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Entrevue : Catherine Berra – Influenceuse à contre-courant
Après des années à rendre compte de l’actualité pour France 3, Catherine Berra a gentiment été poussée vers la sortie. Trop vieille pour passer à l’écran, selon ses employeurs – contrairement à ses collègues masculins. Remontée contre le jeunisme et le sexisme ambiant, l’ex-journaliste s’est reconvertie dans un milieu dans lequel on ne l’attendait pas. Rencontre avec « Dame Mature », l’une des rares influenceuses beauté de plus de 60 ans.
Comment est née votre chaîne YouTube ?
Je faisais carrière dans le journalisme à la télévision, et en novembre 2018 on m’a annoncé que je ne pouvais plus présenter le journal parce qu’il fallait rajeunir l’antenne. Ce rajeunissement passait uniquement par ma disparition, puisque mes collègues masculins continuent toujours de présenter le journal. Cela faisait déjà un moment que l’on essayait de me décourager, et c’est à ce moment que j’ai découvert les YouTubeuses beauté, que j’ai commencé à regarder avec passion et admiration. Je me sentais bien avec ces jeunes femmes, je pouvais passer des heures à les regarder se maquiller face caméra, expliquer leurs techniques, montrer leurs nouveaux produits… Cet univers a été une révélation pour moi. Six mois après avoir quitté la télé, j’ai décidé de me reconvertir dans le coaching personnel et de créer mes propres tutos beauté en parallèle. J’ai finalement laissé tomber le coaching pour me consacrer entièrement à ma chaîne.
Comment se sont passés les débuts ?
La vidéo était déjà mon cœur de métier, mais j’ai réalisé que YouTubeuse était un travail à part entière. Il faut enregistrer, monter, et tout ça prend beaucoup de temps. Quelques années auparavant je m’étais acheté une caméra pour apprendre à filmer en autodidacte. J’avais donc une caméra et j’ai investi dans un peu de matériel, dont les ring lights que j’ai découvertes. J’ai lancé ma première vidéo en août 2019, sans trop y croire.
Pourquoi le pseudo “Dame Mature” ?
J’ai lu un bouquin très bien qui s’appelle Il n’y a pas d’âge pour jouir, dans lequel l’autrice rappelle que « senior » signifie « monsieur » en espagnol, donc je n’aime pas. « Quinqua » ne fonctionne que pendant dix ans, et celles et ceux qui se font appeler « sexygénaire » véhiculent une injonction physique que je n’aime pas non plus. Je ne parle même pas de « troisième âge » ou « quatrième âge »… J’en suis donc arrivée à “mature », qui évoque un certain âge mais pas nécessairement la vieillesse. Le truc auquel je n’avais pas pensé, c’est que c’est aussi le nom d’une catégorie porno…
La plupart des YouTubeuses ont entre 15 et 30 ans, ça ne vous a pas fait peur ?
J’aime les paris et être à la pointe de la technologie. Quand j’étudiais à l’IUT de Tours, j’ai fait partie de la première promo à demander autant de stages en télévision parce qu’on savait que ça allait être important, et j’ai aussi innové en étant une femme dans un milieu alors extrêmement masculin. Plus tard au cours de ma carrière, j’ai été responsable d’un site internet et j’ai appris à utiliser WordPress, à gérer les réseaux sociaux… Je ne suis donc pas complètement partie de zéro, mais je me suis énormément améliorée par rapport à mes débuts.
Justement, vous cassez aussi le cliché qui voudrait que les vieux ne sachent pas se servir des nouvelles technologies…
Ce cliché est une connerie : si vous, les jeunes, êtes familiers des technologies, c’est parce que nous, vos parents, vous avons mis des ordinateurs entre les mains. On n’a pas attendu d’avoir des enfants pour comprendre que l’informatique allait être quelque chose de très important. C ’est aussi de notre génération, je me souviens m’être acheté le tout premier Macintosh, il coûtait 20 000 Francs à l’époque… Mais notre vision de l’âge reste très rétrograde et cette étiquette de vieux complètement largués nous colle à la peau.
À qui vous adressez-vous sur votre chaîne ?
Ma cible était toute trouvée : ce sont les femmes de mon âge, qui sont les grandes oubliées de la société. Personne ne leur parle, alors j’ai voulu le faire. Je parle d’un sujet qui me passionne qui est le make-up, mais j’en profite aussi pour faire passer un message de réaffirmation de soi face à cette société qui nous malmène après un certain âge. Dans tous les bouquins que je lis sur YouTube on nous dit que les plus de 55 ans ne sont pas sur la Toile, mais c’est évidemment faux. 60 % de ma communauté a entre 50 et 65 ans. Pour peu que vous vous adressiez à eux, les seniors sont sur les réseaux sociaux.
Pourquoi est-il nécessaire d’avoir plus d’influenceuses beauté de 50 ans et plus ?
Parce qu’il n’y en a quasiment aucune. Quand je cherchais des influenceuses silver j’allais sur des chaînes américaines parce que le phénomène est plus répandu là-bas, mais en France dans ce secteur nous devons être trois. Les femmes de 50 ans et plus représentent une frange de la population énorme et plus les années passent, plus nous sommes nombreuses. Il faut absolument lutter contre le jeunisme de notre société, qui est complètement illusoire. On peut être à un moment de notre vie où tout est aligné, où on est jeune, belle et énergique, mais cela ne dure pas longtemps. Mais on n’est pas finies parce qu’on est ménopausée, on n’a pas à se laisser faire par cette société ingrate que l’on dérange après un certain âge, on est encore vivantes et entreprenantes. Ce message s’adresse aussi aux jeunes, pour que quand on ait 30 ans, on n’ait pas peur d’en avoir 60. Tant qu’on est vivante, on a 1000 choses à faire.
Des projets pour la suite ?
Progresser, tout en restant fidèle à moi-même. Mon objectif est de rassembler toutes les femmes qui peuvent se sentir isolées dans une communauté dans laquelle elles se sentiront fortes et courageuses. On est dans les injections, le botox, l’acide hyaluronique, mais personne ne nous dit : « C’est normal d’avoir des rides, des cheveux blancs et des kilos en trop, et vous êtes belle quand même. » On est toujours très intransigeantes avec nous-mêmes, et j’aimerais offrir une autre perspective et une autre manière d’occuper notre place dans le monde.