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Est-ce qu’on est obligé de travailler tous en même temps ?

L’heure de la retraite a peut-être sonné pour le bon vieux 9h/17h.

Par
Sarah-Florence Benjamin
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On se lève le matin, on se rend au bureau, on repart en début de soirée, on répète le tout cinq fois par semaine et voilà. C’est une routine si familière qu’on ne la remet plus en question. Arrivent la pandémie et les mesures sanitaires; le bureau est devenu la table du salon pour de nombreux travailleurs et travailleuses.

Pourtant, à travers toutes ces perturbations, le 9 à 5 s’est généralement maintenu. S’il n’est plus nécessaire de travailler tous au même endroit, est-ce qu’on devrait encore travailler tous en même temps ? Et si la flexibilité au travail n’était pas qu’une question d’espace, mais aussi de temps ?

D’où vient le 9 à 5 ?

On tient pour acquis que notre labeur se mesure en nombre d’heures travaillées. Cependant, à bien y penser, ce n’est pas très logique pour une majorité d’emplois, surtout des postes de cols blancs.

Pour comprendre notre présente organisation du travail, il faut remonter à l’ère industrielle et ses usines. Sur une chaîne de montage où chaque travailleur et travailleuse est responsable d’une seule tâche répétitive qui prend toujours le même temps à effectuer, le nombre d’heures travaillées se traduit directement en productivité. Cette relation entre le temps et la productivité n’est plus la même pour des emplois plus abstraits, où le produit du travail ne se calcule pas en pièces montées par jour.

Ce n’est pas parce qu’on passe plus de temps sur une tâche que le résultat est nécessairement meilleur.

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De plus, une chaîne de montage ne fonctionne pas si tout le monde ne travaille pas en même temps. Dans une société postindustrielle comme la nôtre, où le travail se fait souvent à un bureau devant un ordinateur, la nécessité du travail synchrone est tout à coup moins évidente. Ce n’est pas parce qu’on passe plus de temps sur une tâche que le résultat est nécessairement meilleur. La loi de Parkinson affirme même que plus on dispose de temps pour faire une tâche, plus on en prendra !

Il faut dire qu’à l’époque où les syndicats se battaient farouchement pour qu’on arrête de travailler 14 heures par jour, 6 ou 7 jours par semaine, les technologies qui nous permettent aujourd’hui de communiquer à distance n’existaient pas. Le concept de conciliation travail-famille n’existait pas non plus, alors qu’on supposait que chaque travailleur n’avait qu’à laisser son épouse s’occuper des enfants et des tâches domestiques (que celle-ci ait aussi un emploi ou non).

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Même si elle n’est pas adaptée au monde du travail actuel, l’idée selon laquelle de longues heures de travail sont toujours gages de qualité s’accroche dans nos esprits. Le fait de travailler 60 ou 80 heures est considéré comme un symbole de statut social, même si ces heures ne sont pas nécessairement productives.

Des résultats au lieu des heures

Pour les compagnies internationales dont les travailleuses et travailleurs sont répartis sur tout le globe, le travail asynchrone n’a rien de nouveau. On ne s’attend pas à ce que des collègues de Beijing se lèvent au milieu de la nuit pour répondre à un mail. Devant une demande croissante des employé.e.s pour plus de flexibilité, des compagnies s’y sont mises, même si leur équipe habite le même fuseau horaire.

Celles qui adoptent une approche Results-Only Work Environment (ROWE) vont encore plus loin. Plutôt que de permettre à leur personnel d’effectuer ses huit heures au moment de la journée qui lui convient, un environnement de travail « résultats seulement » ne comptabilise pas les heures. Les employé.e.s travaillent quand iels veulent, où iels veulent, au rythme qui leur plaît. La seule chose qui compte, c’est que les objectifs fixés par leur supérieur.e soient atteints au moment attendu.

Le manque de contrôle sur son temps et son travail est un facteur important de l’épuisement professionnel, surtout pour les femmes.

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Cette méthode de travail d’abord élaborée chez Best Buy durant les années 2000 a permis à l’époque au géant de l’électronique d’augmenter sa productivité de 41 % ainsi que de réduire le roulement de personnel.

Selon une étude de l’Université du Minnesota, cetain.e.s employé.e.s ont travaillé davantage, d’autres moins, mais tou.te.s ont joui d’un plus grand contrôle sur leur temps, ce qui leur a permis de dormir en moyenne une heure de plus par jour, de réduire les conflits entre le travail et la famille et d’avoir plus temps pour s’occuper de leur santé, faire du sport et se rendre à des rendez-vous médicaux.

Le manque de contrôle sur son temps et son travail est un facteur important de l’épuisement professionnel, surtout pour les femmes. Le travail asynchrone permet donc d’organiser sa journée selon ses capacités, ses responsabilités, ses habitudes et la nature des tâches demandées. Il permet aussi de varier les lieux où on travaille, en plus d’encourager les périodes de réflexion.

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Une approche loin d’être universelle

Le travail asynchrone est-il donc la panacée miracle aux vagues de démission et aux remises en question pandémiques ? Pas nécessairement. Si l’expérience peut facilement se faire dans les bureaux, elle ne s’adapte pas très bien aux métiers de service.

L’idée du travail asynchrone est aussi peu populaire chez les gestionnaires, dont le rôle devient moins important lorsque les employé.e.s sont autonomes. Cela peut entraîner des problèmes de micro-management chez les supérieur.e.s qui ne font pas confiance à leur équipe.

Si tout le monde travaille où il veut quand il veut, les moments d’interactions spontanés entre collègues se font plus rares.

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Cette autonomie s’accompagne aussi d’une plus grande responsabilité individuelle demandée aux employé.e.s. S’iels n’arrivent pas à répondre aux objectifs, leur gestion du temps et leur capacité d’organisation seront remises en question.

De plus, si tout le monde travaille où il veut quand il veut, les moments d’interactions spontanés entre collègues se font plus rares, ce qui peut faire du mal à la cohésion d’équipe et renforcer un sentiment d’isolement. Ce même isolement rend plus difficiles la solidarité entre collègues et la capacité de faire front commun en cas de conflit de travail.

Il ne suffit donc pas de lancer ses employé.e.s dans le vide pour instaurer une politique de travail asynchrone efficace. Pour éviter aux employé.e.s de porter seul.e.s le fardeau de la productivité, leur travail doit être encadré par des balises claires. Quels sont les objectifs ? En combien de temps doivent-ils être atteints ? Quelles tâches sont considérées prioritaires ? Tout ce qui pourrait se régler en une conversation rapide au bureau doit maintenant être explicite et accessible pour toute l’équipe.

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Asynchrone ne veut pas non plus dire qu’il est attendu que les employé.e.s soient toujours joignables par leur supérieur.e, au contraire. Cela risquerait de brouiller encore davantage la séparation entre la vie privée et le travail, déjà mise à mal par la technologie et le télétravail.

Alors que le retour au bureau se fait progressivement, il semblerait que nous soyons toujours bien attaché.e.s à notre 9 à 5. Malgré tous les avantages du travail asynchrone, beaucoup lui préféreront une bonne conversation autour de la machine à café.