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Euphoria a un je-ne-sais-quoi

Maintenant que la deuxième saison est terminée, il est temps d’essayer de comprendre ce qui vient de nous frapper.

Par
Benoît Lelièvre
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*Cet article contient certains spoilers de toute la série.*

Si vous n’étiez pas familier ou familière avec la série Euphoria à la conclusion de sa première saison en 2019, vous l’êtes probablement aujourd’hui. Présentée du 9 janvier au 27 février dernier, la deuxième saison fut un succès monstre. Pendant huit semaines, il était quasi-impossible d’exister sur les réseaux sociaux sans apercevoir une conversation, un mème ou simplement une époustouflante capture d’écran hors contexte dans le genre :

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La fièvre Euphoria m’a d’ailleurs atteint dès le deuxième épisode. Au courant de la semaine suivante, je me suis claqué la première saison en rafale (j’ai pleuré un peu à la fin) et je me suis joint au culte. Pour la première fois depuis la première saison de True Detective en 2014, j’avais l’impression de faire autre chose que simplement tuer du temps en regardant une série. Qu’il y avait quelque chose d’important qui se passait à l’écran. Une évolution dans notre façon de raconter des histoires.

Beaucoup de gens seront d’accord avec moi si je dis qu’Euphoria a un je-ne-sais-quoi, mais c’est quoi, au juste ? Maintenant que la deuxième saison est terminée, il est temps d’essayer de comprendre ce qui vient de nous frapper.

« Réalisme émotionnel » et réel merveilleux (juste un p’tit peu)

Pour les non-initié.e.s, Euphoria raconte l’histoire d’un groupe d’ados qui cherchent leur place dans le monde. Plus spécialement Rue Bennett (jouée par l’incroyable Zendaya), devenue polytoxicomane après la mort de son père. C’est vaguement inspiré d’une série israélienne qui porte le même nom, mais le mot clé ici est « vaguement ».

La manière de raconter l’histoire est aussi importante que l’histoire elle-même et cette manière de raconter est toute nouvelle.

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Il y a bel et bien une histoire qui est racontée, mais vaguement. L’une des nombreuses qualités qui rendent Euphoria unique, c’est cette esthétique à mi-chemin entre le réalisme cru et le réel merveilleux, qui fait en sorte que ce n’est pas si important que ça de comprendre exactement ce qui se passe. Dans Euphoria, le contenant est aussi important que le contenu. La manière de raconter l’histoire est aussi importante que l’histoire elle-même et cette manière de raconter est toute nouvelle. Le créateur Sam Levinson et son directeur photo Marcell Rév ont baptisé ça « le réalisme émotionnel ».

Qu’est-ce que c’est que ça le réalisme émotionnel ? « On a appelé ça “réalisme émotionnel”, mais c’est pas vraiment ancré dans le réalisme », expliquait Sam Levinson à Deadline. « C’est basé sur les émotions des personnages et comment ils perçoivent le monde autour d’eux plus que sur ce à quoi le monde qui les entoure ressemble vraiment. »

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Le réalisme émotionnel de Sam Levinson et Marcell Rév était déjà présent dans la première saison à travers des jeux de lumière irréels, des altérations subtiles au quotidien des personnages et une utilisation majestueuse de la musique, notamment avec la finale mémorable mettant en vedette les talents de chanteuse de Zendaya. La saison qui vient de se terminer applique la même logique, mais avec une bonne dose de stéroïdes créatifs.

Ça se traduit à l’écran par une série de décisions audacieuses qui renversent les règles de la narrativité sans affecter la crédibilité du récit. Par exemple, une scène de la saison 1 où le décor commence à tourner sur lui-même alors que Rue traverse un corridor en état d’ébriété lors d’un party :

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Vous me direz que cette mécanique visuelle n’est pas nouvelle qu’elle a été employée il y a plus de dix ans par Christopher Nolan dans une scène d’Inception. Vous avez raison. Sauf qu’il n’y a aucun élément surnaturel ou rattaché à la science-fiction dans Euphoria. Cette mécanique est purement figurative. Elle sert à illustrer l’état de confusion dans lequel Rue se trouve. On revient au réalisme à la scène suivante sans rien devoir expliquer.

La scène de la saison 2 où le personnage de Kat affronte littéralement ses critiques intérieurs en est un autre magnifique exemple. Les critiques existent le temps d’une scène et disparaissent par la suite, sans que ce ne soit jamais questionné.

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Dans Euphoria, la réalité se conforme aux sentiments des personnages et non le contraire, parce que quand on est ado et qu’on vit les choses pour la première fois, tout est plus grand que nature. Les coups font plus mal. Les doutes sont plus forts. Les amours plus fusionnels. C’est pour ça qu’on n’oublie jamais l’adolescent.e qu’on a été et le triomphe d’Euphoria est d’illustrer cette intensité émotionnelle avec une précision qui transcende le besoin de réalisme.

Beaucoup plus qu’une série pour ados

Bien que les protagonistes d’Euphoria soient majoritairement des adolescent.e.s et de jeunes adultes, il ne s’agit pas exactement d’une série jeunesse. Plusieurs lui reprochent de promouvoir l’usage des drogues et déplorent la prolifération de pénis à l’écran, mais ce n’est pas à ça que je fais référence. Il y a quelque chose d’universel dans les désirs des personnages.

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Certains d’entre eux ne pourraient être plus différents, mais ils souhaitent la même chose : trouver leur place et être heureux en étant qui ils sont vraiment.

C’est ça, Euphoria. Une série où il est possible pour un trentenaire sans enfants de ressentir de l’empathie pour un père de famille arrogant et une ado au cœur brisé en même temps.

Prenez Cal Jacobs et son ancienne belle-fille Maddy, par exemple. Ils sont très différents et (selon toute vraisemblance) se détestent, mais ils ont quelque chose de très important en commun : ils commencent tous les deux à se découvrir – Cal en acceptant son homosexualité (ou sa bisexualité, on l’ignore) et Maddy en faisant le deuil de sa relation toxique avec le fils de ce dernier. Maddy aura probablement été mon personnage préféré de la deuxième saison d’Euphoria. Libérée des attentes reliées à son rôle, sa vraie personnalité s’est mise à émerger : une jeune femme forte et loyale, toujours à la hauteur des attentes qu’elle place en les autres.

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C’est ça, Euphoria. Une série où il est possible pour un trentenaire sans enfants (moi) de ressentir de l’empathie pour un père de famille arrogant et une ado au cœur brisé en même temps. S’ils m’ont ému, ils vous émouvront probablement aussi. Longue vie à Euphoria, cette série qui a un je-ne-sais-quoi pas si mystérieux, finalement !