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Entrevue: Sako – Son cœur, ses textes

Décryptage de ses titres phares, à l'occasion de la sortie de sa playlist «Court Lettrage».

Par
Romain Gabriel
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En mai 1997, Sako est « le larbin qui pousse les bagages Louis Vuitton » dans un grand palace cannois lorsqu’il réalise un tour de passe-passe et réussit à se faufiler jusqu’à Akhenaton lors d’un concert d’IAM au Cannet pour lui faire écouter sa musique à l’aide d’un disc-man.

La suite, c’est une signature avec le label du leader d’IAM et un titre phare (Maudits soient les yeux fermés) propulsé sur la B.O. de Taxi 1. Puis, deux albums. Tout d’abord Mille et un fantômes, en 2001, et Sincèrement, en 2004. Celui-ci sera retiré des bacs après un mois seulement pour un problème de sample, ce qui forcera Sako à retourner travailler sur un chantier avec la pelle et la truelle.

Alors qu’il pense ses rêves brisés, Akhenaton, une fois de plus, lui permet de devenir parolier pour des grands noms de la chanson française.

Dans son parcours, Sako fera une autre rencontre déterminante, celle de Tefa, probablement « l’un des producteurs les plus prolifiques qu’ait enfanté le rap français » pour reprendre les mots du média Yard, ce qui le relancera dans le circuit rap.

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À son actif, notons aussi quelques projets marquants avec Cut Killer, la publication chez Ramsay de son premier livre en 2017, Quoi qu’il arrive, et tout récemment la sortie digitale d’un best-of de 22 titres intitulé Court Lettrage.

À part quelques morceaux cultes du rap américain, c’est le morceau « Soldat » d’Akhenaton, connu pour son storytelling très fort, qui lui a donné envie d’écrire. Et Court Lettrage est une playlist composée exclusivement de titres où le storytelling est à l’honneur. Cela nous donne quelques informations clefs sur la direction de son prochain album Méta, qui sortira le 29 janvier 2021.

En attendant, on lui a demandé de nous présenter 9 pistes de Court Lettrage mais surtout de nous raconter l’histoire derrière chacune de ces chansons.

* 18/12/1997 (sur le Street-album Tribute)

« Au moment de l’enregistrement, je travaillais sur un petit magnétophone Rolland 4 pistes portable que je déplaçais dans mon sac à dos. On sortait du procès pour l’album Sincèrement. Il n’y avait plus de disques disponibles dans les bacs, ni de concerts à l’horizon. À ce moment-là de notre carrière, on repartait le fusil sur l’épaule et le couteau entre les dents pour recréer un projet avec des bouts de ficelles. Des bouts de ficelle de luxe malgré tout car notre nom était devenu une marque donc c’était facile d’avoir accès aux artistes.

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Et je me souviens de la séance de studio avec Akhenaton quand on lui a présenté 18/12/1997 parmi d’autres sons pour le projet Tribute. Il n’était pas prévu à la base qu’il rajoute un couplet à la fin de ce titre. Mais Akh est un stakhanoviste ! À l’époque, il déposait ses enfants à l’école à 8h30 et à partir de 9h jusqu’à très tard il restait au studio, et cela tous les jours. À la Cosca, on était donc tout le temps plusieurs artistes ensemble du matin au soir… Ça faisait partie de notre méthode de travail. Dès qu’on avait un nouveau couplet, on se consultait constamment pour savoir ce qu’en pensait l’autre et voir ensemble comment l’améliorer. Par contre, pour celui-ci, Akh ne nous a pas consultés du tout. Il a écrit et a posé son couplet sans nous demander notre avis sur le contenu. Ce fut une belle surprise pour nous. D’autant qu’il ne s’attendait pas à ce qu’on fasse un morceau qui relate notre rencontre. »

* Le dos courbé (sur l’album Mille et un fantômes)

« Je n’ai jamais trop pris conscience de mes origines jusqu’à ce que je rencontre Akhenaton. C’est en discutant avec lui que je me suis questionné sur les origines de ma famille car chez nous elles ont toujours été occultées. Le fait d’avoir quitté le pays d’origine a toujours été mis de côté. Que ça soit mes cousins ou moi, on a toujours eu l’interdiction d’apprendre l’italien. D’ailleurs, on ne parlait pas cette langue à la maison… sauf pendant les repas de famille lorsque je voyais mes oncles un peu allumés se mettre à chanter en italien après le dessert. Dans ce genre de moment, les regards étaient un peu bizarres mais étant petit je ne calculais pas plus que ça. On ne nous invitait pas à se tourner vers l’Italie mais plutôt vers la France qui était le pays d’accueil. D’où le morceau Bien paraître avec Akhenaton où on explique qu’il fallait être français bien comme il faut.

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Ça m’a ouvert les yeux sur la nécessité d’écrire un morceau qui en parle ouvertement, pas forcément pour moi mais pour mon petit frère qui devait avoir 8 ou 10 ans à l’époque. Je ne souhaitais pas qu’il se coltine cet héritage fantomatique toute sa vie. On ne vient pas d’ici mais d’Italie et on n’a pas à en avoir honte. Au contraire, on peut en être fiers. C’est pour ça qu’à la fin je dis: “Et s’il n’en retient qu’un, que mon petit frère retienne ce texte.”

Dos courbé est un titre à double sens, le fardeau invisible sur le dos mais aussi le fait de courber l’échine dans un pays où tu veux te fondre dans la masse. Je ne sais pas si c’était la bonne attitude à adopter mais en tout cas c’était celle de ma famille. Ils ont même franciser leur prénom, comme ma grand-mère Regina (qui veut dire «reine» en italien), qui s’est fait appeler Régine. »

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* Comme un aimant (sur la B.O. du film Comme un aimant)

« J’ai eu la chance de voir les rushs du film Comme un aimant en exclu car Bruno Coulais et Akhenaton m’ont confié la mission de faire la chanson thème. Et une semaine avant, j’avais regardé Rocco et ses frères avec Alain Delon, alors la première chose qui m’est venu en tête c’est: « Wow, ils sont en train de faire Rocco et ses frères version an 2000 ! » L’histoire n’est pas la même certes mais ces deux films ont en commun les sentiments qui sont traités à l’écran et les rapports entre les divers protagonistes. Il y a une scène qui m’a particulièrement marquée, celle du cuisinier dans le restaurant italien. Tout le monde s’exclame « Quelle est bonne, la sauce ! » et, là, le cuistot arrive et c’est un noir… Plus personne ne parlait autour de la table. »

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* Hier matin / Ce matin (sur le Street-album Tribute)

« Akhenaton est à l’origine de ce diptyque. Il avait écrit Hier matin en se basant sur le récit tragique d’un jeune père de famille irakien qui a perdu sa fille d’une grippe alors que la guerre battait son plein en 2003 et qui, par la force des choses, ne pensait plus qu’à disparaitre. Quand il me l’a fait écouter, j’ai trouvé ce morceau fabuleux. Nous sommes tout deux très portés sur la géopolitique. Ce jeu d’échec qui existe à l’échelle internationale nous a toujours passionnés. Ça été le cas avec la guerre en Irak et notamment le discours de Colin Powell à l’ONU qui montre des armes de destructions massives qui n’existent pas. Toutes ces choses nous titillaient, alors on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. C’est ainsi qu’Akhenaton m’a proposé de faire le titre Ce matin en me disant: « Mets-toi dans la peau d’un soldat américain en Irak qui voit le père de famille de Hier matin venir se faire exploser dans une zone occupée par des troupes US ». Ce sont deux chansons différentes mais qui sont en résonance car on rappe sur la même instru avec une durée de couplet et de refrain similaires. »

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* Fragile (sur la compilation Opinion sur ruevolume 2)

« C’est autour des souvenirs d’enfance que les artistes ont travaillé pour cette compilation imaginée pour Un Regard Un Enfant. Cette association a pour but d’aider les jeunes issus de milieux défavorisés à partir en vacances. Je me suis alors remémoré une bonne partie de ma jeunesse, entre autres, chez ma tante et mon oncle que j’adore. Lui, c’était un homme très discret, il travaillait à l’usine et parlait peu. C’était un colosse rassurant dont la fierté ultime était sa voiture : une Alfa Romeo Giulietta rutilante où je me faisais une joie de monter à bord. D’ailleurs, c’était la plus belle du quartier et quelques rares privilégiés pouvaient s’y aventurer. Il nous emmenait aussi au port de Cannes où il possédait un tout petit bateau. Sur le chemin, il ne parlait quasiment jamais, mais les quelques phrases qu’il prononçait me faisait gamberger pendant plusieurs jours. Puis il a été rattrapé par la maladie et a fini par se donner la mort. La veille de son décès, j’étais en scooter sur la Croisette lorsque je l’ai croisé au volant de son Alfa Romeo. Il m’a fait un signe de la main. Ça a été mon dernier contact avec lui. »

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* Un bout de route (sur l’album Mille et un fantômes)

« C’est le premier vrai featuring avec Akhenaton pour l’album Mille et un fantômes. L’idée est venue de la relation grand frère-petit frère ou grand frère-petite sœur. Lui a 18 ans de différence avec sa petite sœur, et moi 12 avec mon petit frère. La discussion est donc partie autour de la différence de traitement des parents vis à vis du plus grand et du plus petit quand plusieurs générations coexistent. On a alors choisi de raconter l’histoire de deux frères qui n’ont pas reçu la même éducation de leurs parents. Le père est tellement sévère avec l’aîné qu’il finit par le mettre à la porte, mais est beaucoup plus laxiste avec le deuxième car il est fatigué par la vie et n’a plus la même énergie. Au fur et à mesure de l’écriture, on s’est rendu compte qu’il n’y a pas forcément qu’une lecture de notre éducation. D’où l’idée de faire parler le plus jeune dans la première partie du morceau [Sako]: il dit à son frère qu’il n’est pas dupe et qu’il voit bien que sa mère lui envoie de l’argent dans le dos de son père depuis des années. Et l’aîné [Akhenaton] lui répond qu’aujourd’hui c’est le jour de son mariage et que la seule chose qu’il aurait voulu, c’est la présence de ses parents et de son frère. »

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* L’encre de nos plumes feat. Oxmo, Veust Lyricist et Akhenaton (le respect de l’art qu’ils font – Tribute)

« L’origine de ce morceau vient du titre L’encre de ma plume sur Mille et un fantômes. C’est un morceau qui ne devait pas voir le jour car Hal, le beatmaker, n’était pas satisfait et voulait le jeter. Mais Kephren et Akhenaton d’IAM, Veust et moi avons insisté pour le garder. À cette époque, sur Skyrock, les gros artistes de rap avaient leur propre émission comme Jacky et Ben-J des Neg Marrons, Dj Spank et JoeyStarr, Stomy Bugsy et Passi, Kheops et Def Bond, etc. Pendant six mois, toutes les semaines, Spank et JoeyStarr vont passer le morceau dans leur émission Sky B.O.S.S. Et un soir, ils avaient Jamel Debouzze comme invité dont le rôle était de tailler [se moquer] tous les sons joués. Et le seul pour lequel il ne dira rien sera L’encre de ma plume. Ouf ! Une autre fois, nous avons été invités à cette émission qui était enregistrée directement dans la maison de JoeyStarr, dans sa cave plus précisément. Il devait faire 40 degrés dans le studio car c’est une pièce exiguë avec, en plus, la chaleur des machines. Spank jouait les disques torse nu, il y avait plein de gars autour, bref, je vous laisse imaginer l’ambiance. Et lorsque j’ai commencé mon premier couplet, je vois arriver JoeyStarr chaussé de ses pantoufles et de son peignoir de bain pour me backer pendant que je rappe. Ça m’a donné des ailes de fou, c’est JoeyStarr quand même !

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Donc, suite au succès de L’encre de nos plumes, Tefa qui s’occupe de mon street-album Tribute a lancé l’idée d’inviter d’autres artistes sur ce titre pour faire un morceau “all stars”. D’où L’encre de nos plumes ! Et ça nous a permis d’en faire un single… et un clip tourné en une journée, sans budget, qui est rentré direct sur MTV. On a réussi à avoir Oxmo Puccino sur ce son car on était figurants pour son clip Black Desperado tourné à Marseille. Et à la fin de la journée, je suis allé le voir pour lui présenter le projet. Il a accepté alors on s’est rejoints à son hôtel où il était en train de jouer avec des potes à la console. Pendant ce temps-là, j’ai installé mon matos dans la salle de bain et il a posé son couplet debout dans la baignoire ! »

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* Combien de temps feat. Masar

« Masar possède toutes les cultures du hip-hop. À la base, il vient du skate mais il a aussi fait du graff. Il est aussi DJ, beatmatker, c’est un débrouillard de fou. Il arrive à créer plein de choses à partir de rien. Aujourd’hui, il vit à New York et a d’ailleurs longtemps été le manager de Max B. A l’époque de ce morceau, on habitait tous les deux à Nice et avions comme autre point commun le fait de vivre beaucoup de tumultes dans nos vies. On se rejoignait 3 fois par semaine pour passer des nuits à rapper, à réfléchir sur notre passion intestine, à jouer à la console plutôt que trouver un taf et construire une famille. Ces nuits blanches ont généré des réflexions diverses qui ont notamment mené à Combien de temps. »

* MauditS soient les yeux fermés (sur la B.O. du film Taxi 1)

« Il y a déjà beaucoup d’informations sur Internet au sujet de ce titre, mais j’ai une anecdote très drôle. En fait, on a dû rester une journée de plus à Marseille pour retravailler les voix. Et ça nous a permis d’assister à une séance studio incroyable, celle de l’enregistrement de 24 heures à vivre avec Oxmo Puccino, Le Rat Luciano, Freeman et Akhenaton. Cette journée-là, ces artistes occupaient le même studio que nous. Quand on est arrivés, Oxmo était allongé sur le sofa en train de marmonner tout seul dans sa barbe. Et d’un coup, il s’est levé en s’exclamant « C’est bon, je l’ai. » Il passa dans la cabine et se mit à rapper son couplet au micro, il l’avait écrit dans sa tête ! Ensuite, Le Rat est entré à son tour dans la cabine et a collé plein de papier toilette, du sopalin et des serviettes en papier sur le mur. En fait, son couplet était un puzzle de phrases qu’il avait écrites par-ci par-là. Culte !»

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