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Entrevue : Kalika – Autopsie d’une pop trash 3.0

Comme un goût de soleil, de colère et d’amour dans l’air.

Par
Pauline Allione
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Coupe symétrique aux reflets bleus, paillettes et grosses chaînes : baigné d’influences multiples, l’univers tranchant de Kalika percute la rétine et les oreilles. À 23 ans, la chanteuse sort ce 4 mars son premier EP Latcho Drom, dans lequel on retrouve le déjà culte cri féministe “Chaudasse”. L’occasion de parler sororité, création et identité avec celle que l’on n’a fini de voir squatter les scènes des festivals.

La musique a-t-elle toujours fait partie de ta vie ?

Dans ma famille tout le monde écoutait de la musique, et j’ai beaucoup vécu avec ma grand-mère qui était une femme du voyage. Il y avait tout le temps une guitare, des violons, des gens qui chantaient… Petite, c’est Ray Charles qui m’a donné envie de chanter, ce qui est bizarre parce que ça n’a rien à voir avec ma musique, mais quand j’ai vu son biopic j’ai commencé à essayer de l’imiter, puis j’ai chanté ce que je voulais. Après j’ai fait du piano, du violon, de la chorale, du théâtre…

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Tu as fait la Nouvelle Star à 17 ans, quel souvenir est-ce que tu en gardes ?

C’était trop cool, j’ai rencontré des personnes que j’aime toujours très fort et c’était hyper formateur, comme une école accélérée. C’est chelou, tu chantes un peu chez toi en cachette et d’un coup tu dois chanter devant des gens qui ont déjà une carrière et te confronter au jugement des gens sur Twitter. Même si c’était du taff et si c’était stressant, à la fin j’avais envie de continuer.

Ton EP est sorti ce vendredi 4 mars, est-ce que tu peux m’en dire un peu plus sur le titre, “Latcho Drom” ?

“Latcho Drom” ça veut dire “bonne route” chez les gens du voyage. C’est pour me porter chance et c’est aussi un clin d’œil à ma grand-mère encore une fois, dont j’étais très proche et qui n’est plus là. Dans tout ce que je fais, même si on n’entend pas les influences manouches, j’essaie de mettre un petit truc qui me lie à elle parce que c’était une femme incroyable et une queen indépendante hyper inspirante. Là, le clip de mon prochain single commence avec une fête foraine, parce que ma grand-mère venait d’une famille de forains.

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Tu peux nous teaser un peu les thématiques que tu abordes dans l’EP ?

Ça parle pas mal de sexe, d’amour et de relations conflictuelles. De désir dans “Olala” qui est la chanson la plus lumineuse de l’EP, de coup de poing féministe et de libération sexuelle avec “Chaudasse”, d’une rupture difficile tournée dérision avec “L’été est mort”, de mon coup de foudre avec Joanna qui est une grande amie et qui me donne à voir de près ce qu’est la sororité dans “Touche-moi”… Mais aussi du fait de manquer de représentations dans la société, ou de l’empreinte que laisse une personne après une rupture, comme quand t’enlèves ton casque après des heures de studio et que t’as encore les vibrations dans les oreilles. Et “Dinosaure”, c’est une histoire un peu particulière.

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Tes textes sont empouvoirants et résolument féministes, c’est un message qui te tient à cœur ?

Carrément, obligé même. Je ne me suis pas dit que j’allais écrire des choses féministes mais quand je vois une injustice j’ai besoin d’écrire dessus, et c’est d’ailleurs souvent à ce moment-là que j’écris. Quand un truc m’a énervée, m’a fait pleurer, j’ai besoin d’écrire pour y mettre du sens. Il se trouve que je suis une meuf et que comme toutes les meufs, je vis régulièrement des situations ultra violentes. Ça fait maintenant partie intégrante de mon projet et de mon art, mais ça s’est fait de manière très naturelle, simplement parce que des trucs contre-nature nous arrivent.

C’est quelque chose que tu nourris ou ça part vraiment de constats personnels et révoltants ?

Maintenant que je deviens une femme, je prends conscience de mon féminisme et j’ai besoin d’en apprendre dix fois plus, de rencontrer des femmes inspirantes, d’essayer de faire avancer les choses. Mon entrée dans le milieu de la musique a été un choc de plus et j’ai réalisé que ces violences étaient présentes même dans l’art, voire encore plus. J’ai commencé à en parler avec d’autres chanteuses et artistes et j’ai capté qu’on avait toutes vécu les mêmes trucs. Des mouvements comme #MusicToo ou D.I.V.A. (un compte Instagram, ndlr) sont hyper importants parce que ça met en lumière tout ce qu’on subit en cachette.

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Tu as aussi fait pas mal de covers avec “Pull marine”, “À l’ammoniaque”… Tu comptes continuer ou ça restera propre aux confinements ?

C’est vrai que je suis devenue une cover girl pendant le confinement, on se faisait chier, il fallait bien s’occuper. Je pense en refaire quand j’aurais le temps, j’adore chanter les chansons des autres. Tu rentres dans la tête des artistes, ça te fait voir ailleurs et il n’y a pas d’enjeu, si ce n’est qu’on capte mon délire même dans les chansons des autres. C’est un super exercice.

Il me semble que tu réalises aussi toi-même tes clips ?

J’écris, je réalise et je co-réalise mes clips, je fais la DA, je trouve les équipes, je ne travaille qu’avec des gens que je connais… C’est un travail de malade mental mais c’est très excitant de créer une image qui n’existe pas encore. Mon approche de la musique est plus visuelle qu’auditive, quand je fais des mélodies j’ai déjà des images ultra précises en tête, c’est pour ça que je n’ai pas délégué la réalisation jusqu’à maintenant. Quand j’ai écrit “L’été est mort”, tout le clip était déjà dans ma tête.

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En parlant d’image, on peut dire que tu évolues dans une esthétique qui t’es propre, très explosive et bling bling. Comment est-ce que tu as construit cette identité visuelle ?

Ça s’est fait petit à petit, mais il y a un truc qui a toujours été là parce que je m’inspire du milieu dans lequel j’ai grandi, et encore une fois de ma grand-mère qui avait un flow de ouf. Elle portait des fausses fourrures, des gros chapeaux, des grosses baskets, ça n’avait aucun sens mais elle l’assumait tellement que ça devenait stylé. C’était encore une fois une grosse leçon de sa part : rien n’est ridicule, à partir du moment où on assume à fond on peut devenir la plus stylée du monde. J’ai toujours aimé la couleur, mais ça me vient aussi de ma grand-mère et de l’Inde, où j’ai vécu un moment et qui est un pays ultra coloré. Le côté gitane sexy me vient encore une fois de la culture des gens du voyage, et pour le côté punk trash, c’est très personnel. Je vois le monde sans filtre, c’est assez cru et je trouve ça cool de l’exprimer à travers des bijoux métalliques durs et tranchants. Ça s’est fait progressivement mais il y a eu toute une étape où j’ai cherché, taffé et essayé plein de trucs pour comprendre ce que j’aimais.

Tu as donc quand même pas mal bossé dessus…

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C’était déjà là mais je ne savais pas l’expliquer, et on dit souvent qu’un talent sans travail ne vaut rien. En l’occurrence c’est une identité et non pas un talent, mais je pense que ne pas en avoir conscience peut poser problème. C’est flou, tu n’es pas toujours cohérent, tu peux complètement changer d’avis… Si tu comprends ton identité, que tu sais d’où elle vient et pourquoi tu kiffes ça, tes goûts et tes choix s’affinent.

Je t’ai vue à La Boule Noire, tu sembles vraiment dans ton élément sur scène. Tu t’y sens comment ?

De ouf, c’est le meilleur endroit du monde. J’ai fait ma première scène à neuf ans et j’ai direct dit à mes parents que je voulais faire de la scène. Une fois que j’y suis j’oublie tout le reste, et c’est hyper fort parce que c’est rare que j’arrive à être connectée au moment présent et à le vivre à 100%. Là je n’ai pas à me forcer, j’envoie de l’amour à plein de gens en même temps et ils me le rendent en retour. Il y a un truc surnaturel et magique qui est fou sur scène, c’est un peu une drogue.

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