Après avoir fait ses armes dans le groupe franco-britannique Postaal, Hervé lance sa carrière solo et sort son nouvel album Hyper. Éduqué par Alain Bashung, instruit par le rap français, son séjour au pays de Shakespeare lui a permis d’enrichir un univers déjà bien dessiné. L’artiste originaire de Bretagne compose, produit et écrit avec une sensibilité et une précision chirurgicale. Son intranquillité saute aux yeux, son talent aussi. Rencontre.
Tu as été assez actif pendant le confinement. Tu as notamment sorti deux clips, le premier, confiné dans ta cuisine et l’autre, déconfiné. Comment as-tu eu ces idées-là ?
J’ai aussi sorti une session live de «Trésor». En fait, je ne me voyais pas rester inactif, c’était hors de question. L’album a été décalé 3 ou 4 fois, tout comme les dates parisiennes et la tournée. Tout était décalé, tout le temps. A un moment, je me suis dit : «Il faut que je sorte des trucs, il faut que je fasse des clips.» Avec mon groupe Postaal, avant, je faisais déjà les clips, donc je me suis dit que j’allais reprendre un peu. Et puis, je me suis retrouvé à l’endroit où j’ai fait l’album, à l’endroit où j’ai fait «Si bien du mal». La mélodie de «Si bien du mal» m’était venue dans cette cuisine à deux heures du mat’, donc ça collait. Je m’étais déjà dit que si je faisais un clip, je ferais un truc un peu à la Madame Doubtfire, à la Risky Business, où le mec se lève et il lâche prise à un moment à un moment de la journée où il ne devrait pas. J’avais vachement cette idée-là.
Tu viens de me parler de ton groupe Postaal. De quelles façons as-tu modifié ta manière de travailler, entre ton groupe Postaal et ta carrière solo ?
Déjà, je chante! J’ai décidé de chanter parce que j’avais écrit les paroles, donc pour moi, c’est pas la même musique. Pour Postaal, j’étais avec Dennis, qui était anglais, et il ne parlait pas du tout français. J’avais plus un rôle de producteur, de compositeur. Je faisais les refrains et je samplais. J’étais plus dans l’ombre, sous ma capuche. Aujourd’hui, j’ai ma gueule sur la pochette, ça change tout. Je passe du tout au tout.
Vos différentes origines ont-elles influencé votre façon de faire de la musique ?
On n’a pas la même pop culture. Lui, il a grandi sur de la Brit-Pop, moi j’ai grandi sur du rap français. On n’avait pas non plus le même âge, donc ce n’était même pas la même génération. Après, on se rejoignait sur énormément de choses. Les gros disques qui nous avaient mis une claque, c’était les mêmes pour lui et pour moi. Il n’y avait pas non plus la même façon de travailler en Angleterre. L’Angleterre, c’est vraiment une porte ouverte sur le monde. C’est une pop qui devient mondiale si ça marche. Nous, on est des latins, on a nos trucs à nous, notre zik : la disco, la French Touch. On a nos propres traditions et eux, c’est le pays du rock et de la pop à l’état pur. J’y ai découvert énormément de musiques. Les couleurs de ma pochette, c’est les couleurs de l’Haçienda (ancienne boîte de nuit) à Manchester. Ce sont des trucs que je n’aurais jamais découvert si je n’avais pas traîné là-bas et si je n’y avais pas eu mon label.
Est-ce pour cette raison que tu mélanges autant de styles dans ton album Hyper ?
Oui c’est sûr ! C’est ce que j’ai aimé là-bas et ce que j’aimais dans notre musique aussi. Quand on écoutait du breakbeat, lui il entendait Prodigy et moi j’entendais DJ Mehdi. Je pense que je suis empreint de plein de cultures. J’ai la chance d’aimer beaucoup de musiques et d’en écouter énormément. Je peux écouter aussi bien de la musique instrumentale et de la drum’n’bass, qu’Alain Souchon, Bashung ou Christophe. Aujourd’hui, je dis souvent que je fais de la chanson électronique.
Depuis la sortie de ton album, de nombreuses personnes te comparent à Alain Bashung. Qu’en penses-tu ?
Bashung, je comprends totalement la comparaison et tu ne peux pas me faire plus plaisir que ça. C’est le gars que j’ai le plus écouté… Et je pense qu’on ressemble à ce qu’on écoute le plus. Ça ne me met pas de pression, mais c’est encourageant. Ça me mettrait la pression si c’était vrai (rires). Mais Bashung, c’est le boss: il n’y a pas de comparaison possible. On peut dire «Oh, c’est le nouveau Bashung!» ou «Oh, c’est le nouveau Johnny!» Mais de quoi tu parles, mec ?! Johnny, c’est 50 ou 51 albums! Nous, on arrive, on a seulement écouté quelques sons. On ressemble juste à ce que l’on a écouté. Mais cette ressemblance est naturelle parce que Bashung, c’est que je préfère.
Tu te dévoiles beaucoup dans tes textes, où tu parles de tes émotions et de choses très personnelles. Est-ce que la musique t’aide dans la vie ?
Oui, ça m’aide dans la vie. C’est une bulle pour moi. L’espace-temps du moment où je produis du son m’aide beaucoup. J’ai trouvé un métier où je peux m’exprimer. Donc mes solitudes, je peux les mettre en musique. Ça, c’est cool. Ce sont des moments où je lâche prise, comme la scène. C’est pour ça que la scène me manque. Là, c’est terrible…
Est-ce que ça t’intéresserait d’essayer d’autres styles de musique, comme le rap par exemple ?
Non, pas du tout, surtout pas. Parce que pour moi, qui ai grandi en banlieue, le rap, c’est social. Tu ne peux pas faire du rap comme ça. Aujourd’hui, c’est la forme pop du rap qui a pris le dessus. C’est assez paradoxal, parce que le rap est venu par Studio 54, Paco Rabanne, les petits-fils Cassel. Finalement, c’était quelque chose de très parisien, très «branchouille». Et ensuite, c’est devenu une musique sociale. Aujourd’hui, on a tendance à mettre du rap partout, mais jamais je ne me considérerai comme rappeur. A la limite, je pourrais faire des instru pour des rappeurs, ou travailler en tant que producteur, mais je pense pas que je pourrais faire du rap.
Ce qui est marquant, c’est que tu as une approche très technique et précise de la musique. Comment ça se fait ?
Ah ouais, de ouf! En fait, c’est juste que je suis producteur. Moi, quand j’ai un morceau, je fais tout. Je ne suis pas que dans la voix ou dans la chanson. Si je n’arrive pas à faire toute la production, je n’arriverai pas à faire la chanson. Je compose et j’écris en produisant. J’enregistre piste par piste et au fur et à mesure, j’arrive à avoir une palette devant moi. J’ai ce côté assez geek, dans le sens où, quand je suis avec mon ingénieur du son, je sais exactement de quoi il me parle. Mais il y en a plein qui sont comme ça : Christine [and the Queens], Stromae, Kanye [West], même si je ne me compare pas à eux. En fait, je suis un producteur qui chante. Je suis un chanteur qui produit. Je fais tout dans ma chambre, ensuite c’est mixé, et après ça sort. Il n’y a pas trop d’étapes parce que je ne suis pas dépendant d’un producteur.
A quel moment t’es-tu dis que tu voulais être artiste ?
Je me souviens très bien, c’est la première fois que j’ai chanté, au moment de l’EP de Postaal. C’était peut-être 1 mois avant. C’est vraiment l’écriture qui m’a amené à chanter. J’ai écris, et du coup, j’ai chanté. Quelqu’un d’autre ne peut pas chanter mes chansons, elles sont trop personnelles, donc il a fallu que j’essaye de chanter.
Est-ce que ça te plairait d’écrire pour un autre artiste ?
Oui. J’aurais bien aimé travailler avec Christophe, on était en contact. Ça a été très dur sa disparition, ça m’a fait beaucoup de mal, beaucoup de peine. Avec lui, ça m’aurait excité de ouf, parce que c’était un amoureux du son. Quand tu rencontres des passionnés de son, tu écoutes la musique comme un enfant. Pour les autres, je ne sais pas, on verra en fonction des aléas des rencontres.
Je te laisse le mot de la fin…
Venez à La Cigale le 19 janvier 2021! Venez aux concerts, j’ai hâte de jouer! Je n’en peux plus, je commence à tourner en rond (sourire).