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Entrevue : Aline Laurent-Mayard – Pour une masculinité débridée

Il est temps de valoriser les good guys, les vrais.

Par
Pauline Allione
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C’est après avoir vu Call me by your name qu’Aline Laurent-Mayard est tombée accro. Accro à Timothée Chalamet, à son visage angulaire, à son énergie adolescente et joviale, à ses vestes de femme sur les tapis rouges… Comme Harry Styles et Tom Holland, l’acteur franco-américain fait fantasmer des milliers de fans tout en étant à l’antithèse du bad boy. Dans son ouvrage Libérés de la masculinité : Comment Timothée Chalamet m’a fait croire à l’homme nouveau, la journaliste enquête sur la fascination qui entoure ces stars et plus largement, sur la perpétuelle réinvention de la masculinité.

Dans un article de Vice sur la Chalamania, le journaliste se demande si Timothée est un acteur ou un chaton. Est-ce son côté chaton qui t’as fait craquer ?

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Comme Tom Holland et Harry Styles, Timothée Chalamet est plutôt un petit chiot pour moi. Ce sont des personnes affectives, qui montrent leurs craintes et leurs sentiments, ils n’ont pas peur d’être spontanés, de montrer leur joie, de sauter partout… Les vêtements sont un marqueur clair de l’expression physique de la masculinité, mais il existe des marqueurs plus subtils comme la façon de se tenir ou de marcher, or Timothée Chalamet ne marche pas droit, il sautille. Les hommes sont dans la rigidité et le contrôle, ils se tiennent très droit, comme en érection dirait Daisy Letourneur. Il y a aussi une liberté et une naïveté chez le chiot, et il est rare de comparer les femmes à des petits chiens. Elles doivent être dans le contrôle, être vigilantes… avoir la spontanéité d’un chiot serait mal vu.

Les stars que l’on adore aujourd’hui sont-elles vraiment différentes de celles d’hier ?

C’est en faisant la liste des manias que j’ai réalisé à quel point les hommes musclés et virils sont souvent très bien payés, ont des gros contrats, sont dans le top des hommes les plus sexy, mais ne font pas l’objet de manias. Il n’y a pas ce petit truc qui fait que les gens passent de “Je le trouve sexy” à “Je suis prête à faire la queue 25h pour le voir”. Les stars qui ont créé des manias exprimaient toutes une part de féminité beaucoup plus forte que la moyenne : Frank Sinatra était un freluquet qui chantait de façon très sensuelle, Elvis Presley était le premier à se sexualiser en montrant ses courbes, les Beatles avaient ce côté gentil, et à l’époque, Leonardo DiCaprio a joué dans un certain nombre de films qui le faisaient passer pour un jeune romantique. La masculinité se réinvente constamment en fonction des critiques qui lui sont faites, et les stars les plus populaires de chaque époque représentent une réponse à ces critiques. Ces hommes ne sont pas les seuls, mais ils sont talentueux, beaux, dotés de privilèges, et ils représentent une évolution sociétale.

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Les gentils garçons sont-ils devenus plus sexy que les bad boys ?

Beaucoup d’internautes fantasment sur Daemon Targaryen de la série “House of the Dragons”, or c’est un agresseur responsable d’inceste. Le bad boy persiste et évolue avec le temps : il y a trente ans c’était un homme brun et ténébreux en moto, aujourd’hui c’est un blond qui violait sa nièce… Ce qui est nouveau, c’est que l’on valorise des mecs gentils, mais pas les good guys comme Ted Mosby qui pensaient que le simple fait de ne pas être un bad boy leur donnait droit à tout et qui étaient finalement hyper égoïstes. On valorise et érotise les hommes qui sont vraiment à l’écoute, qui expriment leurs sentiments mais aussi ceux de leur copine, qui parlent de leur charge mentale… Montrer des relations égalitaires est quelque chose de nouveau, et c’est ce que font la série Heartstopper et le film À tous les garçons que j’ai aimés. Les intrigues ne viennent pas d’une incapacité des deux personnages à se comprendre parce qu’ils sont de genres différents, mais de circonstances extérieures. Il est intéressant de voir que l’on représente des relations apaisées, qui peuvent aussi nous faire rêver.

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Timothée Chalamet, Harry Styles et Tom Holland représentent une réinvention de la masculinité, mais pourquoi ne destabilisent-ils pas vraiment le patriarcat ?

Pour faire tomber une domination il faut en prendre conscience, et je pense qu’il est important d’avoir des hommes qui soient reconnectés à leurs sentiments, à l’écoute des autres, et qui arrivent à être dans des situations égalitaires individuellement. Tout ça est nécessaire pour tendre à une égalité réelle, mais pas suffisant. Parce que ces personnes n’ont pas de message politique, ce qui est leur droit puisque ce sont d’abord des stars qui sont là pour créer du divertissement, mais aussi parce que l’on s’attache à des hommes blancs, cis et privilégis, alors que d’autres hommes talentueux à la personnalité inspirante ont fait bien plus dans l’offre d’une masculinité différente. Il y a l’acteur Billy Porter, Lil Nas X… Mais parce que ce sont des hommes noirs et queers, ils ne sont pas vus comme représentatifs de la population. Les trois hommes dont je parle dans le livre sont dans une situation d’hyper domination, et c’est pour cela qu’ils peuvent se permettre d’exprimer une masculinité un peu libérée.

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Vous préférez éviter de parler de masculinité toxique, comme de masculinité positive. Pourquoi cela ?

Je trouve cela assez essentialisant, et j’ai mis un peu de temps à comprendre ce que ça avait de gênant. Ce ne sont pas les personnes qui sont toxiques, mais les comportements au sein même d’une relation. De même qu’il n’existe pas d’homme nouveau et salvateur, dont la masculinité positive nous sauverait. Il faut s’intéresser à la masculinité dans son ensemble pour commencer à lutter contre les comportements toxiques. On a besoin d’une vraie réflexion structurelle et politique pour mettre fin au patriarcat.