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Entrevue : La Bronze – Entre ombre et lumière
Cinq ans après Les corps infinis, La Bronze signe son retour avec un nouvel album, Vis-moi. Avec 13 morceaux tantôt bruts, mélancoliques et toujours délicieusement pop, la chanteuse et compositrice québécoise nous embarque dans un voyage intime et introspectif touchant de sincérité. En quête de vérité, l’artiste traverse les vagues et les flammes pour s’approcher de l’essence de la condition humaine.
Pour l’occasion, La Bronze a accepté de nous parler de son rapport organique à la musique, de sa fascination pour le phénix et de sa poursuite de la liberté.
Peux-tu nous parler du titre de ton nouvel album, Vis-moi?
C’est la notion selon laquelle la vie est parfois trop lourde et fait naître cette envie que quelqu’un d’autre porte ce poids à notre place. C’est s’en remettre à quelque chose de plus grand pour qu’il nous vive plutôt que nous nous vivions nous-même, pour pouvoir s’abandonner à un flot et ne plus avoir à faire d’efforts.
C’est quelque chose que tu as souvent ressenti?
Oui, quand même, parce que l’on vit dans une société où l’on doit performer dans toutes les sphères de notre vie. Je pense que cette envie de se délester de ce poids est assez globale chez notre génération.
Où est-ce que tu puises ton inspiration pour écrire?
Je ne sais pas exactement où je puise mon inspiration, dans le sens où elle naît probablement de tout ce que je vis : mes expériences, mes voyages, mes rencontres, mes sensations, mes observations, la nature, la ville, les sentiments, les interactions… Mais quand j’ai le temps d’écrire, je m’en remets à l’instinct, c’est toujours très fluide et organique, et je me laisse porter par ce flow.
Dans l’album, tu abordes plusieurs thématiques de la vie : le désir, le sexe, mais aussi des sujets plus sombres comme la mort et le suicide, dont tu parles dans la chanson Vis-moi. Qu’est-ce qui t’intéresse dans la mort?
Ce qui m’intéresse dans la mort, c’est surtout ce qu’elle permet de faire renaître. Je pense que la mort est une métaphore extraordinaire pour tellement de choses dont on peut et dont on doit se délester : quand on guérit de trucs, quand on laisse des relations qui ne nous servent plus ou sont nocives pour nous, quand on délaisse des croyances qui nous restreignent… Toute cette notion de cycle est selon moi nécessaire pour une belle expansion de notre expérience humaine. C’est l’effet phénix.
Dans Sois ferme, tu parles de la question de l’âgisme et de la façon dont le vieillissement des femmes est perçu dans la société. Qu’est-ce qui t’as donné envie d’écrire cette chanson?
C’est quelque chose d’extrêmement présent et toutes les femmes que je connais ont peur de vieillir parce qu’on nous montre que ce n’est pas valorisé, autant physiquement que dans notre valeur professionnelle, sensuelle, sexuelle, amoureuse et relationnelle… Ce n’est pas valorisé parce que ce n’est pas représenté dans les médias. Les images que l’on voit nous disent de rester toujours jeunes, ce qui est extrêmement anxiogène parce qu’on invalide quelque chose d’inévitable. J’avais envie d’en parler pour que l’on puisse s’en affranchir.
Vieillir te fait peur?
Oui, ça me fait peur. Même si j’ai conscience que c’est le joug du capitalisme qui vend le culte de la jeunesse et que je sais d’où ça vient, la pression sociale est immense. C’est triste parce que ce n’est vraiment qu’une question de conditionnement, auquel on a nous a éduqué pendant des années. Si on nous avait appris à aimer les rides, les vergetures et les ventres qui tombent, on les aimerait, parce qu’au travers des représentations, on nous dicte ce qu’il faut aimer. C’est comme ça pour la musique, l’esthétique, les critères de beauté… Ne pas valoriser le fait de vieillir pour les femmes nous rend anxieuses à l’idée de vivre quelque chose de complètement naturel, et qui, en soi, est magnifique.
Ça rejoint le sujet de la déconstruction dont on parle beaucoup en ce moment. Pour autant, passer de la théorie à la pratique reste très compliqué…
C’est clair, et le premier pas de cette déconstruction est justement de prendre la parole. En ouvrant le dialogue, on brise le silence et les tabous et on reprend notre pouvoir à travers ce processus de déconstruction. C’est ça que je trouve génial.
Les thématiques sont parfois assez sombres, mais l’album reste très lumineux. Quel rapport entretiens-tu avec la musique?
Je suis très contente que tu me dises que tu le perçoives comme un album lumineux, parce que si j’abordé des trucs sombres, c’est surtout pour pouvoir les regarder en face, parce que quand on est en déni par rapport à la noirceur, elle est toujours sous-jacente. Tout ce qui est dur et dont je parle dans l’album, c’est pour pouvoir m’en affranchir et accéder à la liberté. La musique est pour moi une forme d’expression ludique où je m’amuse avec la beauté, la vérité, l’onirique, l’imaginaire. C’est comme un terrain de jeu où tout est permis, et ça me fait vraiment du bien, parce que c’est un espace de liberté, autant dans la création des chansons que sur scène. J’ai l’impression que tout est possible et je me permets de m’éclater à fond.
Qu’est-ce que tu as envie que les gens ressentent en écoutant ton album?
Je n’ai pas de créneau dans lequel je veux que leurs sensations se situent, j’espère seulement qu’ils l’écouteront avec le cœur ouvert pour que ça fasse naître quelque chose en eux.
Tu as aussi fait quelques reprises, dont Formidable de Stromae, qui est l’un de tes titres phares, mais aussi BB de Booba, entre autres. Tu prévois en refaire?
De temps en temps, je fais des reprises, oui, j’avais aussi repris Quand on n’a que l’amour de Jacques Brel. J’aime chanter des chansons que je trouve belles au même titre que tout le monde aime chanter dans la douche des chansons qu’il aime, sauf que moi, je le fais publiquement, comme une tribune. Mais c’est toujours dans cette optique très ludique et spontanée.
D’ailleurs, pourquoi Formidable de Stromae?
Quand je l’ai entendue j’étais comme « Oh my god, what is this song? » et puis je l’ai écoutée en boucle. Elle m’a tellement touchée, je n’avais jamais rien entendu d’aussi beau depuis Ne me quitte pas de Jacques Brel. J’ai été happée par la beauté des accords, leur rapport à la mélodie, les paroles… C’était une espèce de chanson parfaite, et c’est pour moi l’un des plus grands chef-d’œuvre de la musique francophone.
Est-ce que l’on te verra en tournée en France?
Pas pour l’instant, mais c’est dans les plans. Je suis souvent venue jouer en France, je reviendrai c’est sûr.