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Entrevue : Marie-Agnès Chauvin – « Il faut s’autoriser à penser du mal de l’autre »

Aussi et surtout en plein confinement. La preuve.

Par
Daisy Le Corre
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“J’ai des envies de meurtre, parfois…”, me confiait, en plaisantant, un collègue confiné avec son ex et leur fille, à la campagne. Dans le contexte actuel, c’est vrai que ce n’est pas facile de rester calme, nos nerfs sont mis à rude épreuve. Et notre empathie a tendance à se faire la malle. Sur les réseaux sociaux, c’est encore pire, tout le monde se lâche comme si tout était permis. On a discuté avec Marie-Agnès Chauvin, psychologue et auteure de plusieurs ouvrages, pour en savoir plus, mais aussi (surtout) pour apprendre à rester zen. Plus que jamais.

En ce moment, on remarque que les jugements à l’égard d’autrui prolifèrent, notamment sur les réseaux sociaux: délation, leçons de morale, critiques des politiques, etc. Le phénomène s’intensifie avec la période difficile que nous traversons. Pourquoi ?

Quand une personne vit une situation émotionnelle difficile, il y a un mécanisme psychologique de protection quasi automatique qui se met en place pour éviter, en quelque sorte, la surchauffe à l’intérieur de la personne. Cela se manifeste par: 1) l’envoi de la charge émotionnelle hors de soi 2) et l’identification d’une cause à son malaise, de préférence à l’extérieur de soi. L’autre est donc la cible idéale !

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Qu’est-ce que ça dit de celles et ceux qui l’adoptent?

Cela montre d’abord la lourdeur du « poids émotionnel » vécu par la personne émettrice. Mais aussi qu’elle ne sait pas prendre en charge ses propres émotions: elle les projette sur l’autre. Apprendre à reconnaître puis à gérer ses émotions et ses jugements négatifs est un processus qui s’acquiert avec le temps et la maturité.

Comment en faire quelque chose de positif?

Il faut commencer par accepter que nous sommes tous des êtres de jugement. C’est une des caractéristiques de l’humain que de porter un regard critique sur ce qui l’entoure. Ensuite regarder avec réalisme ce que l’on pense de négatif sur l’autre, et surtout s’empêcher de formuler ce jugement à voix haute. Enfin, il faut transformer le mal que l’on pense des autres en une ressource positive pour soi et pour la relation, et ce, en comprenant ce que cela nous apprend de nous-même (…).

Il faut s’autoriser à penser du mal de l’autre et s’interdire de le lui formuler.

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Avec le confinement actuel, les gens ont parfois des difficultés à supporter le huis clos… et à se supporter tout court. Les défauts des autres leur sautent au visage. Comment faire de cette épreuve quelque chose de constructif (en évitant de divorcer, par exemple)?

Tout d’abord, il faut prendre acte que le confinement accroit naturellement les ressentis et les émotions, car nous ne pouvons plus, physiquement, prendre de distance face à l’autre. Ensuite, il faut s’autoriser à penser du mal de l’autre et mais le garder pour soi. Ce qui est dit ne peut être retiré et les mots violents occasionnent des blessures relationnelles irréparables. (…) Et c’est difficile de rester en couple quand on s’est envoyé des horreurs au visage… Pour finir, l’idéal serait de s’inspirer de la « communication non violente » pour apprendre à exprimer ses ressentis plutôt que de soulever le défaut ou la responsabilité de l’autre : pratiquer le « je » et non le « tu ».

C’est l’indispensable hygiène de vie en groupe qui va nous permettre de supporter le confinement.

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Avez-vous des exemples concrets à nous donner pour apaiser les tensions?

Oui, un exemple simple : le confinement augmente naturellement le désordre du lieu de vie commun, et chacun a sa vision de la situation. Alors plutôt que traiter l’autre de « bordélique » et peut-être pire, faites plutôt ceci:

  1. 1. Exprimez votre propre difficulté, voire votre souffrance à voir tout traîner partout : «je ne me sens pas bien dans une pièce en désordre». 2. Faites part de votre besoin: « j’ai besoin d’un espace où me sentir bien » 3) Discuter ensemble de ce qui est acceptable pour chacun et fixer des règles où chacun y gagne.

C’est l’indispensable hygiène de vie en groupe qui va nous permettre de supporter le confinement.

Son dernier ouvrage, Continuons à penser du mal des autres!, vient de paraître aux Editions Eyrolles.

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