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Entrevue : Billy Ze Kick – « Même Iggy Pop n’avait pas osé ça ! »

C'est à elle qu'on doit « Mangez moi » et « OCB ». Entre autres.

Par
Christophe Wilson
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En 1994, Billy Ze Kick et les Gamins en folie font souffler un vent de liberté sur l’Hexagone en chantant les louanges des psychotropes. Un million de disques s’écoulent en quelques mois. Les années suivantes, loin de sombrer dans l’oubli, « Mangez moi » et « OCB » se transmettent de générations stoners en générations de teufeurs. Les deux « tubes de l’été » deviennent des rites de passage pour tous les adolescents de France. Trente ans après les faits, on est allé discuter avec la génitrice de ces morceaux cartoonesques, Nathalie Cousin, qui n’a rien perdu de sa voix amicale et rebelle.

À quel âge as-tu commencé la musique ?

Comme tout le monde, à l’école primaire. J’ai ensuite pris des cours de flûte traversière et, un peu avant mon adolescence, j’ai participé à des spectacles sons et lumières qui se tenaient dans le château de ma commune, Le Lude, près de Tours. Je recevais un peu d’argent pour danser et chanter sur les musiques de Strauss et de Beethoven avec en arrière-plan une féerie des eaux. Mais la vraie claque, elle m’est venue à 18 ans, quand ma mère m’a envoyé à Londres pour faire fille au pair. C’était en 1981 et je me suis pris le ska et le punk en pleine poire. J’ai assisté aux concerts de Madness, Stranglers, Bauhaus, Killing Joke. Cette période « Anarchy in the UK » c’était un énorme vent de liberté, de contestation et surtout de bonne musique.

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C’est en Angleterre que tu as commencé à écrire et à composer ?

Non, c’est à mon retour en France. Je me suis inscrite à l’université pour étudier l’anglais, j’ai choisi la fac de Rennes parce que je savais qu’il y avait là-bas un bon terreau musical. En arrivant dans la ville, je me suis dit qu’il allait falloir sociabiliser parce que je ne connaissais personne. Dans les petites annonces, j’ai répondu à un message qui disait « musiciens cherchent chanteur ou chanteuse » et je me suis retrouvé à intégrer un groupe qui s’appelait Les Passants. Ils étaient dans la mouvance « nouveaux romantiques ». À l’époque, il y avait plein d’artistes qui adoraient chanter leurs douleurs et leurs peines… Moi, c’était pas trop mon énergie, mais je m’en suis accommodée. Au bout d’un certain temps, Les Passants sont devenus un groupe un peu plus expérimental qui s’appelait Le Kâ.

C’était quoi d’être jeune dans les années 80 à Rennes ?

Notre bande d’amis était situationniste, à fond dans la lecture de Guy Debord et de sa Société du spectacle. Certains soirs, dans les rues, on détournait les slogans des affiches publicitaires et on transformait leurs personnages en vampires. À côté de ça, on était des amateurs de ce cadeau du ciel qu’est le cannabis. Quand on ne critiquait pas le capitalisme et le conformisme, on cherchait le sens de nos vies sur terre. On lisait beaucoup les livres de Carlos Castaneda. Enfin, on était dingue de jeux. On jouait au Risk, au Tarot mais ce qu’on préférait, c’était les jeux de rôle grandeur nature. On s’équipait de pistolets à eau et on s’amusait à remplir des missions à travers les rues et les commerces de la ville. D’ailleurs, à la base, Billy Ze Kick, c’est mon nom de rôliste.

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C’est à cette époque que tu as fait la connaissance de Benoît Careil qui deviendra le second pilier de Billy Ze Kick et les gamins en folie ?

Benoît faisait déjà partie des Passants et du Kâ. Benoît c’était la personne qui arrivait à organiser les choses, à gérer les gens. C’était le cerveau rationnel qui catalysait nos énergies pour faire accoucher des projets concrets. Ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui il est élu à la mairie de Rennes en charge de la culture !

Comment est né le projet Billy Ze Kick et les Gamins en folie ?

On est donc fin 80, début 90 et je me fais plusieurs remarques : il manque des nanas dans le rock, il manque des groupes de rock qui chantent en français, il manque des groupes qui racontent notre petit quotidien. J’ai décidé de combler tous ces trous en mettant en paroles et en musique notre quête spirituelle, notre contestation du système et puis notre amour du jeu de rôle. Ce qui a donné des chansons comme « Mangez-moi », « Premier Avertissement » ou « Encraoudi encraouda ». À propos de « Mangez-moi », je tiens à dire que les champignons étaient pour nous quelque chose de spirituel. Il ne faut pas être dans l’excès, dans l’avidité, ces plantes-là demandent du respect. Dire : « Je me défonce », c’est un langage quand même très masculin… Moi je ne me suis jamais « défoncé » de ma vie, j’ai « honoré » le psilocybe, les feuilles de cannabis ou de coca. Il y a une différence. Même les représentations graphiques des fumeurs de joints, je ne les ai jamais aimées. Les caricatures de stoners avec de grosses cernes, ça n’a jamais correspondu à ma vision de la fumette.

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Comment se sont réparties les tâches de composition et de production ?

J’ai quasiment tout écrit. Sur plusieurs chansons, un copain du nom de Billy Billy m’a aidé. Pour la production, c’est Benoît qui a beaucoup fait, notamment grâce à sa maîtrise des samples qui était à l’époque une technologie assez nouvelle pour nous. DJ Zebra, qui est devenu célèbre plus tard, nous a rejoint au milieu de la conception du premier album. Je l’avais découvert dans un bar, c’était un très bon bassiste à l’époque, il n’est pas resté longtemps dans le groupe, c’est un artiste solitaire.

Sur quel support et de quelle manière a paru votre premier album ?

C’était donc en 1993, il y a tout juste trente ans, on a commencé en publiant une cassette qui a eu pas mal d’écho car je crois que personne n’avait parlé de tous ces sujets là en français et de manière aussi ouverte. Plein de jeunes étaient touchés qu’on emploie dans notre musique des expressions de leur quotidien. D’ailleurs, je me souviens que ça ne plaisait pas du tout aux rockeurs. Eux s’étaient toujours cantonnés à parler de la drogue de manière détournée, avec des métaphores compliquées ou bien en anglais. Grâce au succès d’estime de cette cassette, on a été programmé au Trans Musicales de Rennes où on a créé une comédie musicale qui s’appelait « Le Killer’s Trip ». On l’a joué au Théâtre du Vieux Saint-Étienne qui est une église désacralisée. On avait tout donné pour ce show, c’était d’une grande liberté. À l’entrée, on avait mis un panneau : « Vampire et cigarette interdits, pétards uniquement ». Sur scène, on faisait des tours de magie, on faisait disparaître des gens… On a affiché complet trois soirs consécutifs.

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J’ai regardé l’affiche des Trans de 1993, elle aligne Björk, Jamiroquai, Ben Harper…

Waouh ! C’était bien les Trans, dis donc, ils étaient ouverts sur plein de styles musicaux différents. Je me souviens d’avoir vu Björk et de mettre dis qu’il allait m’être compliqué d’être plus libre que cette nana. Et Jamiroquai, lui, il s’arrêtait de jouer au milieu de ses concerts pour se rouler des joins ; une fois allumé, il se remettait à chanter… Tu vois, c’est ça des artistes : ils ont cette mission de donner des exemples de liberté. Si on ne fait pas ça, on ne sert à rien.

Revenons à la publication de votre cassette.

Comme tout groupe de musique indépendant des années 90, on avait créé notre petit label, les Productions du Fer, avec Benoît à la gestion administrative, évidemment. Devant le succès de la cassette, on s’est permis de ressortir l’album au format CD. Et si je me souviens bien, on en a vendu 10 000 par nos propres moyens ! Là, on a commencé à être pris au sérieux. PolyGram via leur sous-label Shaman nous a fait une proposition pour ressortir l’album, on a accepté. Le directeur se faisait appeler « piranha » et je serais incapable de te retrouver son vrai nom, d’ailleurs. Avec lui on a relooké la pochette de l’album, on a réalisé un clip et on a déclaré quelques samples à la SACEM. À partir de là, la machine était prête à être lancée.

As-tu eu des états d’âme à signer chez une major ?

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Je ne crois pas. À l’époque, on commençait à être un peu à l’étroit à Rennes. On était contents d’avoir l’opportunité de s’ouvrir à un public plus large. Et puis, il ne s’agissait pas de « se vendre », mais plutôt de pirater le système avec notre musique libertaire. En 1994, « Mangez-moi » est donc ressorti avec la puissance de frappe d’une major. Et là est arrivé ce que j’appelle « l’Encraoudement Majeur ».

Qu’est-ce que ça veut dire ?

C’est un mot qu’on utilisait dans nos jeux de rôle. On peut traduire ça par « Envoûtement Majeur ». En gros, toute la France s’est mise à chanter « Mangez-moi » puis « OCB », ça a été des tubes énormissimes, diffusés en rotation lourde sur toutes les radios. Ce que les médias ont appelé « Le tube de l’été et le scandale de l’automne ».

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Si j’ai bien compris, après trois mois à chanter « Mangez-moi » à tue-tête, les Français ont découvert de quoi ce morceau parlait vraiment ?

Oui, ce qui s’est passé, c’est qu’un officier de police de Nantes a tenté de nous faire un procès pour incitation à l’usage de stupéfiant. On a dû faire une conférence de presse pour s’expliquer. Encore une fois, on en a profité pour faire notre show. Je me souviens qu’on avait dit que c’était pas parce que Gainsbourg et France Gall avaient chanté « Annie aime les sucettes » que tous les Français s’étaient mis à se faire des turluttes ! Ce procès d’intention était tout à fait hypocrite. Est-ce que quelqu’un en France a déjà attaqué judiciairement Lou Reed pour « Heroine » ou Eric Clapton pour « Cocaine » ? Toujours est-il qu’on a dû également faire le tour des plateaux de télévision pour défendre notre liberté d’expression.

Sur Youtube, il existe des extraits de votre passage dans « Nulle part Ailleurs ». Tu défends bien ta position en disant que tu ne fais que raconter « la chronique de la marginalité ordinaire ».

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Mais oui ! Je l’ai toujours dit : notre seul objectif était de raconter notre quotidien qui se trouvait être non-conforme…

Tu as aussi été invité à participer à un « Ça se discute » sur le cannabis animé par Jean-Luc Delarue.

On s’était défendu en disant que plutôt qu’aller voir le dealer, il fallait que chacun cultive son jardin. Ça aussi, c’est quelque chose que j’ai toujours dit : éviter les mafias et la répression policière qui l’accompagne. Enfin bon, finalement, il n’y a pas eu de procès, simplement, une fois la tournée finie, les médias n’ont plus diffusé nos morceaux.

Là est arrivée la séparation du groupe originel…

À la fin de la tournée, on a commencé à ne plus se supporter. Ça faisait des années qu’on traînait tous ensemble. On a décidé de réaliser un dernier concert à l’Olympia. Pour marquer le coup, on s’est tous mis à poil et on s’est recouvert de peinture. Je me souviens que le régisseur de l’Olympia m’a dit : « Même Iggy Pop n’avait pas osé ça ! »

Qu’est-ce que tu as fait ensuite ?

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J’ai pris du temps pour moi. Je me suis marié avec mon copain. On a fait une lune de miel en Nouvelle-Calédonie. Et puis, de retour dans l’hexagone, je me suis remise au travail. Je me souviens que je cherchais un gratteux très groove. Ce qui est assez rare en France où les guitaristes sont très rock. Un de mes musiciens m’a parlé d’un gars qui pourrait faire l’affaire : c’était Mathieu Chedid qui, à l’époque, officiait en tant que requin de studio. Et en effet, il était très bon et très sympa, du coup, il a participé à l’aventure de mon second album, « Paniac », paru en 1996.

Ce second album est-il également sorti chez PolyGram ? Comment a-t-il été reçu ?

Oui, toujours chez Polygram. Il a été reçu assez discrètement. Je crois qu’entre les deux albums, il y a eu un turn-over chez PolyGram. Le nouveau directeur ne s’intéressait pas trop à ce que je faisais et il y a eu beaucoup moins d’argent investi. La réception publique n’a eu rien à voir avec le succès du premier album. Du coup, pour le troisième album, j’étais libérée de tous contrats. Je suis retournée sur Rennes. Avec Benoît, on a décidé de se produire nous-même. On a monté un nouveau label, Pudding Productions, avec lequel Benoît a produit d’autres artistes d’ailleurs. En 2001, est sorti « Verdure et Libido ». Autant avec « Paniac », on avait pris un virage urbain dans nos propos, autant avec ce troisième disque, on a plongé dans l’engagement social. C’est Benoît qui voulait qu’on se soucie plus de politique, d’écologie notamment. Ça a donné des chansons comme « Ma petite dépression » qui dénonce ce qu’on appelle aujourd’hui Big Pharma.

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En 2013, tu sors Artémis Révélation…

Artémis Révélation correspond à ma prise de conscience féministe. Il se trouve qu’entre-temps, j’avais eu un enfant, que je m’étais faite plaquer au moment où ma carrière était dans un creux et que celle de mon mec montait… À partir de ces événements, j’ai compris ce que ça signifiait être une nana. Il y a plusieurs chansons importantes dans cet album. La première c’est peut être « Le Roi est mort, le roi est mort » et son refrain polémique : « Je tue les hommes, je tue les hommes, je tue tous les hommes ». Il y a également « Immonde inceste ». Ce n’est pas mon histoire dont je parle dans cette chanson, mais celle d’une copine. Or, quand l’album est sorti, tu ne peux pas savoir le nombre d’amis qui sont venus me voir pour me dire que ça parlait aussi de leur enfance. Rien que dans les choristes qui m’ont accompagnée sur scène – et il y en a eu des Gamins en folie autour de moi – ce sont des dizaines de personnes qui se sont ouvertes à moi au sujet de l’inceste… Donc voilà, Artémis Révélation, c’est ce que j’appelais mon « booster d’énergie féminine ».

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J’ai l’impression que depuis cet album, tu as réussi à trouver un rythme de croisière, une économie qui te va bien.

C’est tout à fait ça. Benoît est parti faire de la politique. Le gars qui m’accompagnait au sample à dû lui aussi quitter le navire. Par la force des choses, j’ai dû trouver mon autonomie. Au début, ça n’a pas été simple de me retrouver seule : j’avais commencé ma carrière en partageant la scène avec douze personnes ! Mais, de fil en aiguille, j’ai trouvé ma petite économie, comme tu dis. Je fais des concerts ici et là en tout bien tout honneur. Aujourd’hui, je me sens une artiste libre.

Est-ce qu’en concert tu chantes encore les tubes de ton premier album ?

Mais si je ne le faisais pas, toute la salle se mettrait debout pour me crier « Mangez-moi, mangez-moi ! » Ce qui dit bien que ce n’était pas juste un « tube de l’été », d’ailleurs.

NB: Nathalie Cousin alias Billy Ze Kick sera prochainement en tournée pour fêter les trente ans de son premier album. Toutes les infos sont à venir sur sa page Facebook.

Propos recueillis par Christophe Wilson.

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