Que tu sois un financial bro allié aux causes féministes ou un.e féministe aguerri.e, mais noob en matière d’investissements, savoir où ton argent va est probablement quelque chose d’extrêmement important pour toi. On parle beaucoup d’investissements durables (une chance), mais quand est-il de ceux qui peuvent améliorer et promouvoir l’égalité des genres ?
On appelle ça le gender lens investing (investissement dans une perspective de genre) ou le gender impact investment. Lorsqu’on pratique ce genre d’investissement, les fonds qu’on vise se nomment soit des gender lens funds ou des impact investing funds, et plusieurs paramètres existent pour les définir, selon la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie.
Voici les différentes définitions regroupées :
1) Faire progresser l’égalité de genre dans une entreprise fondée ou co-fondée par une femme,
2) Améliorer l’égalité de genre dans les grandes instances d’une entreprise (dans des positions de leadership),
3) Augmenter le nombre de femmes dans le milieu de la finance,
4) Investir dans des produits et des services bénéfiques pour les filles et les femmes,
5) Promouvoir les entreprises produisant un impact positif sur la vie de ses employées.
Et dans la grande famille du gender lens investing, on y trouve le feminist lens investing.
« Le but est de créer plus d’opportunités inclusives et de remettre en question les systèmes existants de privilèges. Dans un contexte économique, le féminisme financier serait une opportunité de défaire ces systèmes », estime Sarah Kaplan, directrice de l’Institut du genre et de l’économie à la Rotman School of Management.
J’ai pu aussi discuter avec Julie Bernard, qui est chercheuse postdoctorale au laboratoire de finances durables à la Ivey Business School de l’Université Western, en Ontario.
Grâce aux meilleurs hacks des deux expertes, je vous ai concocté un petit mode d’emploi pour vous aider à devenir (enfin) une BONNE personne.
Étape 1
Bon, avant de vous plonger dans les investissements, voyez donc comment votre « féminisme résonne » en vous, c’est-à-dire, quels enjeux sociaux vous tiennent à cœur, me dit Mme Bernard.
Comme vous savez, il existe plusieurs vagues et courants féministes. On peut notamment penser à l’écoféminisme, à l’afro-féminisme, aux féminismes intersectionnel, queer, libéral ou radical (et il y en a plein d’autres).
Outre les enjeux sociétaux, « ça peut aussi être des enjeux de gouvernance » qui viennent vous chercher, précise-t-elle.
Quand vous saurez ce qui vous chauffe le plus par rapport au féminisme, cela vous permettra de mieux choisir les entreprises ou les fonds dans lesquels vous voulez investir, car, parfois, ça peut devenir vite trop prenant.
Étape 2
Après avoir déterminé vos critères personnels en ce qui concerne vos investissements, vous pouvez maintenant amorcer vos recherches afin de savoir chez qui vous voulez mettre votre argent.
« Il y a des investisseurs institutionnels qui mettent à disposition des informations pour voir comment les investisseurs se positionnent sur certains enjeux. Vous pouvez aussi regarder le bilan annuel d’une entreprise pour connaître la composition de son conseil d’administration [si les enjeux de gouvernance vous intéressent] », suggère la chercheuse post-doctorale.
« Il y a des fonds mutuels qui investissent seulement dans des entreprises dirigées par des personnes s’identifiant comme une femme et qui ont des bonnes pratiques. Bloomberg a aussi une liste de compagnies qui respectent leur indice de genre », propose pour sa part Mme Kaplan.
En surfant sur les Internets, j’ai trouvé des institutions et des fonds encourageant des placements qui mettent de l’avant l’égalité et la diversité des genres. Je vous en partage quelques-uns :
– Barclays suit des compagnies dirigées par des femmes ou composées au moins à 25 % de femmes
– Le Gender Equality Funds classe différents fonds selon un indice basé sur l’égalité de genre
« Regardez les impacts locaux qu’ont eus [les compagnies] sur certaines communautés. Faites aussi un scan des actualités pour voir s’il y a eu des scandales, par exemple. On apprend tout le temps quelque chose », ajoute Julie Bernard.
Étape 3
« Quand vos recherches sont faites, vous pouvez en parler à votre banquier. […] J’invite tout le monde à poser des questions à leur conseiller. Qu’est-ce que vous faites avec mon argent ? Est-ce que ce fonds-là prend en considération la diversité sur le conseil d’administration ? Quelles sont les décisions prises avec mon argent ? », propose Mme Bernard.
Si jamais votre interlocuteur ne vous touche pas – et donc ne possède pas les fonds qui vous intéressent – vous pouvez toujours vous tourner vers des applications vous permettant d’investir directement dans des entreprises. Toutefois, opter pour des applis n’est pas fait pour tout le monde : si vous comptez seulement investir une ou deux fois dans votre vie ou si vous avez peur d’être distrait.e sur votre téléphone, ce n’est peut-être pas la meilleure idée, selon The Globe and Mail.
Ça se peut très bien aussi que votre cheval de bataille féministe ne soit pas une « solution investissable », d’après Women Effect.
La philanthropie peut également servir à financer des recherches ou bien des programmes visant l’égalité de genre. Mais même si on veut brûler puis changer le monde et qu’on choisit nos investissements avec une optique féministe pour le faire, l’Association pour les droits des femmes dans le développement, un organisme international féministe, émet quelques réserves quant aux réelles répercussions de ces fonds.
« Les institutions publiques et privées qui commercialisent le gender impact investing l’associent à la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes et aux déploiements de ressources aux femmes et aux filles, bien qu’aucune de ces affirmations ne soit fondée sur des preuves. Le gender impact investing est plutôt une autre expression de la soumission de nos vies et de nos sociétés à la même logique financière qui a façonné, et continue de façonner, les profondes inégalités de notre monde », peut-on lire dans le rapport Gender Impact Investing & The Rise of False Solutions: An Analysis for Feminist Movements publié en janvier 2023 par l’Association.
L’Association pour les droits des femmes dans le développement soutient que les investissements suivant une perspective de genre ne sont qu’un « outil » plutôt qu’une « solution pour changer le système actuel ».
« Actuellement, c’est difficile d’investir véritablement dans une optique féministe.
Le système financier actuel est un système basé sur l’exclusion et le privilège, qui bénéficie à ceux qui sont déjà riches. Il faudrait penser investir autrement, dans ce cas, comme soutenir des coopératives ou des activités communautaires. […] Je ne crois pas que nous ayons un mouvement pour le moment au Canada. Les gens qui profitent du système n’ont pas d’incitatifs pour le repenser. Mais, je crois que nous n’avons jamais été aussi proche d’avoir de nouveaux modèles en finance », relève Sarah Kaplan.
Quelques ajouts
Si vous voulez en apprendre davantage sur le féminisme financier, voici quelques ressources sur le sujet.
– Notre vidéo “La révolution féministe sera-t-elle économique ?” avec Titiou Lecoq.
– Le podcast Financial Feminist de Tori Dunlap
-Le Criterion Institute Podcast de Joy Anderson
-Le livre The XX Edge de Patience Marime-Ball et de Ruth Shaber
-Le livre The Double Ex Economy: The Epic Potential of Women’s Empowerment de Linda Scott.