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Et là, je pense à ma pote Marguerite

Elle bosse au Monoprix à dix minutes de chez moi.

Par
Mathilde Nabias
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Une trentaine de jours sans sortir de chez moi, enfermée entre quatre murs. Le plafond baisse un peu plus chaque matin, les murs se rapprochent de moi, et l’appartement se transforme en cage. Même le soleil qui passe à travers la fenêtre a perdu sa luminosité, ses rayons sont-ils encore réels ?

Cependant, malgré mon état larvaire, je continue à avoir faim. Inattendu. J’ai beau avoir l’activité d’un ours en hibernation, je mange encore trois fois par jours. Alors je me lève de ma chaise, je trottine jusqu’à la cuisine histoire de mettre en mouvement quelques muscles et j’ouvre le frigo. Vide. Il va falloir sortir. Une montée d’angoisse me vient en pensant au virus, aux files interminables devant le supermarché, trois heures d’attente pour trouver des rayons vides, personne à qui parler, personne qui se regarde, et les caissières qui vont au front tous les matins… Et là, je pense à ma pote Marguerite. Elle bosse au Monoprix à dix minutes d’ici, tous les jours, en plein confinement. Je me demande comment elle va pendant que moi je prends la couleur de mes murs, bien en sécurité.

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Quand je l’appelle elle a la voix fatiguée mais chantante de ses origines vénézuéliennes. Marguerite est arrivée en France en 2015 pour suivre l’homme qu’elle aime. Administratrice de formation, elle a cherché longtemps un boulot dans sa branche avant de devenir hôtesse de caisse au Monoprix de la porte de Vincennes. « C’est un boulot routinier. Tu arrives, tu prends ta caisse et puis tu fais ta journée. Mais j’aime bien le contact avec les gens, ici dans le quartier ils sont sympas, et on a une bonne équipe, soudée, qui rend les journées agréables. »

C’est un travail où elle se plaît malgré des horaires contraignants et le peu de reconnaissance sociale qui lui est associé. « Mais en ce moment ça change un peu, me dit-elle, les gens me remercient, ils sont reconnaissants. Ça donne du sens aussi, à ce que tu fais. »

Habituellement elle travaille 32h par semaine, mais depuis le début du confinement la cadence a changé et les heures supplémentaires s’allongent. Dans ce petit supermarché, la clientèle est âgée et la plupart préfèrent aujourd’hui passer leurs commandes en ligne. « En plus de la caisse maintenant on va faire les courses des commandes à emporter. Et avec les pénuries dans les rayons, souvent on ne peut pas leur remplir les paniers comme prévu. »

« Le plus difficile à penser, c’est de pas se toucher le visage, c’est tellement une habitude ! »

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Ce surplus de travail est augmenté par les arrêts maladies de collègues, dont Marguerite ne sait pas s’ils le sont à cause du virus ou bien du stress des conditions actuelles, de la crainte constante d’être contaminé. Elle pourtant, vit ça avec sérénité. « On nous a donné tout ce qu’il faut, alors je n’ai pas peur. Bien sûr j’y pense tout le temps, aux précautions… Mais à la caisse on a du gel, on a le masque. Après chaque client je me lave les mains, là où je fais le plus attention c’est quand il paye en liquide. Mais j’ai des gants. Le plus difficile à penser, c’est de pas se toucher le visage, c’est tellement une habitude ! » Là aussi, la direction du magasin a été prévoyante. « On a des mouchoirs qu’on prend si jamais ça nous gratte le nez par exemple et qu’on a pas le choix, nous dit-elle en rigolant. »

Pourtant, les mesures d’hygiène et la charge de travail augmentée alourdissent le quotidien. « Le plus dur c’était les premiers jours, parce que les mesures de distance entre les gens étaient pas bien comprises, même au sein du magasin. Avec les collègues absentes, on courait partout dans les rayons, avec des clients stressés et beaucoup de choses qui manquaient ». Mais depuis quelques jours, le vigile organise les entrées. « Ils attendent dehors, et je les entends râler. Mais nous, on est plus tranquille ! »

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Au début du confinement comme partout les gens se sont rués dans les rayons pour faire des provisions. Marguerite se marre encore en évoquant les pénuries de papier toilette. « Ça ne s’arrête pas tu sais ! Dès qu’on est livré, ça prend même pas la moitié de la journée pour que le rayon soit vide. Je sais pas ce qu’ils en font. » Et c’est pareil pour les pâtes. « Moi en ce moment, je mange plus que du riz, j’ai pas le temps d’en acheter que ça a déjà disparu alors que je bosse ici ! »

« J’ai un client que je connais depuis des années. Il est toujours gentil, il nous sourit. Mais là il commence à flipper, il me parle mal, il ose plus me regarder, comme si j’étais une pestiférée ! »

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Les temps sont difficiles, mais c’est surtout l’atmosphère générale qui lui pèse. « J’ai un client que je connais depuis des années. Il est toujours gentil, il nous sourit. Mais là il commence à flipper, il me parle mal, il ose plus me regarder, comme si j’étais une pestiférée ! » Marguerite ne se démonte pas. « Je comprends, c’est dur pour tout le monde. Je lui ai juste rappelé, tu sais je suis ici pour toi moi ! Après il était penaud, il s’est excusé. C’est comme ça, nous notre travail c’est d’être ici et de faire en sorte que les gens se sentent bien, que ça soit facile pour eux. Alors je garde le moral, je ne me formalise pas. »

Le directeur et la cheffe de caisse sont derrière leurs employés me dit-elle, et ça change tout. Quand l’équipe est débordée, ils viennent aider dans les rayons, relaient les hôtesses pour les pauses, chacun est solidaire dans ce moment tendu. « Pas seulement entre nous, rajoute-elle, mais aussi avec nos clients. » Car Marguerite prend soin de sa clientèle, majoritairement âgée. « Ils me font rire, ils ont besoin qu’on soit là pour eux. Aujourd’hui, j’ai vu arriver une petite mamie, elle n’avait entendu parler de rien, elle faisait comme tous les jours, elle ne comprenait pas pourquoi j’étais derrière une vitre en plexi. Alors on va les voir, on leur explique les gestes, qu’ils doivent se protéger. Ceux qui viennent tous seuls, parfois ils sont perdus, je vais avec eux dans les rayons, je fait un peu la nounou. C’est pour ça qu’ils sont gentils ici, parce qu’on est solidaires. »

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Je raccroche après lui avoir souhaité bon courage, rassérénée par sa bienveillance et sa joie de vivre. Et je m’habille pour aller faire mes courses. Reconnaissante pour ceux qui, comme Marguerite, nous permettent de faire encore société. Arrivée hors de ma cage, j’ai remarqué qu’il faisait beau.