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Et si on fermait les prisons ?
Ces derniers mois, les interventions d’Emmanuel Macron et de l’actuel ministre de la Justice, Gérald Darmanin, au sujet de la surpopulation carcérale en France, se résument à des projets de prisons en préfabriqués, à la construction d’un centre pénitentiaire en Guyane ou à des locations de place en cellule à l’étranger. Actuellement, la situation est de 80 000 détenus pour environ 62 000 places (chiffres jamais atteints). Face à ce phénomène, une autre vision tente de se faire une place : celle de mettre fin à la prison. Souvent présentée comme utopique, la pensée dite de l’abolitionnisme pénal englobe l’ensemble des réflexions portant sur l’abolition du système pénal, de la police aux tribunaux, en passant par la prison. Elle s’est développée autour des années 1970 avec, notamment, les révoltes des prisonniers aux Etats-Unis qui dénonçaient des conditions d’incarcération inhumaines.
Aujourd’hui, les discours politiques tendent à faire croire que la prison est un lieu où les détenus sont pratiquement mieux lotis que les citoyens libres. Un temps, Gérald Darmanin a même souhaité supprimer les “activités ludiques”, avant d’être stoppé par le Conseil d’Etat, car contraire au code pénitentiaire. Pourtant, les conditions de vie en prison sont bien éloignées de celles d’un Club Med, selon les chiffres datant de 2023 de l’Observatoire International des Prisons (OIP), 47 établissements pénitentiaires français ont été considérés comme exposant les personnes détenues à des traitements inhumains ou dégradants par la justice française et/ou par la Cour européenne des droits de l’homme.
Qui est en prison ?
Et s’il est attrayant de penser que ce ne sont que les grands méchants qui subiraient cet enfermement, la réalité est tout autre. La différence de traitement en fonction des profils est soulignée par l’anthropologue Didier Fassin à travers différents travaux. Dans un article pour Alternatives Économiques, il explique qu’au cours de la décennie 2000, “les condamnations pour usage et détention de stupéfiants ont augmenté de 255 %”, mais à côté “celles pour délinquance économique et financière régressaient de 29 %.” Il poursuit son analyse en évoquant une “politique plus dure à l’égard des petits délits et plus tolérante à l’égard de la délinquance économique. S’agissant des premiers, le ciblage des jeunes d’origine immigrée des quartiers populaires conduisait de plus à une sévérité sélective, qui contribuait à expliquer la forte surreprésentation des minorités en prison – ce que Michel Foucault appelait la « gestion différentielle des illégalismes ».”
Les populations les plus marginalisées sont alors surreprésentées dans les prisons, l’OIP évoque les personnes nées à l’étranger, sans domiciles fixes, issues d’un milieu défavorisé ou sous l’emprise d’addiction.
À cela, s’ajoute le caractère répressif de la prison face aux opposants politiques et aux révoltes contre l’Etat ou l’ordre établi. La répression des luttes indépendantistes en Nouvelle Calédonie débutées en mai 2024, en est un exemple récent. Suite à ces manifestations ce sont 2530 gardes à vue et 243 incarcérations qui ont été comptabilisées, d’après Yves Dupas, procureur de la République de Nouméa. Parmi ces manifestants, sept militants indépendantistes kanak du collectif Cellule de coordination des actions de terrain ont été transférés dans des prisons de l’Hexagone. Pour l’anthropologue et spécialiste de la Nouvelle Calédonie, Benoît Trépied, interviewé par France Info : “les gens vivent cela, une fois de plus, comme l’expression de la justice coloniale, de la prison coloniale et d’un État colonial”. Les exemples de l’utilisation de la prison comme outil répressif sont infinis : la dictature franquiste auprès de toute dissidence politique, Israël contre des Palestiniens, la Russie face aux opposants politiques ou à des personnes LGBTQ+…
Féminisme anticarcéral
Dénonçant le racisme et la répression du système pénal depuis longtemps, la militante antiraciste et féministe Angela Davis a aussi été témoin lors de son incarcération, des violences subies par les prisonnières. Le positionnement des militantes féministes face à la prison est régulièrement abordé quand on parle d’abolitionnisme pénal, avec, notamment, le sujet des auteurs de violences sexistes et sexuelles. Pour y voir plus clair, une autre question est à relever : le système pénal est-il efficace face à ces violences ? L’impunité est chiffrable, selon l’Institut des politiques publiques, le taux de classement sans suite s’élève en effet à 86 % dans les affaires de violences sexuelles, atteignant même 94 % pour les viols. Du côté des féminicides, comme le souligne Geoffroy de Lagasnerie, philosophe et sociologue, bien qu’il y ait eu, en dix ans, plus de six lois pour aggraver les peines contre les féminicides, les actes meurtriers envers les femmes n’ont pas diminué pour autant. Loin de culpabiliser celles et ceux qui portent plainte contre leur agresseur ou ont recours à la justice, l’idée est de montrer que la prison n’est pas une solution viable. Dans son ouvrage Pour elles toutes : Femmes contre la prison, Gwenola Ricordeau revendique un féminisme anticarcéral et montre en quoi les femmes sont impactées par les incarcérations de leurs proches. Face à une tendance qui soutient de plus en plus de criminalisation, la sociologue tisse les liens entre féminisme et abolitionnisme en expliquant qu’il n’est pas possible d’imaginer une issue émancipatrice dans le système pénal alors qu’il entretient plusieurs systèmes de dominations.
En finir avec la justice punitive
Dans ses travaux, Gwenola Ricordeau s’appuie sur une analyse d’une des pionnières de l’abolitionnisme pénal, Ruth Morris, qui identifie cinq principaux besoins des victimes : obtenir des réponses à leurs questions sur les faits ; voir leur préjudice reconnu ; être en sécurité ; pouvoir donner un sens à ce qu’elles ont subi ; obtenir réparation. Pour répondre à ces besoins lorsqu’on ne souhaite pas passer par le système pénal, le mouvement abolitionniste parle de justice transformative. Née d’abord au sein de communautés qui ne pouvaient pas avoir recours au système pénal, la justice transformative va permettre “aux victimes une maîtrise de la temporalité du processus et de se réapproprier la définition de leur victimation en sortant du cadre parfois trop étroit des définitions des infractions données par le droit”, confie Gwenola Ricordeau dans un entretien pour Actu-juridique. Tout en mettant en avant la guérison, cette justice va également prendre en compte les responsabilités communautaires et l’environnement social.
Surtout, la prison est-elle un lieu enclin à créer des individus aptes à revenir en société ? Dès le début du XXIème siècle, l’anarchiste féministe Voltairine de Cleyre critique ce système et ses impacts sur les prisonniers. Dans un texte réuni au sein de l’ouvrage Écrits d’une insoumise, elle décrit le non sens de ce système violent : “Pour qu’ils puissent apprendre à être de bons citoyens, ils sont placés dans des cellules où ils suffoquent, ils dorment sur des planches étroites, ils regardent à l’extérieur à travers des grilles de fer, ils mangent de la nourriture infecte qui détruit leur estomac; leur corps et leur esprit sont mutilés et brisés. Et c’est ça qui est appelé “réhabiliter un homme” !”. Près de 63 % des personnes sorties de prison en 2016 ont récidivé dans les cinq années suivant leur libération, a révélé une étude du ministère de la Justice, publiée en 2024. Alors, peut-être est-il temps de se demander de quel côté est l’utopie : de celui d’une société sans prison ou d’une société où la prison est vue comme une solution ?
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