.png)
Entrevue : Rémi Yang – En immersion avec les travailleuses du sexe de Belleville
En quête d’une idée de sujet, Rémi Yang fait défiler son fil Twitter et tombe sur une campagne de crowdfunding lancée par les Roses d’acier. L’initiative fait suite à l’augmentation des violences envers les travailleuses du sexe de Belleville et aux trois meurtres qui ont endeuillé la communauté en 2019. Quatre ans plus tard, le journaliste indépendant publie son premier ouvrage, Roses d’acier – Chronique d’un collectif de travailleuses du sexe chinoises aux éditions Marchialy. L’occasion de revenir avec lui sur son immersion journalistique, sur le parcours des travailleuses du sexe chinoises, et sur celles qui constituent le coeur des Roses d’acier et œuvrent chaque jour à protéger, défendre et accompagner leurs consoeurs.
Tu comptais initialement écrire un article au sujet des travailleuses du sexe chinoises de Belleville. Comment t’es tu retrouvé à côtoyer les Roses d’acier, à participer à leurs réunions et à leurs voyages pendant deux ans ?
À la base je voulais écrire un papier pour Streetpress sur l’augmentation des violences faites aux travailleuses du sexe chinoises à Paris et sur leur réponse communautaire. Mais entrer en contact avec le collectif s’est avéré plus compliqué que prévu : comme c’est une population marginalisée, des filtres sont mis en place avant de les rencontrer. J’ai finalement rencontré Ting, le coordinateur des Roses d’acier, et j’ai commencé à assister aux ateliers du collectif. Je me suis investi pendant plusieurs mois pour cet article, je trouvais le parcours de ces femmes incroyables. J’avais envie de rester dans cet écosystème, alors pour justifier professionnellement cet investissement sur le long terme, j’ai commencé à pitcher un projet de livre.
Comment s’est passée ton intégration avec les femmes qui gèrent les Roses d’acier et que tu suis dans ton livre ?
Mon intégration a été facilitée par Ting, en qui les six femmes du bureau de l’association ont une confiance totale. Ting assurait la traduction, puisqu’elles ne parlent pas du tout français et que je baragouine le chinois et un rapport chaleureux s’est vite installé entre nous. J’ai retrouvé une atmosphère semblable à celle de chez ma famille en Chine, où tout le monde parle fort et te donne plus à manger que ce que tu ne peux avaler. Pour justifier ma présence auprès des adhérentes qui ne me connaissaient pas, Ting m’a proposé de devenir bénévole. J’avais donc cette double casquette de journaliste et de bénévole, qui me permettait de creuser les sujets qui m’intéressaient et de me rendre un maximum utile sur les ateliers.
Tu racontes d’ailleurs dans ton livre que tes origines françaises et chinoises ont facilité ton intégration ?
Oui, Ting m’a dit plus tard qu’il n’aurait pas pris la peine de me rencontrer si j’avais été 100% Chinois ou 100% Français. Ce qui l’intéressait dans mon métissage, c’était que j’étais à la fois capable de comprendre la culture chinoise et certains comportements des Roses d’acier et de lui-même, et d’avoir ce regard sur la société française qui me permet peut-être de voir des choses que les Roses d’acier auraient du mal à intégrer.
Les femmes que tu as rencontrées partagent certaines similarités dans leur parcours. Que viennent-elles chercher en France ?
Il ne s’agit quasiment que de migration économique. La plupart viennent chercher du travail et mettre de l’argent de côté à envoyer à leurs enfants restés au pays. En Chine et en Asie en général, on fantasme pas mal sur la France, avec cette idée que l’on y trouve du travail facilement avec beaucoup d’argent à la clé. J’ai surtout rencontré des femmes âgées de 45 à 60 ans, mais les nouvelles arrivantes qui choisissent le travail du sexe n’ont plus forcément de parcours type, les profils sont plus diversifiés.
La communauté chinoise de Belleville est-elle davantage sujette aux violences dans le milieu du travail du sexe ?
Je n’ai pas travaillé sur les autres communautés de travailleuses du sexe donc je ne peux pas vraiment “comparer” les violences, mais les travailleuses du sexe chinoises sont marginalisées et souffrent d’une superposition d’oppressions. Il y a l’oppression liée au travail du sexe, l’oppression liée à leur situation irrégulière puisqu’elles sont migrantes, et l’oppression liée au fait qu’elles sont Chinoises, une communauté que les stéréotypes racontent comme discrète. Comme me l’expliquait Nora, la coordinatrice du Lotus Bus [de Médecins du Monde, ndlr], pour certains, agresser une travailleuse du sexe chinoise serait “moins grave” que de s’en prendre à une autre personne.
Quelle aide vient apporter le collectif des Roses d’acier aux travailleuses du sexe ?
Les Roses d’acier est une association communautaire, c’est-à-dire que toutes les membres sont des travailleuses du sexe chinoises à Paris et connaissent les besoins de la communauté. Elles n’ont pas beaucoup de moyens financiers mais s’organisent au plus près des besoins des adhérentes. Quand trois travailleuses du sexe chinoises ont été tuées à Paris en 2019, certaines femmes avaient peur de sortir de chez elles. Pour éviter qu’elles ne s’isolent, les Roses d’acier ont financé l’achat d’alarmes personnelles. Certains diront que c’est un gadget, mais les alarmes ont eu le mérite de faire sortir les femmes de chez elles pour récupérer l’appareil et de maintenir le lien. En ce moment, les Roses d’acier organisent des cours de français axés autour des problématiques du quotidien. Cela peut concerner le travail du sexe mais aussi les consultations chez le médecin, l’administratif, les problèmes rencontrés à la banque…
Y a-t-il une Roses d’Acier qui t’a particulièrement touché pendant cette période d’immersion ?
Je dirais Meiguei, qui est la présidente de l’association et la personne avec qui j’ai passé le plus de temps après Ting. On s’est régulièrement vus autour de dîners avec les Roses d’acier et ça a aidé à briser la glace. Je voyais vraiment deux facettes d’elle : celle de présidente d’association droite et ferme et celle d’une femme libérée, drôle et taquine.
Avais-tu toi-même des préjugés avant de commencer ton enquête ?
Je n’avais jamais parlé aux travailleuses du sexe de Belleville mais j’avais entendu beaucoup de choses sur elles. Des fois on se baladait avec des amis et j’entendais : “Regarde, ça c’est un mac” ou “Cette voiture, c’est sûr qu’un mac attend dedans”. J’avais cette idée préconçue qu’elles faisaient toutes partie d’un réseau et en rencontrant les Roses d’acier, j’ai réalisé que toutes ces femmes étaient indépendantes. Et pour rien au monde elles ne voudraient que ça change.