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Entrevue: Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray – Liberté, égalité, fierté
A l’occasion de la sortie du film La Première Marche, ce 15 octobre, on s’est entretenus avec les deux réalisateurs, Hakim Atoui et Baptiste Etchegaray. Ce film documentaire (très engagé) raconte l’organisation de la toute première marche des fiertés en banlieue, à Saint-Denis dans le 9.3. On y parle de fierté, d’intersectionnalité, d’identités, de sexualités et de stigmatisations. Sans grande surprise, on a adoré.
Quelle a été la genèse du projet? Comment avez vous rencontré l’association Saint-Denis Ville au Coeur? Et pourquoi avoir décidé de parler de ce sujet en particulier?
Nous avons rencontré les jeunes militants de l’association un peu par hasard, par un ami commun qui, à l’époque, était bénévole. Ils nous ont parlé de leurs projets associatifs et ont retenu notre attention lorsqu’ils ont évoqué leur volonté d’organiser la première marche des fiertés en banlieue. Initialement, nous pensions simplement participer à cette marche en spectateurs. Ce n’est que plusieurs semaines plus tard que l’idée de les suivre a germé. Nous nous sommes rendus compte de la nécessité que cette organisation soit documentée. Qu’il reste une trace de ce groupe de jeunes militants qui voulaient marquer l’Histoire. Que la marche soit une succès ou un échec, qu’ils réunissent cinq ou mille personnes, la démarche était historique.
Quel était votre rôle, votre position dans cette aventure? Notamment durant la scène du tractage où Yanis essuie certaines critiques homophobes de la part des passants.
Les semaines et les mois passant, nous avons vraiment développé une proximité avec les protagonistes du documentaire. Nous étions dans leur intimité puisque la plupart des réunions de l’association avaient lieu dans la chambre d’enfant de Yanis. Le dispositif filmique (une seule caméra derrière laquelle nous nous succédions tous les deux) a renforcé cette proximité. Nous ne sommes jamais intervenus lorsqu’ils échangeaient avec les passants. Nous considérions que ce n’était pas notre rôle. Bien sûr, si la situation avait dégénéré, nous l’aurions fait. Mais à aucun moment nous nous sommes sentis dans une situation délicate voire dangereuse à Saint-Denis.
Votre plus beau souvenir de tournage?
La marche, évidemment ! Voir que tous leurs efforts n’ont pas été vains. Leur bonheur, ce jour là, nous a touchés. Sans oublier tous les moments où ils ont tombé le masque. Les moments où ils nous racontaient, face caméra, qui ils étaient vraiment, ce qui les faisait vibrer, ce qui était à l’origine de ce militantisme énergique et radical, etc.
Il y a deux notions abordées dans le documentaire dont j’aimerais qu’on discute: l’homonationalisme et l’intersectionnalité. Pouvez-vous nous en parler? Pourquoi ces notions sont si importantes ici?
L’homonationalisme, cette récupération des luttes LGBT à des fins racistes, est très intéressante dans le sens où on reproche aux personnes musulmanes, noires, maghrébines, une homophobie supposée. Quelque part, on les place directement en ennemis des LGBT de France, donc en ennemis d’une partie de la population. Cela revient à utiliser la question LGBT pour les décrire comme les ennemis de la République. L’intersectionnalité est l’idée de se retrouver à l’intersection de plusieurs discriminations. Dans le cas de notre documentaire, les personnes LGBT de banlieue subissent des discriminations en raison de leur genre ou de leur orientation sexuelle mais aussi de leur origine sociale (les banlieusards). C’est ce cumul qui est au coeur de leur combat. Une personne LGBT blanche, parisienne, ne subit, à leur sens, pas les mêmes discriminations qu’une personne LGBT de banlieue issue de l’immigration.
Faut-il s’attendre à une montée de l’homonationalisme à l’approche des élections françaises? Comment le déceler?
On peut imaginer que Marine Le Pen tentera, en 2022, de capter des voix dans l’électorat LGBT en utilisant ce ressort. On l’a déjà vue envoyer des gros clins d’oeil à cet électorat, notamment à l’époque où Florian Philippot était au FN, ce qui ne l’avait pas empêchée de batailler ferme contre le mariage pour tous en 2013… Mais on peut aussi raisonnablement penser que les droits LGBT sont un sujet de campagne tellement marginal dans une élection présidentielle, qu’on devrait être relativement à l’abri !
A un moment du film, un des personnages, Enzo, explique qu’il est “hyper dommage qu’en 2019 on doive faire une marche des fiertés, un mouvement qui a été créé il y a 90 ans ». Qu’en pensez-vous?
Ça nous amusait qu’il dise “90 ans” car en réalité le combat pour les droits LGBT n’a “que” 50 ans (il est né en 1969 avec les émeutes de Stonewall comme le rappelle une militante féministe à la fin du film). Mais pour Enzo, qui est si jeune, ça lui semble un combat vieux d’un siècle, presque éternel ! Or c’est un mouvement finalement assez récent à l’échelle de l’histoire des luttes sociales. Mais là où il a parfaitement raison, et c’est sans doute ce qu’il voulait d’ailleurs signifier en disant “90 ans”, c’est que la nécessité d’organiser une marche des fiertés en 2019 est corrélée à une lgbt-phobie permanente, durablement installée, ce qui est intrinsèquement bien triste ! C’est bien que ces marches existent mais ce serait encore mieux si elles n’avaient plus besoin d’exister.
Qu’est-ce qu’il faut pour être activiste aujourd’hui, à Paris, en banlieue, en ville ou à la campagne?
Ce qu’il faut ? Nous ne savons pas. Mais ce qu’ils ont, les jeunes qu’on a suivis, c’est beaucoup d’énergie, une réelle résilience et la certitude que la lutte est juste, utile, et nécessaire.