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Entrevue: Gaël Faye – Entre espoir et réalisme

Il est de retour avec «Lundi Méchant», un quatrième album très 2020.

Par
Barbara Paul-Foos
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Entre les pieds sur terre et la soif d’optimisme, Lundi Méchant, le nouvel album de Gaël Faye rythme les pensées quotidiennes et les rêves de chacun. Fidèle à sa plume, les mélodies nous interrogent ou nous motivent à nous surpasser. Un album qui laisse place, à travers 14 morceaux, à des questionnements plus généraux mais inévitables sur le monde qui nous entoure. Disponible le 6 novembre, nous l’avons découvert en exclusivité et nous en avons discuté avec lui.

Dans cet album, vous abordez des thèmes plus généraux. Pourquoi cette envie de moins parler de vous, et de votre histoire ?

Peut-être parce que j’avais trop parlé de moi, je sortais de 3 ans de tournée internationale pour mon roman. La différence entre les écrivains et les chanteurs, c’est que l’écrivain est invité à plusieurs endroits où on lui pose beaucoup de questions, souvent intimes. J’ai beaucoup parlé de moi dans toutes les langues, sous toutes les latitudes et j’avais simplement un trop plein de moi-même. L’inspiration est venue par la musique. J’étais à sec, je ne savais plus comment je m’appelais, j’avais l’impression de m’appeler «Petit pays». J’habitais au Rwanda, et avec toutes les tournées, j’ai dû me réinstaller à Paris. Pour l’écriture, c’est très compliqué quand on ne sait plus qui on est, parce qu’écrire, ce n’est rien d’autre que trouver sa voix, être un peu aligné entre sa tête et ses pieds. Il y a eu d’abord la musique, les compositeurs, les beatmakers. J’ai travaillé comme un chanteur en enregistrant un morceau comme «Chalouper» sans savoir de quoi j’allais parler.

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Il y a des artistes très différents et venus d’horizons multiples dans cet album. Comment les avez-vous choisis ?

Il y en a certains que je suis vraiment allé chercher, comme Harry Belafonte. Avec Jacob Banks, on s’était déjà rencontrés et il y avait une envie commune, comme avec Samuel Kamanzi avec qui j’avais collaboré pendant longtemps. Et puis Christiane Taubira, c’était un peu comme un rêve inaccessible mais les hasards de la vie ont fait que je me suis retrouvé à côté d’elle au cinéma, et je l’ai abordée… C’est un mélange: en fait, j’essaie de réunir un état d’esprit, plutôt que des gens en particulier.

Pensez-vous que le concept de «Lundi Méchant» peut s’instaurer en France malgré la culture du stress du dimanche soir ?

Je pense que ce serait tout à fait possible si on n’avait pas les conditions sanitaires actuelles. Cet état d’esprit d’irrévérence, qui invite à sortir des carcans, c’est quelque chose que j’aime et qui fait partie de la vie. Les sociétés modernes dans lesquelles on vit, on le voit dans les discours politiques, nous obligent à être soit producteur, soit consommateur. Mais il y a toute une dimension de la vie, qui est peut-être celle qui vaut la peine d’être vécue: c’est la dimension poétique et humaine. La société voudrait qu’on soit de gentils petits soldats au service de la croissance…

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Quel est votre jour de la semaine préféré et pourquoi ?

Mon jour de la semaine préféré, c’est le lundi évidemment, lundi méchant! (rires) Quand tout est encore possible. Il faut démissionner un lundi, pas attendre le vendredi. J’avais écrit une rime en démissionnant : «Lundi matin j’ai tout stoppé, j’ai raccroché les gants, à mi-chemin de mon trajet, je me suis assis sur un banc. Je me suis mis à gratter des rimes surannées pour vous parler à bout portant de ma langue surarmée.»

Votre album traduit cette envie de changement de rythme et de redonner une valeur au temps, aux petites choses. Et vous, quel est votre rapport au temps ?

Il y a deux temps. Le temps de l’économie, quand je fais des albums, des concerts, des tournées. Et puis il y a le temps de création, qui est le temps de l’ennui, il se suffit à lui-même. Il n’a ni début ni fin, ça ressemble au temps de l’ennui de l’enfance. C’est après ça que je cours et ce n’est pas évident. Je ne peux pas me dire en début de journée: je vais écrire une chanson. Si ça se trouve, j’en écrirai dix ou bien même pas une phrase. Ce n’est pas moi qui décide, c’est une voix intérieure qui prend confiance parce qu’elle n’est pas contrainte donc elle se libère.

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Avez-vous un rite d’écriture ou des habitudes pour être au mieux dans la création? Quelles sont vos muses ?

Je fais mes gammes comme un pianiste, c’est-à-dire que j’écris tous les jours. Je m’astreins à écrire un journal, des poèmes, des pensées. Mais faire un album ou un livre, ce n’est pas mettre des mots les uns à la suite des autres, c’est trouver une âme. Ce qui n’est pas évident car plus on écrit, plus on a l’impression de retomber sur les mêmes thèmes, sur soi. Pour moi, l’intérêt c’est de me surprendre à chaque fois que je recommence un projet, ne pas être là où je vais m’y attendre.

Qu’est-ce que vous inspire 2020 ? Si c’était un morceau, lequel serait-il ?

Y’a pas un morceau qui s’appellerait «La grande psychose» ou «Le gros pétage de câble» ? (rires). Ce qu’on est en train de vivre me chamboule énormément. J’arrive à écrire mes états d’âme du moment, mais je serais incapable d’avoir suffisamment de recul pour analyser. Ça me rappelle la guerre: les couvre-feux, les gens qui ne peuvent pas se voir, un ennemi invisible, des restrictions de libertés et des complications économiques. C’est une guerre à basse intensité. Est-ce que le remède ne deviendra pas pire que le mal au final ? Le virus est contagieux mais j’ai l’impression que la peur aussi. J’espère que ça ne sera pas un sentiment qui va se loger trop profondément en nous. Parce que pour avancer dans la vie, on a besoin d’une forme d’insouciance et d’une légèreté. Il ne faut pas toujours avoir peur de son voisin ou d’un câlin.

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Vos projets pour la suite sont plutôt littéraires, musicaux ou cinématographiques ? Et que pouvons-nous vous souhaiter ?

Les deux projets sur lesquels je travaille en ce moment, c’est un roman et un nouvel album. Et d’autres projets, mais pour l’instant qui ne sont pas la priorité. Ce sera là quand ce sera là: je ne peux pas écrire avec un chronomètre.