent : « Être mormon signifiait suivre des règles très strictes. Nous ne pouvions pas porter de débardeurs ou de shorts au-dessus du genou. Nous n’avions pas le droit de boire de l’alcool ou du café. Nous n’avions pas le droit de jurer ou de regarder des films classés “R”. Le sexe avant le mariage était un énorme non. Même la masturbation n’était pas autorisée. On nous encourageait à trouver des amis qui sont également mormons et qui nous aideraient à respecter nos “normes élevées”. Être Mormone n’était pas que ma religion, c’était ma vie. Cela a affecté toutes les décisions que j’ai prises au cours de ma vie. »
La coquille fendue se brise
Bien souvent, le besoin de partir naît d’un doute sur les enseignements de l’Eglise. Une fois présent, impossible de l’ignorer. Il se creuse jusqu’au moment décisif, que les exmos appellent « l’instant où ma coquille s’est brisée ». Pour Danielle Szasz, qui a quitté l’église à 22 ans, ce fut simplement de voir un couple d’amies heureuses et de réaliser que ces personnes qu’elle aimait ne seraient pas acceptées par sa religion. « Je n’avais plus la force de faire la gymnastique mentale de devoir accepter cela ».
« Lorsque mon fils aîné est arrivé à quelques mois de ses 8 ans, j’ai réalisé que je redoutais son baptême », relate Kayla, avec beaucoup d’émotion. « Je n’arrivais pas à déterminer d’où venaient ces sentiments, alors j’ai commencé à faire des recherches. Il est fortement déconseillé aux mormons de consulter des informations sur l’Église qui ne proviennent pas directement de l’Église elle-même. J’étais terrifiée à l’idée de consulter des ressources extérieures. » Elle a fini par quitter l’Église peu de temps après.
« Quand on voit les autres vivre une super vie sur Instagram, c’est là qu’on se demande : est-ce que je suis vraiment en train de vivre comme je l’entends ? »
Aujourd’hui en couple avec une femme, Sal Osborne était à l’époque dans un mariage hétérosexuel. Mais un jour, c’est la grande déception. Son ex-mari tombe sur des informations concernant le fondateur du mormonisme, Joseph Smith. Ce dernier aurait eu entre 30 et 40 femmes, certaines étant déjà mariées et d’autres mineures. « Moi, je ne voulais pas y croire car on te dit de ne pas écouter les informations qui ne viennent pas de l’Église et de ne pas faire tes propres recherches. » Sa prise de conscience prendra un peu plus de temps et finit par claquer la porte de l’église en 2017.
Les réseaux sociaux comme nouveau salut
Les réseaux sociaux sont la nouvelle menace numéro 1 pour la LDS. Cette grande fenêtre ouverte sur le monde inquiète, et l’Eglise tente de réduire au maximum son utilisation par ses fidèles. « Quand on voit les autres vivre une super vie sur Instagram, c’est là qu’on se demande : est-ce que je suis vraiment en train de vivre comme je l’entends ? », se souvient Sal Osborne.
Danielle Szasz est aujourd’hui thérapeute du mariage et de la famille à Salt Lake City. Spécialisée dans la transition de foi, notamment auprès des communautés queer, elle aide beaucoup de mormons. Pour elle, il est clair que cette tendance de départ ne risque pas de s’inverser. « Aujourd’hui, il est beaucoup plus simple d’avoir accès à des informations contestant les dires de l’Eglise et même des preuves de la fausseté de tout ce qu’on apprend depuis notre naissance. Progressivement, de plus en plus de personnes partiront », assure-t-elle.
Pour les exmos, pas question de disparaître sans un mot. La volonté de devoir aider son prochain, enseignée par l’Eglise, reste très forte, et c’est tout naturellement que cela se fait sur les mêmes plateformes qui les ont aidés à s’émanciper. Sous le hashtag #exmo, le concept est simple : raconter sans filtre la vie au sein de l’Eglise et pourquoi ils ont décidé de la quitter. Sur son compte @light.after.leaving, Jante Wilson parle de la maltraitance des enfants au sein de l’Eglise. Ty et Shawnee, sur leur chaîne @confesionsfto, déballent leurs stress post-traumatiques liés au départ. Max, lui, se confie sur son compte @formerdaysaint et révèle les sous-vêtements religieux imposés et les affaires de polygamie dans sa propre famille. Les ex-mormons témoignent tous à visage découvert, parfois même avec leur vrai nom.
Le plus dur, c’est d’en sortir
Si prendre la décision de quitter la communauté mormone est difficile, c’est souvent à l’extérieur que le plus rude commence. « La chose la plus difficile quand on quitte l’église, c’est d’avoir l’impression de ne rien savoir. Lorsque nous sommes partis, j’ai dit à mon mari que j’avais l’impression de faire du sur-place au milieu de l’océan, sans savoir dans quelle direction se trouvait la Terre », compare Kayla. Ce sentiment de désarroi, beaucoup le partage.
C’est dans ces moments-là que la communauté des exmos joue sans doute son rôle le plus important. Elle dépasse la barrière des écrans, et ils se retrouvent en personne pour s’épauler dans cette transformation de vie. Des conférences et groupes de soutien sont organisés régulièrement. Le site Quitmormon.com, créé par l’avocat Mark Naugle, prend le relais sur le processus de démission de l’Eglise. Les ex-membres n’ont pas à affronter les leaders pour leur expliquer la raison de leur départ et sont protégés légalement contre la visite à leur domicile de missionnaires voulant les récupérer. Peu importe la structure d’aide mise en place, tous critiquent le manque d’implication de l’Etat dans ce phénomène de société et, de manière générale, dans la préservation de la santé mentale des Américains.
Pour les personnes queers, c’est encore un autre combat. « Everybody is welcome ! », déclare aujourd’hui l’Eglise, qui sent le vent tourner. Mais le mariage homosexuel est pourtant toujours condamné et considéré comme un pêché grave. « C’est comme écrire “je vous déteste” en lettres roses », ironise Sal. L’Eglise a d’ailleurs souvent été pointée du doigt pour sa responsabilité dans le taux de suicides très important de l’Utah, qui concerne majoritairement des jeunes membres de la communauté LGBTQI+.
Depuis son plus jeune âge, Sal avait intégré que l’homosexualité était une abomination. « Nous n’en parlions pas, c’était très tabou. Je sentais au fond de moi que ce n’était pas quelque chose d’acceptable, je ne me donnais même pas la peine de demander », se rappelle-t-elle.
« L’homophobie, la transphobie et le conditionnement de la pureté sexuelle peuvent être très traumatisants pour les populations queer », affirme Danielle Szasz. Des thérapeutes spécialisées comme elle, à Salt Lake City, il y en a d’autres. On retrouve aussi des coachs de vie, comme ceux de Happy Whole Way, qui se donnent pour mission “d’apprendre aux femmes les outils pour reconstruire leur vie après une transition religieuse“.
Et dans cette ville, où l’Eglise mormone régnait depuis sa création sur de nombreux business, les ex-mormons représentent aujourd’hui un marché grandissant et très attrayant pour les professionnels auto-proclamés du bien-être. This is America.