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Êtes-vous prêt.e à affronter votre vie sociale post-pandémique ?
Mise en situation.
La pandémie est derrière nous.
C’est vendredi soir, vous rentrez du travail et vous vous installez confortablement sur votre canapé, en jogging.
Soudain, un.e ami.e vous envoie un message et vous propose spontanément de sortir prendre un verre.
Vous êtes épuisé.e de votre semaine, mais vous avez quand même envie d’avoir des nouvelles de votre ami.e.
Vous faites quoi ?
Un scénario comme celui-là, où il faut faire un choix déchirant entre s’écraser devant Netflix et s’enfiler 2,3 gin-tonic dans un bar bondé, c’est assez fréquent. Mais quand on vient de traverser une pandémie mondiale, avec un couvre-feu, de la distanciation physique et des centaines de soirées chiantes, la question prend une tout autre dimension.
Êtes-vous prêt.e à affronter votre vie sociale post-pandémique ?
L’angoisse du retour
Avec le retour des beaux jours, la multiplication du nombre de personnes vaccinées et l’assouplissement progressif de certaines mesures sanitaires, on se permet de plus en plus de se projeter dans « l’après-pandémie ». Bien que l’on puisse penser que tout le monde a hâte que tout rentre dans l’ordre, plusieurs personnes affirment appréhender le retour à la normale. Comment ça se fait ?
« Ça fait plus d’un an qu’on vit avec une certaine menace qui plane au-dessus de nos têtes, lance d’emblée la psychologue, conférencière et professeure associée Geneviève Beaulieu-Pelletier, avec qui nous avons d’ailleurs récemment discuté de l’émotion dominante de 2021: la langueur (le fameux « languishing »). Le pôle anxieux qui nous guette a beaucoup évolué dans la dernière année. Au début de la pandémie, on avait peur pour notre vie, on ne connaissait pas le virus. Maintenant, certaines personnes sont plus dans l’angoisse du retour. »
« ça fait un an que l’on se crée une tout autre représentation du monde : voir des gens = danger. […] Il va donc falloir faire un travail psychologique […] POUR reconstruire tout son rapport au monde extérieur. »
Comme le fait remarquer la psychologue, depuis un an, plusieurs de nos besoins psychologiques fondamentaux ne sont pas comblés. La distanciation sociale nous prive de la majeure partie de nos contacts sociaux, le couvre-feu met des bâtons dans les roues de notre autonomie et l’ensemble des mesures sanitaires nous empêchent d’accomplir les mêmes choses qu’avant. Il va donc de soi que notre rapport au monde, à nous-mêmes et aux autres soit modifié. « Pour certaines personnes, la perspective d’un retour à la normale, sur le plan de la socialisation notamment, peut être anxiogène, indique Geneviève Beaulieu-Pelletier. Bien sûr, cette appréhension se manifeste à des degrés différents. Mais dans tous les cas, ça fait un an que l’on se crée une tout autre représentation du monde : voir des gens = danger. Sortir de chez soi = danger. Il va donc falloir faire un travail psychologique pour se créer de nouvelles représentations et reconstruire tout son rapport au monde extérieur. »
« Je me trouvais chelou »
Simon est de ceux qui appréhendent l’après. « Sans être le gars le plus extraverti au monde, je suis quand même habile socialement, constate le jeune homme de 28 ans, pour qui les interactions quotidiennes sont généralement limitées à sa copine et à quelques amis et collègues, à l’occasion. L’autre jour, je me suis retrouvé dans un contexte social (sécuritaire) et je me trouvais chelou. C’est comme si je ne savais plus comment interagir avec les gens. Ça m’a demandé beaucoup d’énergie et je me sentais mis à l’épreuve. Je me suis même demandé si mes habiletés sociales allaient revenir un jour ».
« L’autre jour, je me suis retrouvé dans un contexte social et je me trouvais chelou C’est comme si je ne savais plus comment interagir avec les gens. […] Je me suis même demandé si mes habiletés sociales allaient revenir un jour »
Simon, qui affirme toutefois avoir très hâte à la suppression du couvre-feu, à la fin des mesures sanitaires et de la distanciation sociale, considère que le retour à la normale lui demandera une certaine adaptation. « On dirait que j’ai du mal à me projeter entouré d’une bande de potes, explique le vingtenaire. L’autre jour, j’étais avec un petit groupe dans un parc, et j’étais très complexé. J’étais un peu effacé, je réfléchissais à ce que j’allais dire, ce qui ne m’arrivait pas vraiment avant. C’est comme si je trouvais ça bizarre d’être avec des gens dans un contexte social, même restreint. Ça a passé après une ou deux bières », ajoute-t-il en riant.
Celui qui a toujours préféré les petits rassemblements aux grandes foules trouve ici une confirmation de son tempérament. « L’autre fois, je déconnais et je disais à une amie que la pandémie m’a rendu misanthrope, affirme Simon, en précisant que les rencontres avec sa famille lui manquent beaucoup plus que la possibilité d’aller dans un festival, par exemple. « Je n’ai jamais été du type FOMO et ça ne changera pas quand les activités reprendront. Et même si j’ai vraiment hâte de retrouver mes amis, malgré ma petite appréhension sociale, je me rends compte que je suis vraiment mieux en petit groupe, avec des gens que je connais bien. »
L’avidité relationnelle
« quand je pense à l’après, je m’imagine entourée de beaucoup de gens, dans des événements, des grands soupers, des festivals, des fêtes. La vie, quoi ! »
Si certaines personnes, comme Simon, présentent une personnalité plus introvertie, que la pandémie aura consolidée, d’autres ne se priveront pas de se jeter dans la socialisation à outrance. « C’est un phénomène que l’on constate souvent après des crises économiques ou des guerres, remarque Geneviève Beaulieu-Pelletier. Quand les humains traversent collectivement des périodes plus difficiles, il y a souvent une espèce de ballant après coup. Les gens ont besoin d’une proximité plus intense qui se traduit par une avidité relationnelle et sociale. On verra, mais plus les mesures vont s’assouplir, plus certaines personnes risquent de ressentir le besoin de vivre à fond, de faire la fête, de dire oui à tout ».
Mélina, une Québécoise qui vit aujourd’hui à Paris, affirme sans équivoque qu’après la pandémie, rien de freinera ses envies de socialisation. « Quand ce sera sécuritaire, pas question que je passe un seul vendredi soir à la maison pour un bon moment, lance la jeune trentenaire en riant. Je vis seule, je fais du télétravail et j’ai beaucoup souffert de la solitude cette année. Dans la vie normale, je me nourris beaucoup de mes rencontres et des discussions avec les autres. En ce moment, je sens qu’il me manque carrément quelque chose, j’ai besoin de combler cette envie d’interactions. Donc quand je pense à l’après, je m’imagine entourée de beaucoup de gens, dans des événements, des grands soupers, des festivals, des fêtes. La vie, quoi ! »
Mélina, qui utilise d’ailleurs le terme languishing pour décrire son état actuel, considère que le manque d’interactions sociales joue pour beaucoup dans sa lassitude. « J’aime la spontanéité, j’aime l’imprévu, les hasards. Je vis pour ça, avoue-t-elle, nostalgique. Je suis impatiente de vivre une soirée qui commence par un apéro, puis tu rencontres des ami.e.s au bar par hasard, ils t’invitent à une fête chez d’autres potes, et ça s’avère être la meilleure soirée de ta vie. Pas question que je me prive de ça quand on pourra enfin reprendre le cours de nos vies ! »
« si on sent qu’est pas tout à fait prêt à reprendre le cours de notre vie sociale du jour au lendemain, c’est parfaitement acceptable d’y aller progressivement. »
Pour Geneviève Beaulieu-Pelletier, qu’on choisisse de limiter ses interactions à sa famille et ses ami.e.s proches ou qu’on envisage d’être de tous les événements mondains, l’important est de s’écouter. « Si on sent qu’on est plus à l’aise avec un ou deux ami.e.s à la fois, ou alors que la pandémie nous a fait prendre conscience qu’on aime passer plus de temps seul.e, c’est parfaitement ok, explique la psychologue. Et si on sent qu’on n’est pas tout à fait prêt.e à reprendre le cours de notre vie sociale du jour au lendemain, c’est tout à fait acceptable d’y aller progressivement. »
Pour ma part, je pense que la pandémie m’aura aidé à trouver un certain équilibre. Et comme me l’a écrit mon amie Emilie: « Comme j’ai hâte de pouvoir profiter de la présence de mes ami.e.s et de reprendre le temps perdu. Mais c’est pas vrai que je vais me booker 7 soirs par semaine comme avant. »