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Entrevue : Anne-Laure Parmantier – À l’écoute des sexualités masculines
Il parait que les femmes entre elles sont généreuses en détails pour parler de sexe, là où les hommes ne font qu’effleurer le sujet. Il a beau s’agir de généralités plutôt clichées, beaucoup d’hommes n’ont pas été éduqués à ouvrir leur sexualité par le dialogue. Dans l’intimité comme dans l’espace public, où sexe, féminisme et déconstruction sont largement abordés, la parole masculine sur le sujet se fait plus discrète. Dans son podcast On the verge lancé fin 2018, l’entrepreneuse Anne-Laure Parmantier remet la balle au centre : à son micro, elle donne la parole à des hommes de tous les horizons. Un projet qui a donné naissance à un livre, paru le 14 avril dernier, et qui dresse un panorama contemporain des sexualités masculines.
Dans quel contexte est né le podcast On the verge ?
La sexualité et la sexologie m’intéressent depuis toujours et j’ai souvent été la bonne pote à qui l’on confie ses histoires. Un pote avait pris l’habitude de me raconter ses histoires de vie maritale en DM alors que l’on n’était pas spécialement proches, et quand je lui ai demandé pourquoi il n’en parlait pas avec ses amis, il m’a répondu qu’entre mecs, ils ne parlaient jamais de sexualité. Depuis quelques années, #MeToo aidant, de plus en plus de femmes s’expriment sur leur sexualité, et je trouvais intéressant d’ouvrir un espace de discussion pour les hommes, safe et audible par tou·te·s.
Il y a effectivement cette idée que les femmes parlent plus de sexe entre elles. C’est donc un vrai constat ?
Je pense qu’au moment où les femmes ont leurs premières règles, leur rapport à l’intime s’ouvre, parce que cette étape fait écho chez les autres. Chez les garçons, personne dans leur entourage ne va rentrer dans leur intimité parce qu’aucune étape similaire ne le justifie. Sans oublier que l’on apprend aux gar çons à affronter ce qui se passe en eux en silence, donc leurs premiers émois, leurs chagrins intimes et leur sexualité, ils n’en parlent pas.
Qui sont les hommes que l’on peut entendre à ton micro ?
On écoute tous les garçons, cela va du plus jeune de 18 ans à un homme de 70 ans, et j’ai bon espoir d’avoir un octogénaire bientôt. Il y a toutes les orientations sexuelles, qu’elles soient hétéro, homo, bi, pan, des hommes en couple et célibataires… Avoir une vraie diversité, tant dans les origines sociales que dans les origines tout court, est très important pour moi, pour ne pas tomber dans un entre-soi citadin parisien.
Après quatre saisons à écouter des hommes parler de sexe, où en est la déconstruction de la sexualité masculine selon toi ?
Il reste encore des choses à faire évidemment, mais je me rends compte que la génération des hommes à venir, de 20, 25 ans est déjà très avancée, notamment sur les questions de consentement. Que ce soit dans des relations hétéro ou homo, ces jeunes hommes ont une vision bien plus égalitaire du rapport intime, moins hétéronormée. L’idée qu’un homme domine le rapport sexuel avec le trio masturbation, pénétration et éjaculation fait beaucoup moins sens. Ils sont aussi de plus en plus à ne pas associer une pratique à une orientation : sur la question du point P et de la prostate, de nombreux hommes hétéros comprennent qu’apprécier la pénétration anale ne fait pas d’eux un homme homosexuel. On sent qu’il y a un vrai mouvement qui s’opère.
Tous ces témoignages ont-ils servi à déconstruire des idées reçues que tu pouvais avoir auparavant ?
On a tellement été habitué·e·s à entendre dans les médias que la sexualité féminine est compliquée, que je ne l’imaginais pas aussi complexe chez les hommes. Beaucoup de choses passent aussi par la tête, et c’est tout bête mais une érection ne signifie pas forcément du désir, une éjaculation ne s’accompagne pas toujours d’un orgasme…
Y a-t-il une histoire qui t’as particulièrement touchée ?
Il y a eu des moments très forts, notamment avec Erwan qui a vécu l’horreur absolue et le tabou universel de l’inceste par sa mère. On a enregistré pendant six heures très éprouvantes, son chemin pour se reconstruire est long mais force le respect. Mais toutes les histoires m’ont touchées. Certains hommes veulent partager leur histoire mais pensent n’avoir rien à raconter, alors que leurs propos sont hyper denses et parlent à beaucoup d’auditeurs. Que ce soit des hommes qui me racontent des choses qu’ils n’ont jamais racontées à leur partenaire, des hommes qui ont besoin de s’exprimer pour engager un chemin personnel, des histoires rocambolesques ou des histoires plus ordinaires, tous ont quelque chose à raconter.
J’imagine que parler de sexualité avec un homme peut être compliqué, comment fais-tu pour aider tes invités à se livrer ?
Carrément. Quand on écoute le podcast, on entend entre une et 1h30 d’échange. Certains ont besoin de me raconter vite les choses, mais d’autres ont d’abord besoin de small talk pour se sentir à l’aise, et je ne sors le micro que lorsque je le sens. Je vais aussi beaucoup chercher l’information et quand je vois qu’il y a quelque chose sur un sujet mais que mon invité n’en parle pas, je reviens dessus. Mais je fais ce choix de couper ma voix un maximum pour que les auditeur·ice·s aient vraiment l’impression de rentrer dans l’intimité de l’invité.
Les rubriques sexo sont systématiquement tenues par des femmes, les podcasts et ouvrages sur la sexualité sont très largement animés ou écrits par des femmes… Comment expliques-tu que la parole des hommes sur le sexe ait si peu de place dans l’espace médiatique ?
Il y a quelques podcasts comme Les Gentilshommes ou Mise à Mâle qui parlent plutôt de relations mais effectivement, beaucoup de mes invités me disent qu’ils ne pourraient pas parler à un homme comme ils me parlent. Dans notre société, l’écoute d’une femme est souvent associée à la maternité et à la bienveillance, alors qu’il y aura peut-être plus de rapports de domination ou de compétition entre des hommes, notamment hétéros. Je trouverai extraordinaire que ce podcast soit tenu par un mec, mais on n’y est pas encore.
Beaucoup d’hommes te contactent pour participer au podcast, quel besoin cela traduit-il selon toi ?
Beaucoup d’invités me disent qu’on leur a jamais demandé ce qu’ils aimaient au lit, leurs envies… Certains sont vierges quand ils viennent me parler de certains sujets, ils n’en ont jamais parlé avec leur partenaire parce qu’ils n’osent pas, ils ont peur d’être jugés… Il y a une urgence à parler et à se faire entendre, mais aussi une urgence à recentrer les choses. Certains me parlent de la charge mentale sexuelle qu’ils portent dans le couple, dont la libido et le tempo des rapports. Beaucoup d’hommes souhaitent partager leur histoire parce qu’eux-mêmes ont manqué d’informations et se sont sentis seuls ou en marge. Le jour où ils ont réalisé qu’ils n’étaient pas seuls, ça les a libérés. Que l’on parle d’un mec qui se masturbe cinq fois par jour et se pense addict ou d’un mec qui ne se masturbe pas et pense être chelou, parler crée un cercle vertueux. Les mecs qui viennent témoigner sont souvent dans une amorce de déconstruction, et la transmission est hyper importante pour eux.
Tu as déjà parlé à des hommes qui n’étaient pas du tout déconstruits dans le cadre du podcast ?
J’ai un ou deux épisodes avec des mecs un peu difficiles, ça a été un vrai boulot d’aller les chercher. Un épisode a engendré beaucoup de réactions, un garçon d’une bonne vingtaine d’années qui parle des femmes comme des objets. J’ai coupé les propos insultants parce qu’il est transphobe, homophobe, grossophobe et misogyne, mais je garde l’essence de sa vision des rapports homme-femme en tant que dominant alpha, selon ses mots. Certains auditeur·ice·s me l’ont reproché, mais si l’on n’entend que des mecs hyper déconstruits et à l’aise avec le consentement on ne va pas faire avancer le débat, parce que ces hommes là sont très minoritaires. C’est comme pour les kinks, j’ai déjà interviewé un homme qui est dans une relation dominant-soumis avec une femme 24h/24 et 7j/7. Bien que cela soit très éloigné de ma vision personnelle du couple, il est important de donner la parole à tous les mecs et de montrer des sexualités plurielles.