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Être reporter à Beyrouth, c’est garder espoir

Dans les coulisses d'une révolution qui s'écrit tous les jours

Par
Clotilde Bigot
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Après son article consacré au rôle joué par les graffitis dans la crise libanaise, Clotilde Bigot, journaliste française indépendante basée à Beyrouth, a voulu partager avec nous les coulisses de sa vie de reporter freelance, sans langue de bois. On lui laisse la parole.

Être reporter freelance dans un pays comme le Liban, qui vit une révolution, c’est avant tout garder espoir. L’espoir qu’on en parlera enfin, comme il se doit. L’espoir que le mail que l’on a envoyé il y a trois jours déjà (et lu aussitôt après) attirera l’attention de la rédaction. L’espoir d’être enfin payée, plus d’un mois après avoir publié un article. L’espoir de pouvoir vivre de son métier, passionnant.

Je ne supporte plus le bruit, le non-respect des lois, la pollution. Cependant, je reste, pire encore, je reviens.

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Il y a des jours où j’en ai marre. Où, quand je sors de chez moi, je marche vers un autre quartier, je n’ai pas la force d’affronter le parcours du combattant du piéton à Beyrouth. Des voitures garées en double file, des klaxons à n’en plus finir. Je ne supporte plus le bruit, le non-respect des lois, la pollution. Cependant, je reste, pire encore, je reviens.

Il y a d’autres jours où je ne me vois être nulle part ailleurs. Quand je participe aux manifestations, que je suis témoin de la ferveur, résilience, force de tout le peuple libanais, j’en ai les larmes aux yeux. Je ne peux m’empêcher de penser à mes futurs enfants et petits enfants, quand je leur dirai “j’y étais”.

Les manifestations commencent à être teintées de violence, de heurts. Les forces de l’ordre répliquent, frappent, arrêtent les manifestants. La peur entre alors en scène. La peur de me faire arrêter, moi qui ne suis pas d’ici, et de me faire expulser, tout simplement.

Mais entre ces moments de doute et de ferveur, il y a de l’attente, pesante. Celle du mail que l’on reçoit ou non. Celle de l’angoisse financière où l’on finit par chercher quelques heures de cours de français qu’on pourrait donner ou quelques missions pour le Web. Cette attente se transforme parfois en ennui, parfois en baisse de motivation, mais souvent en solitude. Ne pas avoir de collègues, passer des journées à lire, à se renseigner, à proposer, sans avoir de réel soutien moral. Attendre le soir, pour raconter à son compagnon sa journée morose, qui n’a donné lieu à aucune réponse.

Dans ces moments-là, tout revient. Je sais pourquoi je suis journaliste, je sais pourquoi je passe des moments difficiles, et pourquoi je me bats pour raconter l’information que je vois au jour le jour.

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Puis, le lendemain, en recevoir une, de réponse, positive, celle-là. Ainsi, la machine s’emballe, il faut faire vite, et bien. Dans ces moments-là, tout revient. Je sais pourquoi je suis journaliste, je sais pourquoi je passe des moments difficiles, et pourquoi je me bats pour raconter l’information que je vois au jour le jour.

Vivre au Liban n’est pas simple, il y a un temps d’adaptation; le bruit, le non-respect des règles, la langue, la culture. Cependant, la chaleur du peuple libanais aide à s’adapter, les phrases apprises lors d’un trajet en taxi, le sentiment de sécurité lorsqu’on rentre seule et tard (l’omniprésence de l’armée y est pour beaucoup), la beauté du pays, la cuisine aussi, évidemment.

Parfois, j’ai envie de partir, mais quand je pars, la seule chose que je souhaite, c’est de rentrer, à Beyrouth.