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Entrevue : Fakear – Un voyage musical minutieusement organisé

Son dernier album «Everything will grow again» vient de sortir.

Par
Bastien Loeuillot
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Originaire de Normandie, Fakear se moque des frontières musicales et crée une musique électronique aux multiples inspirations. A l’occasion de la sortie de son dernier album Everything will grow again, on a discuté avec lui de création, de folk américaine et même d’environnement.

Avant de parler de ton album et de ta musique, je me demandais comment tu allais et comment s’était passé le confinement pour toi ?

Je l’ai vécu assez sereinement, en fait. Je suis resté à Paris qui s’est vidée en partie, parce qu’à l’annonce du confinement, tout le monde est parti en province ou sur la côte, pour se confiner dans des lieux plus agréables. Alors Paris est devenue une espèce de ville fantôme assez chouette. Et pour tout te dire, ça n’a pas énormément changé de mon quotidien parce que j’ai l’habitude de rester seul dans mon studio, à faire de la musique. C’est sur la fin que c’est devenu un peu long où, effectivement, le fait de ne pas pouvoir voir ses amis, et le manque de concerts s’est fait ressentir.

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Qu’est ce qui t’a le plus manqué ? Les concerts ou l’enregistrement studio ?

Ce qui m’a le plus manqué pendant le confinement, ça a vraiment été le contact humain, les interactions avec les amis. Le manque des concerts est venu bien après, au début de l’été, parce que c’est normalement la saison où tout s’accélère. Pour l’enregistrement studio, j’ai la chance d’avoir tout le matériel chez moi et donc de pouvoir en faire quand je veux.

pour cet album là spécialement, j’ai eu la chance d’avoir accès aux archives sonores de deux musées symboliques de Paris : le musée du quai Branly, et le musée Guimet.

Tu as sorti ton nouvel album cette année. Ce qui m’a frappé à la première écoute, c’est la diversité et la variété des sonorités. D’où est-ce que ça te vient ?

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Je pense que ça vient d’un background musical que m’ont donné mes parents, qui sont profs de musique tous les deux. J’ai grandi en écoutant énormément de musique du monde, du jazz, de la musique classique, etc. C’est quelque chose qui reste une influence pour moi et une direction assez naturelle. Je ne vais pas vraiment réfléchir d’où viennent les sons, en termes géographique, mais plutôt si ça me parle et si c’est beau. Alors j’ai souvent le réflexe d’aller puiser dans la musique asiatique, dans la musique africaine, etc. Et pour cet album là spécialement, j’ai eu la chance d’avoir accès aux archives sonores de deux musées symboliques de Paris : le musée du quai Branly, qui regroupe beaucoup de musiques africaines, de musiques océaniques, des îles, et le musée Guimet, qui est le musée des arts asiatiques à Paris. Donc c’était une espèce de base de données, mise à disposition, où je pouvais aller piocher ce que je voulais. Donc effectivement je me suis éclaté!

Comment as-tu composé les morceaux de ton album? As-tu une technique particulière ou alors tu fais ça “au feeling” ?

C’est au feeling. En fait, ça change selon les formats. Pour démarrer une nouvelle vague de composition, à chaque fois, j’essaie de me challenger, de changer ma surface, d’aller sur un nouveau logiciel ou d’intégrer de nouveaux instruments. Cette fois-ci, le gros changement qu’il y a eu, ça a été mon espace. Avant ça, je n’avais pas vraiment d’espace dans lequel je pouvais étaler toutes les machines, je n’avais pas de “vrai” studio. En aménageant dans mon nouvel appartement, j’ai eu la place de pouvoir m’étaler. Ça a tout changé parce que, d’un seul coup, j’ai jeté tout ce que j’avais déjà fait à la poubelle et j’ai recommencé le nouvel album de zéro. D’un seul coup, je pouvais prêter attention aux détails, être beaucoup plus méticuleux dans la composition. C’est vraiment quelque chose qui a changé ma manière de faire. Je me base toujours sur une ligne de piano: au départ, je vais me mettre à mon clavier et j’essaie de trouver une progression d’accords, et puis je me laisse guider par ça. Je n’ai pas vraiment d’idées de morceaux avant de démarrer.

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Sur scène, tu es accompagné de musiciens, alors que ta musique est plutôt électronique. Est-ce que cet équilibre entre l’instrument et l’électronique est choisi ou est-ce naturel ?

Je pense que ça vient surtout de mon éducation musicale. J’ai un background plutôt pop-rock et j’ai toujours joué dans des groupes. En montant sur scène au départ, j’étais tout seul et très vite, quand j’ai dû faire des scènes qui étaient plus conséquentes, je me suis senti un peu seul à soutenir mon projet. Alors j’ai pris des musiciens avec moi: on était cinq sur scène à tourner pendant quatre ans. Et l’année dernière, j’ai décidé d’arrêter de tourner avec eux, pas par animosité, mais pour retourner à l’origine du projet. Donc depuis l’année dernière, je tourne tout seul. Par contre, je joue de la basse sur scène, et j’ai des instruments acoustiques à portée de main. Mais c’est beaucoup plus électronique qu’avant. Je vais continuer à pousser ce truc là, parce que pour cet album, j’écris un live beaucoup plus axé sur les synthétiseurs. Je vais vraiment être aux machines, un peu les mains dans les câbles. C’est quelque chose qui me plaît énormément et que j’ai plaisir à redécouvrir à nouveau. Par contre, le revers de la médaille, c’est qu’il y a beaucoup plus de pression, parce qu’on est seul sur scène à soutenir son projet. Et sur des grandes scènes, dans les festivals par exemple, il faut savoir garder la tête froide.

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Et quand tu composes ton album, est-ce que tu penses à la façon dont sera le live ? Ou alors tu le construis ensuite ?

Pareil, ça dépend des fois. Le premier album par exemple, Animal, je l’avais un peu pensé avec des musiciens. Je m’étais dit qu’il y aurait des musiciens sur scène, donc autant réfléchir directement aux lignes de batterie et de basse. Pour celui-là justement, je m’étais dit : « je me laisse totalement le choix d’adapter ou pas avec des musiciens ». Le but de cet album, c’était vraiment de retourner à quelque chose de super honnête. Même si c’était des trucs qui étaient infaisables à faire sur scène, j’ai envie de l’écrire et de ne pas me limiter à ce qui allait se passer ensuite. Et ça tombe bien parce que, finalement, il n’y a pas eu de tournée à cause du confinement et du Covid…

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Tu es né en Normandie, et pour cet album, tu as décidé de travailler avec des artistes internationaux, Alex Metric et Luiza Fernandes. Qu’est-ce que ces échanges avec ces deux artistes t’apportent ?

C’était quelque chose de très différent l’un et l’autre. Par exemple, Luiza, c’est une amie d’ami qui me l’a présentée et qui m’a dit : « Je connais une super chanteuse, tu vas voir, elle passe dans le coin pour quelques jours et ça vaut le coup que vous bossiez ensemble ». Du coup, on s’est mis en studio et en l’espace de 4-5 heures, le morceau « Rituals » était prêt.

Avec Alex Metric, ça a été très différent. L’album était terminé et j’avais fini de le composer complètement. C’est mon manager qui m’a dit: « Écoute, ce serait bien que tu viennes tester avec Alex Metric en studio à Londres, que ce soit pour une collab’, ou même juste des conseils de mixage, etc ». J’y suis allé, on a écouté l’album ensemble et il m’a dit: « Ça te dirait qu’on reprenne tout l’album et que j’intervienne en tant que réalisateur? ». C’est donc un mec, qui a plus de savoir-faire et d’autres références, qui m’aide à poser un petit peu les morceaux. Pour moi, c’était un exercice auquel je ne m’étais jamais donné, qui me faisait finalement un peu peur. Je n’avais pas forcément envie de donner les commandes à quelqu’un de l’extérieur, alors que mon univers est déjà construit. Et puis il est arrivé comme un maître Jedi, avec 10 ans d’expérience de plus que moi, avec plein de réflexes et de petits tours de magie. J’ai vraiment réappris à faire de la musique avec lui, littéralement. Ça a été hyper enrichissant. Il arrive sur un des featurings qui est le seul track que l’on a fait à 4 mains, mais sinon, il intervient un petit peu dans l’ombre sur les autres morceaux, en me proposant des soins de synthé, des trucs de batterie, etc. Mais « Carrie », ça a vraiment été le featuring avec Alex Metric. Il était là presque en tant que technicien sur tout l’album et ce morceau, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

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Y a-t-il des artistes avec lesquels tu aimerais travailler sur d’autres albums ou d’autres morceaux ?

Je n’ai pas trop de fantasmes de collaborations. J’aime bien rencontrer la personne, parler d’autres choses que du boulot, de la vie, etc. C’est ce qu’il s’est passé avec Alex Metric. On a écouté l’album ensemble, on a bu des coups et ça s’est fait assez naturellement. Il y a pas mal de producteurs que j’admire vachement, que je trouve très cool comme des Jon Hopkins ou Bonobo. Bonobo pour le coup je l’ai déjà rencontré, je vois très bien le personnage et c’est quelqu’un de très sympa. Mais je ne sais pas comment ça se goupillerait en studio. Et puis moi je navigue un peu à vue et je suis ouvert aux accidents de la vie.

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Est-ce que t’es prêt pour tes concerts qui reprennent en 2021 ?

Les concerts reprennent en mars 2021, donc je me laisse du temps pour tout préparer. Effectivement, j’avais commencé à bosser sur le live en février, parce que je m’étais dit que je devais prendre de l’avance. Et puis je changeais toute ma méthodologie: le confinement m’a vraiment offert le temps de me consacrer à ça. En fait, il me reste à faire la résidence, les lumières du spectacle, mais finalement, ça va aller assez vite. J’ai hâte de reprendre (sourire).

Pour ta musique, quelles sont les choses qui t’inspirent ?

Je suis assez friand de bande-dessinées. Je bouquine énormément de BD de science-fiction. Il y a une énorme part de science-fiction dans ma musique, que je n’arrivais pas trop à intégrer avant, qui pointe gentiment le bout de son nez dans cet album. J’ai envie de creuser de ce côté-là à fond. J’écoute énormément de musique électronique et j’essaie de rester à jour sur ce qui sort en ce moment. Sinon, j’adore la musique folk américaine, de la scène rock indé surtout. Il y a beaucoup d’artistes que j’adore, comme Phoebe Bridgers. C’est un peu mon refuge quand j’en peux plus d’écouter de la techno.

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J’ai une question qui n’est pas forcément en lien avec ta musique mais plutôt en lien avec ton métier d’artiste et de personnalité publique. Depuis quelques semaines, le monde est frappé par des manifestations contre les violences policières et contre le racisme. Est-ce qu’en tant qu’artiste, tu penses que tu as un rôle à jouer là-dedans? Ou alors tu ne veux pas t’immiscer dans le débat public et politique ?

Je pense qu’à partir du moment où on est une figure publique, elle est politique. Tout est politisé, on ne peut pas y échapper. Une figure publique qui se dit hors du débat public, c’est déjà une posture politique. J’ai plein de points de vues là-dessus et je suis très militant, que ce soit pour la cause féministe, contre les violences policières, contre le racisme. Mais je n’ai pas envie que les réseaux sociaux soient une plateforme sur lesquels je défende ces messages-là. Mes réseaux restent très musicaux. C’est vraiment l’inspiration, l’imaginaire, quelque chose d’assez proche de mon processus créatif. Par contre, si on me demande mon avis, je vais le donner avec plaisir mais je préfère militer sur le terrain. Je n’ai pas envie de véhiculer ça frontalement sur les réseaux de Fakear. Beaucoup de personnes font ça, mais ça déforme le propos et ça prend le pas sur la musique. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont le principal lien qu’un artiste a avec son public. Si jamais j’ai un message à faire passer, je le ferai en story mais je n’ai pas envie que ce soit quelque chose de trop frontal.

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Et à travers ta musique, pourrais-tu faire passer des messages politiques ?

Oui bien sûr. Par exemple, le titre de l’album a été pensé un peu comme ça. « Everything whill grow again », pour moi, c’est vraiment un statement écolo-fataliste sur la vie. C’est un peu dire : « Quoi qu’il arrive, le pire qu’il puisse nous arriver, c’est notre propre destruction. » La planète s’en remettra, on ne représente rien à l’échelle de sa vie à elle. C’est pas une raison pour ne plus faire d’efforts, il faut sauver nos fesses à nous, mais il n’y a pas de souci à se faire pour la planète. Tout repoussera. Du coup, il y a certains messages cachés de ce type dans mon album. Mais il n’y a pas vraiment de messages dans mes chansons, c’est plutôt un encouragement à se recentrer, à être ouvert au monde extérieur: c’est un grand message philosophique. Mais il n’y a pas de message politique. Je ne suis pas très « musique et message ». Je préfère que ça reste dans le domaine de l’imaginaire.

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