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Entrevue : Benoît Hamon – « On conçoit la pauvreté de la jeunesse comme un bizutage obligatoire »

Par
Hélène Porret
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Tour à tour moqué et encensé, le revenu universel fait son grand retour dans le débat public en ces temps de crise sanitaire et sociale. Du pape aux politiques de gauche et de droite, tout le monde en parle. Mais c’est quoi au juste ? Une somme identique versée à tous et toutes sans contrepartie (les modalités d’application diffèrent selon les chapelles). Douce utopie ou réel projet ? On en a discuté avec l’un de ses fervents défenseurs, Benoît Hamon, ex-candidat PS à la présidentielle de 2017, et auteur de Ce qu’il faut de courage-plaidoyer pour un revenu universel, sorti à l’automne 2020.

Selon une étude réalisée par l’Ifop et publiée le 28 janvier, la création d’un revenu de base versé à tout le monde arrive en tête des solutions plébiscitées par les Français pour faire face à la crise. Etes-vous étonné ?

Je suis surtout content de voir que les faits viennent confirmer un certain nombre d’analyses que j’avais mis en débat au moment de la présidentielle de 2017. Et plus tôt que je ne l’avais moi-même imaginé ! Avec la crise de la Covid, on s’est rendu compte qu’on était esclave d’une certaine forme de travail, de plus en plus automatisée, et qu’on avait besoin de retrouver de la liberté. Le revenu universel apporte une réponse à ce trouble.

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Vous expliquez dans votre livre que cette somme devrait être versée de manière progressive, et en priorité aux 18-25 ans. Pourquoi ?

Le travail pour cette génération-là ne ressemblera absolument pas à celui de leurs parents. Il est urgent de leur donner des moyens pour s’inventer. Leurs conditions de vie sont aujourd’hui catastrophiques. Ils ne sont pas éligibles aux minima sociaux, et souvent obligés de travailler pour payer leurs études. En France, on conçoit la pauvreté de la jeunesse comme un bizutage obligatoire pour entrer dans la vraie vie, au terme d’une sélection qui passe par la peine, le dur labeur, la solitude… Le contraire s’appellerait l’assistanat. Ce sont des préjugés moraux insupportables vu d’Europe. Nous sommes l’un des seuls pays à choisir le fouet pour éduquer la jeunesse.

Et pourtant, vous racontez dans votre livre que la défiance vis-à-vis d’un revenu universel viendrait aussi des plus modestes…

D’après plusieurs enquêtes, les classes populaires redoutent d’être stigmatisées et d’être assimilées à des parasites. En 2016, dans la Vienne, j’ai rencontré une femme bénéficiaire des minima sociaux dont le discours n’a cessé de me faire réfléchir, sinon presque me hanter. Elle m’avait fait part de sa méfiance à l’égard d’un revenu qui serait perçu sans contrepartie d’un travail. Pour elle, le travail c’était l’emploi. « Pourquoi recevoir de l’argent si je ne le mérite pas ? », s’interrogeait-elle. Or, il faut comprendre que le revenu universel n’est pas un indu mais un dû. Le PIB est constitué du fruit de notre activité présente mais aussi pour une partie de la rente de ceux qui sont morts, et nous ont précédé. Cet héritage devrait être réparti entre tous les individus sous la forme d’une somme versée dès la naissance.

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Vous faites une distinction entre travail et emploi. Quelle est concrètement la différence ?

Si vous n’aviez pas d’emploi, si vous n’étiez pas journaliste et que vous n’étiez pas en train de m’interroger, est-ce que cela voudrait dire que dans la journée vous ne travaillez pas ? Je crois que le travail ne se résume pas à l’emploi. Il correspond aussi aux activités non rémunérées, comme le bénévolat ou les tâches domestiques au sein du foyer. Ce sont aussi des petits gestes du quotidien. Quand vous remplacez la personne au guichet de la SNCF, le caissier ou la caissière au supermarché, ou quand vous montez vous-même un meuble livré. Une partie de l’économie a dégagé de nouvelles marges et profits en supprimant des emplois, et en confiant les tâches, auparavant occupées par des travailleurs, à des travailleurs gratuits. Ce sont les consommateurs. Le revenu universel vient reconnaître tout cela.

Selon vous, il permet de repenser notre rapport au travail, mais aussi notre manière de consommer. Pourquoi ?

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En Europe, on a laissé se développer la bulle de l’économie low cost qui donne l’illusion aux plus pauvres d’accéder à la civilisation de l’abondance grâce à des produits à bas prix. Mais pour que ces biens soient à des tarifs abordables, cela implique qu’aucune règle sociale et environnementale ne soit respectée en amont. Si demain, le revenu universel ajoute 750 euros par mois à votre salaire, il vous donnera la possibilité de choisir ce que vous consommez : du textile plus cher mais plus durable, des biens électroménagers plus chers mais réparables, des produits bio plus chers mais bons pour la santé. Tout le monde ne renoncera pas au pot de Nutella, ou au t-shirt à 4 euros chez Décathlon, mais le consommateur aura le choix, et la possibilité d’acheter autrement.

Vous êtes donc favorable à une augmentation des prix ?

Je pense que c’est une bonne chose. Aujourd’hui on n’achète pas au juste prix, celui qui permet au producteur initial, et à tous ceux qui participent à la chaîne de valeur d’être rémunéré correctement. Les conséquences du low cost sont lourdes d’un point de vue social mais aussi environnemental. Ça ne tient plus. On a des prévisions de Météo France qui annonce un réchauffement à plus de 6°C d’ici 2100, la France vient d’être condamnée par les tribunaux pour ne pas respecter les engagements internationaux qu’elle a pris sur la lutte contre le réchauffement climatique et le maintien de la biodiversité. On a un urgent besoin d’une vraie politique de transition écologique.

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Pensez-vous que cette proposition aura une place lors de la prochaine présidentielle ?

Face au marché politique de la peur qui laisse le choix entre le grand remplacement et l’effondrement, le revenu universel apparaît aujourd’hui comme l’un des seuls grands récits émancipateurs. Comme je l’ai déjà dit, je ne serai pas candidat en 2022. En revanche, je ne soutiendrai pas quelqu’un qui ne porte pas cette idée de progrès, surtout au moment où elle est plébiscitée par un nombre croissant de Français.es. D’autres familles politiques l’ont compris et parlent d’un revenu de base, ou d’un revenu républicain. Mais il faut se méfier de ces faux amis.