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Entrevue : Jérémy Lemarié – Aux origines du surf
Aujourd’hui, les surfeurs prennent des vagues à Hossegor, en Bretagne et même à Marseille. Ce qu’ils ne savent pas forcément c’est qu’avant eux, cette pratique, découverte en même temps que les îles d’Hawaï par le navire du capitaine Cook en 1778, a d’abord été religieuse, politique et même romantique. Tandis que la population locale était décimée par les colons, le surf s’apprêtait à séduire le monde entier. Dans la réédition de son ouvrage Surf, histoire d’une conquête, en librairies le 22 avril, Jérémy Lemarié, maître de conférences à l’université de Reims Champagne-Ardenne et passionné de glisse, remonte le temps pour mettre en lumière la véritable histoire de ce que l’on appelait autrefois le he’e nalu.
HE’E NALU, ÇA SIGNIFIE QUOI ?
Nalu veut dire “vague” et he’e, “glisser”. C’est le mot surf, en hawaïen.
AVANT QUE LES COLONS NE DÉCOUVRENT HAWAÏ, QUELLE PLACE OCCUPAIT LE SURF SUR L’ARCHIPEL ?
Comme tous les autres sports, le surf avait plusieurs rôles dont le loisir et le maintien de la santé, mais également d’autres emplois que l’on ne retrouve pas dans notre société occidentale. Il avait par exemple une fonction nuptiale : lorsqu’un homme et une femme surfaient une vague ensemble, ils engageaient une relation romantique. Une fonction politique également, puisqu’avant l’arrivée des Occidentaux en 1778, Hawaï était une société sans écriture dans laquelle les monarques ne pouvaient pas asseoir leur pouvoir de façon pérenne, donc ils rivalisaient d’intentions pour montrer qu’ils étaient aristocrates. Cela passait par la guerre et l’hérédité, mais aussi par la maîtrise des jeux, dont le surf… Bien surfer faisait partie des prérogatives royales.
LES COLONS SE SONT-ILS TOUT DE SUITE INTÉRESSÉS AU SURF ?
Ils ont d’abord été étonnés, voire effrayés : ils étaient effarés de voir des personnes se mouvoir dans l’eau avec une simple planche. Au XVIIIè siècle, la grande majorité des personnes qui se rendaient dans le Pacifique à bord de navires d’exploration comme celui de James Cook ne savaient pas nager. Les Hawaïens eux, savaient nager, et plus les vagues étaient dangereuses, plus ils s’amusaient. Passée l’incompréhension générale, les missionnaires se divisèrent sur le sujet : certains estimaient que le surf, comme n’importe quel jeu, était à proscrire pour évangéliser les populations et leur apprendre les vertus du Christianisme, tandis que d’autres lui prêtaient des vertus curatives, comme la natation ou le bain de mer. Cela concourt avec le mouvement hygiéniste du XIXè siècle, qui cherche à éradiquer un certain nombre de maladies.
EN QUOI LE SURF A-T-IL ÉTÉ UN OUTIL DE RÉSISTANCE À LA COLONISATION ?
Au XIXè siècle, une partie des colons cherchait à passer sous silence les coutumes indigènes et leur religion polythéiste pour évangéliser les populations. Par conséquent, toute une frange de la population hawaïenne, dont la royauté, allait à l’encontre de la morale puritaine à travers un ensemble de pratiques telles que la danse hula, le he’e nalu, la consommation excessive d’alcool… Alors qu’Hawaï perd de son influence au profit des intérêts américains, la royauté met en avant son identité nationale, dont font partie les traditions locales comme le surf.
LE SURF A D’ABORD ÉTÉ MENACÉ DE DISPARITION À L’ARRIVÉE DES OCCIDENTAUX. QU’EST-CE QUI FAIT QUE CE SPORT A FINALEMENT SÉDUIT LE MONDE ENTIER ?
C’est surtout la population hawaïenne qui a été menacée de disparition. À l’arrivée des colons sur l’archipel en 1778, on estime qu’il y avait entre 250 000 et 400 000 Hawaiens mais au recensement de 1893, ils n’étaient plus que 40 000. Lorsque 90% de la population s’éteint en l’espace de cent ans, il est logique que sa culture soit également menacée d’extinction… mais les archives hawaïennes rapportent que le surf était toujours pratiqué.
Au début du XXème siècle, le surf connaît une nouvelle popularité : l’économie d’Hawaï, qui reposait sur le commerce transpacifique, est forcée de se tourner vers le tourisme et les Américains et Britanniques aisés, comme tout bon touriste, recherchent l’authenticité et s’essaient aux pratiques indigènes, dont le surf. Parallèlement, certains surfeurs comme Duke Kahanamoku deviennent des champions olympiques et contribuent à populariser la pratique.
ET DU CÔTÉ DES MÉDIAS ?
Dans les années 50, la société de consommation de masse américaine, comprenant les studios hollywoodiens et les chaînes de télévision, commencent à utiliser l’image du surf pour en faire des films à succès. Une dizaine d’années plus tard, on compte une cinquantaine de films de surf, qui contribuent à diffuser une image stéréotypée du sport : on met le paquet sur le soleil, la plage, la jeunesse, le sexe, la consommation d’alcool… 70 ans plus tard, on utilise toujours cette même recette. Sauf que quand vous surfez en hiver dans des vagues de 3 mètres et une eau à 5°, on est bien loin de ces représentations idéalisées.
QUI SONT LES BEACH BOYS ET QU’ONT-ILS CHANGÉ À LA CULTURE DU SURF ?
Ce sont les garçons de plage que l’on estime être à l’origine de la diffusion du surf. Au début du XXè siècle, les touristes étaient accueillis à Hawaï par des locaux qui incarnaient l’Hawaïen typique et étaient chargés de faire découvrir l’authenticité de leur culture. Ils nettoyaient la plage, s’assuraient que les touristes ne se fassent pas avoir par les morsures du soleil, les emmenaient dans les bons endroits et leur apprenaient à nager et à surfer. Équivalent masculin de la hula-girl, cette femme hawaïenne qui porterait soit-disant un soutien-gorge en cocotiers et danserait le hula, le beach boy est grand, il a la peau mate et il est musclé parce qu’il passe beaucoup de temps à surfer.
LE SURF A-T-IL ÉTÉ DÉPOSSÉDÉ DE SA PHILOSOPHIE ?
Si vous allez à Hawaï, la culture a évolué, mais elle est restée authentique : on continue de faire perdurer les traditions et de fabriquer les planches de la même manière qu’il y a 300 ans. Dans tous les endroits du globe où le surf s’est répandu, y compris les lieux les plus improbables comme en Iran, surfer consiste toujours à prendre une planche et se lever sur une vague. La pratique a très peu évolué mais ce qui a beaucoup changé, c’est le système culturel qui l’entoure. Si vous êtes une femme voilée et que vous surfez en Iran, la signification de ce geste n’est pas du tout la même que si vous surfez à Hawaï.
ÉCRIRE L’HISTOIRE DU SURF, C’ÉTAIT IMPORTANT POUR VOUS ?
Quand j’ai commencé à m’intéresser au surf durant mes études, je me suis rendu compte que le surf était surtout raconté du point de vue des Américains. On manquait non seulement d’une interprétation de l’histoire du surf, mais surtout d’une interprétation indigène… Personne n’avait pris la peine de raconter l’histoire des Hawaïens, qui sont à l’origine du surf.