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Est-ce qu’on peut parler de tout avec ses collègues ?

Histoires d’amitiés et de vacheries.

Par
Constance Cazzaniga
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Quand on passe huit heures par jour avec les mêmes personnes, on a tendance à échanger sur tout et rien, à parler de nos vies personnelles et à ventiler à propos de nos frustrations. Dans un contexte professionnel, ça peut faire naître de belles relations, mais ça peut aussi attirer quelques pépins.

Déjà, il y a des domaines où la camaraderie est moins propice. Quand on pense à un milieu très compétitif, par exemple, montrer ses vulnérabilités peut se retourner contre nous si nos collègues décident de les exploiter, indique la Dre Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne, conférencière et professeure associée à l’Université du Québec à Montréal. Elle n’hésite cependant pas à affirmer qu’« entretenir des amitiés sur le lieu de travail, c’est positif, parce que ça permet de se sentir connecté et ça fait en sorte que le climat de travail est plus agréable ».

Tracer ses limites

Aurélie, qui travaille dans le monde des communications, est bien d’accord. « J’ai toujours cherché à tisser des liens avec mes collègues. Je trouve que ça apporte une belle ambiance et que ça favorise l’entraide », lance-t-elle. Elle estime cependant qu’il est parfois difficile pour elle d’aborder certains sujets avec des ami.e.s du bureau.

«Si je me dis, par exemple, que je ne veux pas parler de mes relations amoureuses au travail, il n’y a pas de problème, on peut le dire.»

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À ce propos, la Dre Beaulieu-Pelletier préconise de tracer ses limites et de les nommer au besoin. « C’est un bon drapeau rouge si on se sent mal d’aborder un sujet, souligne-t-elle. En se mettant des limites, on n’a pas à avoir peur. Si je me dis, par exemple, que je ne veux pas parler de mes relations amoureuses au travail, il n’y a pas de problème, on peut le dire. »

Laisser ses filtres au vestiaire

À l’inverse, d’autres gens se mettent très peu de filtres en parlant avec leurs collègues. C’est le cas de Jérôme, qui travaille en marketing web et qui aime « dépasser les limites classiques de ce dont on ne doit pas parler dans un contexte de travail » dans l’espoir de faire naître un climat plus humain et plus honnête, à l’image de ses autres relations interpersonnelles. Pour lui, la franchise, « c’est ce qui fait avancer la relation », mais il reconnaît que c’est aussi ce qui fait en sorte qu’il se met occasionnellement les pieds dans les plats, au point de devoir parfois s’excuser à ses collègues.

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« Quand on invite quelqu’un à prendre un verre ou à faire une activité, l’autre accepte par envie d’être avec nous. Quand on est au travail, on est obligé d’être là! », rigole la psychologue en rappelant que dépasser le small talk, c’est entrer dans une dynamique relationnelle. Il faut donc savoir danser avec l’autre en suivant le rythme… et savoir s’excuser, « parce qu’on va en faire, des faux pas relationnels ».

Tourner sa langue sept fois avant de bitcher

Là où les choses peuvent se corser, c’est quand on ventile tellement qu’on tombe dans les vacheries. Tim (un nom fictif pour éviter les représailles de ses patrons), qui travaille dans le commerce de détail, dit être devenu « spécialiste » des regards complices en réunion et du bitchage subséquent! Pour lui, c’est une façon de se sentir dans le même bateau que les autres, même si ça peut parfois devenir démoralisant. « Je me retiens dans une certaine mesure, parce qu’avec le temps, je sais quoi dire et à qui. C’est de l’essai-erreur; parfois, ça peut se retourner contre toi », admet-il tout de même.

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« Ça, c’est quand même délicat, reconnaît la Dre Beaulieu-Pelletier. Je ne dis pas de ne pas le faire, mais il faut comprendre que ça peut devenir un enjeu. » Suffit qu’un.e collègue obtienne une promotion ou qu’une chicane fasse que quelqu’un change de camp pour que ça arrive aux oreilles de l’employeur. La psychologue est bien consciente que ventiler remplit un besoin, mais avise à la prudence. Surtout, « on peut aussi s’entraîner l’un.e et l’autre, ce qui peut amener un climat de travail négatif ». C’est donc un pensez-y-bien!

Et l’employeur dans tout ça?

Pour les boss, un climat de travail agréable et une connexion entre les employé.e.s devraient être vus d’un bon œil. Mais « devant les relations d’amitié, les employeurs sont parfois un peu plus réticents, parce qu’ils ont peur que les employés soient moins productifs ou encore qu’il y ait un effet de clan et que certaines personnes soient mises à l’écart », selon les observations de la Dre Beaulieu-Pelletier.

«Il ne faut pas se sentir mal d’avoir partagé une vulnérabilité, même si la personne ne devient pas notre amie.»

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Lana (un nom fictif pour éviter des représailles de ses patrons) travaille dans une agence média. L’effet de clan, elle sait ce que c’est… parce qu’elle en vit un qui dérange pas mal! « Mes supérieurs semblent considérer qu’une trop grande proximité entre collègues crée de la jalousie au sein de l’équipe de travail », résume-t-elle en disant qu’elle a l’impression de vivre dans un croisement entre Ramdam et Gossip Girl. À force de planifier des sorties en dehors du travail avec son groupe de quatre ou cinq collègues, elle s’est fait interdire d’en parler au bureau, à moins d’inviter tout le monde.

Si l’idée est pour elle plutôt risible, son témoignage montre bien que les amitiés au bureau peuvent entraîner des ennuis à l’occasion, même quand on fait attention à ce qu’on dit.

Être vulnérable ou ne pas l’être, là est la question

Il faut dire que les amitiés de travail sont importantes pour Lana, qui s’y investit pleinement malgré leur caractère souvent éphémère, du moins pour elle. « Je ne suis jamais à l’aise avec des semi-relations, explique-t-elle. Je vais toujours avoir l’impression que si je ne dévoile pas rapidement mes insécurités, mes traumas ou mes expériences, les gens vont me juger parce qu’ils ne comprendront pas ma manière d’être. En même temps, je vais analyser chaque fichu détail et parole si j’ai le moindre doute sur le sens de ce qui a été dit. »

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La Dre Beaulieu-Pelletier est claire là-dessus : « Il ne faut pas se sentir mal d’avoir partagé une vulnérabilité, même si la personne ne devient pas notre amie. Ça ne veut pas dire qu’elle a de mauvaises intentions et qu’elle va nous le remettre en pleine face! » Aussi, on peut offrir une bonne écoute à quelqu’un qui désire s’ouvrir, sans se dévoiler à notre tour pour autant. L’important, selon la psychologue, est de connecter avec l’autre. Que ce soit à partir de nos traumas ou de notre passion pour la planche à voile importe peu, tant qu’on se respecte.

Et donc, est-ce qu’on peut parler de tout avec nos collègues? « C’est possible de s’ouvrir sur sa vie, de s’ouvrir sur ses émotions, sur ce qu’on ressent, conclut la Dre Beaulieu-Pelletier. Il faut juste d’abord se sentir à l’aise avec l’autre personne »… et avec ses propres limites!