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Entrevue : Denis Jacquet – « Ça ne choque plus que l’État dicte ce qu’on a le droit de faire »
Sommes-nous encore capables d’analyser et de nous forger une opinion qui n’est pas forcément celle qui prédomine dans les médias ? Et si on écoutait aussi les voix divergentes ? À l’occasion de la sortie du livre de Denis Jacquet, Covid, le début de la peur – la fin d’une démocratie, on a choisi de le faire. L’auteur n’est ni un intellectuel ni un personnage politique, mais un entrepreneur qui défend l’importance de l’avis de la société civile. À travers ce livre très critique, il se permet de revenir sur les échecs politiques et le danger de maintenir les pays européens dans une peur constante qui nous conduirait vers une situation encore plus catastrophique que la crise actuelle.
Pouvez-vous nous dire à travers quelle(s) voix avez-vous choisi d’écrire ce pamphlet dénonciateur ?
Ça fait un moment qu’avec plusieurs entrepreneurs, on essaye de prendre part au débat public, en se disant que ce ne serait pas idiot de laisser la société civile s’exprimer. On avait commencé à le faire en 2013 avec le Mouvement des Pigeons, on s’était opposés à la politique fiscale du gouvernement Hollande. On avait voulu faire entendre notre voix en tant qu’experts à la place de technocrates qui n’y connaissent rien. On a l’impression que notre voix n’est jamais reconnue comme celle des jeunes ou des handicapés, par exemple. Tous les sujets sont toujours gérés par une caste qui prétend être omnisciente.
Sur le Covid, c’est davantage dû à ma situation personnelle. C’est la première fois de ma vie où je vois des frontières bloquées, des procédures bloquées, une économie bloquée, et tellement de gens autour de moi qui ont failli perdre leur vie économique mais aussi leur vie tout court. Sans sous-estimer en aucun cas l’impact de la maladie, j’ai voulu comprendre pourquoi, tout à coup, tous les dominos étaient tombés. Pourquoi un pays a pris des mesures et tous les autres ont suivi ? Et pourquoi, dorénavant, plus personne n’est surpris que l’État reprenne la main sur tout, dicte ce qu’on a le droit de faire ou non. J’ai trouvé ça très inquiétant que cela ne choque personne. Et pour moi, ça ouvrait aussi la porte à une récession sans précédent, qui ouvrait elle-même la porte aux populistes.
À défaut d’un débat intellectuel sur le sujet, je l’ai pris par le prisme de l’entrepreneur pour faire face à cette léthargie ou à cette peur qui domine la population. Si, à chaque fois qu’il y a une nouvelle pandémie – ce qui devrait arriver régulièrement -, on doit mettre le monde à l’arrêt, sans vouloir observer qui on punit en priorité et que l’on ne se jauge qu’à la hauteur du nombre de morts, ça risque d’être catastrophique. À l’heure actuelle, par exemple, on ne calcule pas les conséquences de l’augmentation du taux de suicide et des dépressions lourdes chez les ados, ni de l’augmentation des violences faites aux femmes. Le fait que l’on ne se braque que sur le seuil de mortalité, et en aucun cas sur les dégâts qu’on était en train de causer par ailleurs, j’ai trouvé ça stupéfiant. Tout le monde a raisonné par rapport à un degré de vue extrêmement ténu. Tout ça à partir des médias et d’un discours politique qui a été complètement alimenté par la peur. Ça m’a rappelé des discours nauséabonds de tous ces dictateurs à travers l’histoire.
Comment se fait-il que Macron, qui est pourtant un président libéral, laisse l’économie se déliter ainsi d’après vous ?
Premièrement, il a des échéances électorales à très court terme. Forcément, dans un pays vieillissant comme la France, où les plus âgés votent, c’est difficile de donner un signal qu’on laisse l’économie ouverte, sachant que ce sont aussi les plus de 65 ans qui meurent. De l’autre côté, il a vu qu’on tirait tous sur Boris Johnson ou Donald Trump parce qu’ils ne s’occupaient pas du Covid ou qu’ils le négligeaient. Il s’est donc dit que ce n’était pas bon pour les sondages, et qu’il fallait qu’il soit dans les plus vertueux. S’il avait regardé du côté de l’Asie, comme à Taiwan, Hong-Kong, Singapour, ou encore au Japon et en Corée, la maladie ne tue pas ou très peu. Il a plutôt été sous perfusion de la pression de Véran, le ministre de la Santé que moi j’appelle “le ministre de la maladie”. Aussi, les chiffres incroyables que lui donnaient tous les statisticiens, que s’ils ne faisaient rien, il pourrait y avoir 400.000 morts et qu’il a même repris dans un discours. Il a été pris entre deux feux, l’élection et la volonté de la gagner, mais aussi le fait de compenser par de la dette l’économie. C’est son calcul à lui, peut-être qu’il aurait été différent s’il avait été en début de quinquennat. À un moment donné, quand on commence à voir tous les signaux passés au rouge et qu’on est un homme d’État, on doit privilégier le bien du plus grand nombre. Il a choisi le symbole plutôt que la réalité. Mais on est en droit de se demander pourquoi 5.879 personnes en réanimation seraient plus “importantes” que les 68 millions qui restent.
Pour quelles raisons, selon vous, les médias auraient-ils alimenté cette peur ?
Ce sont principalement les grandes chaines d’information permanente qui sont visés dans mon livre. De la même manière que CNN et Fox News n’ont parlé que de Trump pendant quatre ans. Il se sont dit que la peur fait vendre, ça maintient en haleine. Ça a bien sûr été la course à l’audience et ça fait que dans un journalisme de chaines d’infos, où ils n’ont pas le temps de traiter l’info, ni de comparer à l’international, ils prennent ce qui arrive. Et ce qui arrive, c’est ce que donne le gouvernement : le nombre de morts et le nombre de cas. Cela a été théâtralisé à l’extrême avec tous les soirs le professeur Salomon, qui donne le nombre de morts (sans donner le nombre de ceux qui sortaient vivants voir indemnes de l’hôpital). Il y a donc eu une conjugaison entre le politique et la presse pour faire en sorte que les gens restent chez eux. Ce que je reproche à cette presse, c’est qu’à force d’être complètement à la surface des choses, elle a rendu le spectateur encore plus idiot. Je suis assez révolté par cette presse qui n’a rien remis en cause et qui ne s’est pas demandé s’il y avait d’autres stratégies. Il fallait être dans l’action en amont pour contester ça. Trump, malgré sa présidence, avait acheté 200 millions de doses avant la fin de son mandat. Biden a poursuivi et accéléré très fortement la vaccination. Aujourd’hui, les États-Unis compte 235 millions de doses administrées. Ils ont été mauvais dans l’avant mais excellent dans l’après. Nous, on a raté le confinement, le déconfinement, le reconfinement et la vaccination : c’est quand même un strike ! Il n’y a pas un moment où on a été bon et c’est ça qui est terrifiant.
Vous citez l’exemple suédois qui a d’ailleurs été critiqué par la presse et aussi celui de l’Asie. Pourquoi cette défiance selon vous ?
Les ministres de santé européens ont pointé du doigt la Suède parce qu’elle n’a pas confiné. Ensuite, la presse a pris le relais alors même que le nombre de morts étaient très proche de ceux de la France. Mais le jour où ils ont commencé à faire mieux que nous, où ils n’avaient que très peu de morts : plus personne n’a parlé de la Suède. Pour moi, qui ne suis pas complotiste, il y a quand même une espèce d’omerta du politique pour imposer une solution à tout le monde et faire en sorte de donner des statistiques qui prouvent que le confinement donne raison au traitement de cette maladie.
Maintenant ce qui prend le relais c’est le cas de l’Inde. Mais il faut prendre en compte que la population s’élève à 1.37 milliards. S’il y avait eu le même nombre de morts proportionnellement en France, on n’en parlerait même pas. Mais c’est parfait parce que ça permet de faire des gros chiffres aux actualités. Et les politiques de critiquer en disant : « Voyez, ils n’ont pas reconfiné ! ». On devrait se garder de se comparer à eux d’ailleurs puisque l’état de pauvreté et de santé de certaines populations en Inde est catastrophique. Mais personne ne réfléchit et on ne prend que des chiffres en valeur absolu. On oublie de rappeler que le pays où le taux de mortalité est parmi les plus élevés est la Belgique. Cette comparaison avec l’étranger a toujours été traitée en faveur de la France ou de l’Europe.
Enfin, on n’a pas voulu se comparer aux meilleurs. À la limite, le jeu de la communication pour maintenir les gens sous cloche, je peux intellectuellement le comprendre mais le fait de ne pas avouer qu’on aurait pu s’inspirer de ceux qui font mieux. Pour un responsable comme pour un chef d’entreprise, c’est quasiment criminel.
Parlons de solutions positives s’il y en a. Il y a une règle dont vous parlez qui m’a marqué, c’est celle-ci : « décider ensemble ». Comment ça pourrait se traduire selon vous ?
En fait, on a su mettre en place un conseil scientifique. Il fallait simplement mettre en place un conseil élargi. On n’a pas élu des médecins. Eux ont fait le serment tout à fait louable de préserver à tout prix la vie des gens, mais cela peut aussi entrainer une mort économique ou sociale pour les autres. Cela n’est pas leur préoccupation. Ils ne sont pas malfaisants mais ils ont un corridor de vision étroit qu’est celui de la médecine.
Si on sait faire un conseil scientifique, on doit savoir faire un conseil de la société civile. En prenant aussi des psychiatres, des entrepreneurs, des gens qui représentent la totalité des pans de la société et qui auraient apporté une vision beaucoup plus globale des choses. En Chine, par exemple, en plus de la politique centrale, ils se sont servis de relais régionaux, ce qui leur a donné un bon niveau d’information. Il ont ainsi gardé en ligne de mire qu’un pays est un ensemble, pas juste un point concret. En traitant un point et en ignorant les autres, il peut y avoir un retour de flamme dramatique. La Chine a réglé le problème le plus durement et le plus vite possible pour que le reste continue à vivre. Et très vite, ils sont revenus à la normale parce qu’ils ont pris les mesures qu’il fallait.
Ma vraie question aujourd’hui est : si demain on a une maladie qui tue 10 ou 20 ou 30 millions d’humains sur 8 milliards d’habitants dans le monde, qu’est-ce qu’on va faire ? Jusqu’où on est prêt à aller pour satisfaire l’opinion public, pour s’assurer de réélections, pour s’assurer de garder le contrôle sur le peuple ? Est-qu’on va tenir compte de ce qu’on vient de faire ou alors on se dit que la prochaine fois on fera différemment ? Ou est-ce qu’on ne va pas retenir la leçon ? Pour l’instant, je suis incapable de répondre à cette question.
Vous dites : « Le courage est l’unique condition de la survie de la démocratie ». Vous appelez à reprendre le pouvoir et à désobéir. Vous êtes toujours dans cette optique à l’heure où on se parle ?
J’appelle oui, à une désobéissance non anarchique sur des secteurs qui ne sont pas contributeurs à une explosion de l’épidémie.
Je le crois plus que jamais parce que d’abord, il n’y a jamais eu d’évidence scientifique réelle qui ont réussi à prouver que les clubs de sport et les restaurants augmentaient fortement les risques de contamination du Covid. Une vraie démocratie vivante, c’est une démocratie qui est capable d’aller à l’encontre de la loi si elle est injuste. Rien, aujourd’hui, ne continue de justifier qu’on considère certains commerces comme non essentiels. On ferme des petits commerces où passent 2 ou 3 personnes et pas les grandes surfaces, ça parait complètement hérétique. Je pense que les gens qui ont commencé à se révolter ont raison parce ces lois sont injustes, contre-productives et sans fondement scientifique.
L’Espagne a fait son premier concert de 5 000 personnes debout avec des masques il y a 1 mois et les études prouvent, pour l’instant, que cela n’a eu aucun impact. Je pense que devant l’injustice de lois qui ont été faites, sous la pression organisée de politiques et de médias qui se sont associés pour faire peur, on doit résister sinon on laisse la récession s’installer. Là, on est en train d’ouvrir la porte à Marine Le Pen comme à d’autres populistes en Autriche et en Allemagne.