Plutôt team 50/50 ou prorata, quand il s’agit de dépenser avec votre moitié ? Avant de décider de la gestion de vos finances, avez-vous pris en compte les écarts de salaire, l’investissement en travail domestique, les avantages et désavantages à mutualiser votre déclaration d’impôts ? La journaliste Lucile Quillet, spécialiste des sujets liés au travail des femmes, s’est posée toutes ces questions. Dans Le prix à payer, à paraître ce 6 octobre, l’autrice fait les comptes et calcule le prix du couple hétéro pour les femmes. Spoiler : l’addition est salée.
Comment expliquer que les femmes paient le prix du couple avant même d’être en couple ?
On a intériorisé que pour être la “bonne candidate” au couple, il faut cocher certaines cases de la norme hétérosexuelle : il faut être mince, apprêtée, bien épilée, disponible sexuellement… Ceci a un coût financier et rien que dans ma salle de bain, j’ai comptabilisé 1 000€ de produits à mon usage, contre 4,99€ pour mon conjoint. L’épilation en institut coûte plus de 20 000€ entre 20 et 50 ans et la charge contraceptive, qui bénéficie pourtant aux deux parties du couple est complètement invisibilisée, alors que de nombreuses contraceptions ne sont toujours pas remboursées et que la majorité des gynécologues font des dépassements d’honoraires. Il y a aussi un coût temporel qui se traduit en coût d’opportunités : le temps investi est un temps que l’on ne passe pas à faire d’autres choses, au bénéfice potentiellement plus direct ou égoïste.
Les couples gèrent souvent leurs finances au 50/50 ou au prorata. Pourquoi les femmes sont-elles très souvent perdantes dans l’équation ?
Est-il juste de faire 50/50 quand un couple a en moyenne 42% d’écart de revenus, quand les femmes font plus de travail domestique, quand les secteurs dits féminins sont sous-évalués et sous-rémunérés ? Il est absurde de demander aux femmes de prouver leur autonomie en faisant 50/50 alors que nous évoluons dans un monde inégalitaire. Le prorata peut sembler plus juste, mais pose les problèmes de la redevabilité et de l’effet d’entraînement, c’est-à-dire que la personne qui gagne le plus décide du niveau de vie du couple. J’ai beau payer 30% d’un voyage à Cuba, ce sera toujours plus cher que les vacances au camping que j’aurais payé seule. À la question de l’équité dans les montants dépensés s’ajoute la façon de dépenser. Les femmes paient davantage les produits du quotidien, soit tout ce qui est périssable, éphémère et non valorisé par la société, tandis que les hommes dépensent plutôt dans les pôles valorisants dont on garde une trace écrite : les impôts, la voiture, le matériel… Au moment d’une rupture, ces choses paraîtront bien plus onéreuses que 15 ans de paquets de boulgour et de cahiers d’école.
En quoi l’État participe-t-il à creuser les inégalités au sein des couples hétéros ?
La société entière bénéficie des dévotions des femmes, il suffit d’imaginer ce qu’il se passerait si elles faisaient grève. Si elles ne faisaient plus leur part de ménage et de temps parental, des secteurs économiques entiers seraient à l’arrêt parce que personne ne pourrait rester tard au bureau ni faire de gros déplacements. Si elles arrêtaient de gérer à elles-seules la santé sexuelle du couple, cela générerait un problème d’éducation parce que l’on manquerait de structures pour la petite enfance, d’autant plus si elles consacrent moins de temps à s’occuper des enfants.
Le mariage et le Pacs tendent de plus en plus vers la séparation des biens. Pourquoi cela profite-t-il moins aux femmes ?
Le Pacs ne protège pas, il permet simplement de mutualiser la déclaration d’impôts, ce qui bénéficie à celui qui gagne le plus, soit l’homme dans 75% des cas. On se marie moins, et sans mariage, pas de pension de réversion ni d’héritage. Même lorsque l’on se marie, on opte de plus en plus pour la séparation de biens. Pourtant, les femmes continuent de se mettre à temps partiel, de refuser des promotions ou de moins s’investir dans leur carrière au profit de leur famille. On voit souvent le couple comme une locomotive tirée par la carrière de celui dont la carrière passe en priorité, soit celle de l’homme le plus souvent. Mais au moment d’une rupture, la locomotive continue de filer : l’homme aura toujours son évolution de carrière, ses droits au chomage et sa retraite de façon exponentielle, mais la femme continue son chemin à pieds.
Pourquoi les femmes se retrouvent-elles appauvries après une rupture ?
Les femmes perdent en moyenne 20% de leur niveau de vie après une rupture, contre 2 à 3% pour les hommes. Cela s’explique par leurs revenus souvent moindres, et la garde des enfants dont elles héritent en majorité. Dans 75% des couples l’homme gagne plus, et 75% des décisions judiciaires donnent la garde exclusive des enfants à la femme… Comme Mary Poppins, on donne aux femmes un petit sac en leur demandant d’en sortir des merveilles, et une pension alimentaire de 170€ en moyenne en France ne suffit pas à élever un enfant. Encore une fois, il y a un coût d’opportunités invisibles pour les mères, qui vont refuser un travail qui termine à 20h ou un niveau de responsabilité élevé car cela serait trop compliqué à gérer.
Pourquoi l’argent est-il si tabou dans le couple ?
Les femmes qui parlent d’argent sont stigmatisées comme des femmes vénales, rien que le fait de compter est considéré comme vilain en amour. Le couple est censé être le lieu où on se transcende, où l’on oublie les choses rationnelles du quotidien. On fait de l’intérêt des femmes pour l’argent une jauge de leur amour, comme on fait de la disponibilité des mères une jauge de leur amour pour leurs enfants. On incite les femmes à ne pas compter quand elles sont en couple mais au moment d’une séparation, elles s’entendent dire : “Il fallait réfléchir, madame !”.
Comment tendre à plus d’égalité dans le partage des biens et des ressources au sein des couples ?
Il faut arrêter de stigmatiser les femmes qui parlent d’argent, et nourrir ces réflexions pour tester diverses manières de gérer son argent et trouver le fonctionnement le plus juste. Plus généralement, nous avons besoin de reconsidérer le travail, que l’on réduit aujourd’hui à un contrat de travail, un salaire et des cotisations. Le travail, c’est une activité qui produit un bénéfice en valeur ou en opportunités pour d’autres que soi. À partir de là, on peut voir l’étendue du travail gratuit accompli par les femmes et d’autres gens dans la société.
Que gagnerait-on à valoriser le travail domestique ?
De la reconnaissance mais aussi de l’argent, des droits au chômage, à la retraite… Lorsqu’une femme se met en couple, elle prend 7 heures de travail domestique supplémentaires par semaine tandis qu’un homme en perd deux. Cela s’aggrave encore à l’arrivée d’un enfant alors qu’un homme ne récupère qu’une heure de tâches ménagères, ce qui signifie qu’un homme célibataire fait plus de travail domestique qu’un père en couple. Ce qui est considéré comme normal est basé sur des privilèges et pour rééquilibrer les choses, il faut reconnaître l’utilité sociale des métiers. La reconnaissance du travail domestique peut sembler être un sujet anodin, mais elle veut dire beaucoup de notre société.