Juan Loaiza, aka Grandpamini de son nom d’artiste, est parodieur de couvertures magazine : il reprend les meilleures tares et absurdités de cette presse pute-à-clic pour en extraire du pur jus de pus de l’espèce humaine. On lui doit les couvertures magazines de Rastablanc, Escrotérisme ou encore Patriarcat Un exutoire aussi poilant que grinçant. Grandpamini nous a accordé un entretien exclusif à quelques jours de l’ouverture de sa nouvelle expo.
Alors on peut se demander : C’est une bonne situation ça ? … Parodieur de magazines ? Et bien dans ce pays de tordus ou la satire est légion, Grandpamini fait un succès ! Après avoir publié plus d’une centaines de magazines parodiques sur ses réseaux-sociaux et avoir été invité dans une exposition sur les pastiches de presse à la Bibliothèque nationale de France (slay) ; Grandpamini sera exposé de nouveau, sur les quais du Hasard Ludique à Paris, tout le mois de septembre. Il y dévoilera – en exclusivité – son premier livre, florilège de ses meilleures Unes, et révèlera sa carte joker DJ.
Car oui, Grandpamini a plus d’un tour dans sa poche : en plus d’être à la tête de tout un tas de magazines loufoques, il ambiance le dancefloor sur ses heures perdues. Vous pourrez en attester le 31 août, lors de sa soirée de vernissage, au Hasard Ludique. Au programme : “ Dj set fou du rédac’ chef Grandpamini , un show brûlant du rookie of the year du Reggaeton « Trebiz » et une performance unique d’ « Appropriation Culturelle Sound System »… and many more….”.
Qu’est ce qui t’a donné envie de te lancer dans la parodie de unes de presse : les couvertures de Valeurs Actuelles ou plutôt celle de Sophie Davant Magazine ?
Grandpamini : Peut-être Valeur Actuelles en effet, parce que c’est presque déjà des blagues. C’est tellement marrant et absurde que ça donne envie de tirer la ficelle en le parodiant, pour montrer que l’authentique n’a pas de sens. J’adore aussi le média Magazine parce que tu peux jouer sur les sous-entendus : les titres te font penser à l’article que ça pourrait être, et tu peux même inventer la suite de la blague dans ta tête.
Comment s’adapte la parodie, alors que notre monde ressemble chaque fois plus à une vaste blague ?
C’est très difficile d’aller aussi loin que la vérité… Mais justement, en parodie on s’en empare et on tord les choses qui sont absurdes pour montrer qu’elles le sont. C’est vrai qu’il y a beaucoup de choses complètement dingues. On m’envoie des unes de vrais magazines en me disant : “Eh mais c’est pas un truc à toi ça ?” Par exemple, un truc qui s’appelle 1000 raisons d’y croire, c’est un magazine catho, avec des titres complètement dingues comme Le diable existe-t-il vraiment ? et des trucs comme ça.
Quelle est ta propre couv préférée ? Et pourquoi ?
Il y en a une que j’adore, qui date d’il y a très longtemps, qui s’appelle Agresseur magazine. C’est affreux ! Il y a PPDA en première page, c’est terrible. J’avais pensé à plein de choses qu’il pourrait dire dans une interview, mais c’est un ami qui travaille avec moi à la rédaction qui m’a donné une blague, que je trouve hyper forte : Si on peut plus faire de compliments… J’ai trouvé ça génial, et j’admets qu’elle n’est pas de moi donc je dis d’autant plus qu’elle est géniale, parce qu’elle explicite l’hypocrisie en quelques mots et on s’imagine tout le reste. Tout est dit. Ce que j’adore dans les blagues, et c’est ce que j’essaye de faire, c’est les blagues hors champs. C’est celles où le vrai sens est à côté de la blague. Mais il y a plein d’autres couvs que j’aime bien … et il y en a aussi qui ont peut-être moins de succès mais qui pourtant ont toute ma tendresse.
C’est quoi une bonne couv’ parodique pour toi, comment tu te dis que tu as réussi un qui va fonctionner ?
À un moment du processus je me dis à moi-même : “Ah ça commence à être pas mal !” Ce que je préfère c’est les titres, quand un titre est hyper provocateur, hyper de mauvaise foi, là c’est bien. Et puis j’aime bien me prendre la tête graphiquement pour essayer que ce soit différent chaque semaine. J’adore les petites blagues secrètes. Quand tu zoomes dedans et que tu découvres encore d’autres blagues, des logos, des sous titres, que tu n’avais pas remarqué de suite. Ce qui me plait aussi c’est de triturer un truc pour qu’il soit le plus efficace possible.
Parfois on a un longue phrase et on se torture la tête pour qu’elle devienne juste un titre de 3 mots, et qu’elle soit le plus éclatante, le plus efficace possible. Généralement avant de les sortir je soumets mes unes à des personnes concernées. Moi par exemple je suis un garçon donc les agressions sur les filles je maitrise pas. Une fois il y avait une blague que je trouvais horrible, c’était dans la une Patriarcat : Endométriose, arrêtez votre cinéma les filles. Je l’ai envoyé a des filles touchées par ce truc là, et elles m’ont dit: au contraire, il faut absolument que tu mettes cette blague !
Tu cherches à provoquer quoi avec tes unes : du rire mais aussi de la réflexion et finalement peut être un jour l’espoir que tous les humains se prennent la main dans une grande ronde d’amour ?
Bien sûr, c’est important ! J’ai toujours fait de l’humour dans ma vie. Le premier truc que je veux c’est que ce soit rigolo, mais évidemment j’essaye de faire passer des idées, secrètement encore. Mais j’avoue que je trouve qu’avec l’humour c’est vachement plus simple de faire passer des idées, parce que ça va très très vite et qu’on comprend tout d’un coup, comme une évidence. C’est intéressant parce qu’avant de faire ça je n’étais pas tellement dans l’écrit, j’ai commencé pour rigoler et au bout d’un moment je me suis rendu compte que je me prenais la tête sur des trucs qui ne me traversaient pas l’esprit avant. Comme par exemple le placement de la virgule, l’ordre des idées, le choix du bon mot qui vient influencer le sens de la blague, le rythme, etc… en fait il y a plein de choses sur lesquelles l’écriture influence la blague, et c’est trop bien !
Après plus d’une centaine de couvertures, un livre et une exposition, comment tu arrives encore à avoir de l’inspiration ? Est-ce qu’il n’y a pas un moment où on arrive au bout ?
Évidemment au bout d’un moment on arrive au bout. C’est à dire que d’abord on fait tout ce qui nous passe par la tête tu as tout plein d’inspi, et une fois que c’est fait, après 50 ou 60 couvertures, on se dit : “Ah d’accord, maintenant je vais commencer à réfléchir”. On passe à un autre stade de réflexion. On a le savoir-faire, sauf qu’il faut trouver des nouvelles idées. Ce que j’aime bien aussi pour me renouveler c’est de jouer avec le format. Et puis il y a aussi des thèmes qui sont inépuisables, malheureusement aussi parce que c’est souvent des trucs dramatiques. Les hommes toxiques et les agresseurs, par exemple : c’est inépuisable. On pourrait faire 50 unes sur ce thème. J’adore aussi le thème de l’ésotérisme, sur les sectes etc. C’est une vraie ressource.
Est-ce qu’il vous arrive de ne pas être compris par vos lecteurs ?
J’essaye le plus possible d’être clair, mais ça m’arrive oui. C’est difficile parce qu’on a envie de dire, “ouais mais c’est drôle ma blague elle est bien”. Mais en fait c’est un truc d’écriture, ça veut dire qu’il fallait prendre dix minutes de plus pour évacuer toute ambiguïté. Quand tu ne maîtrises pas vraiment ce que tu veux dire les gens peuvent émettre un doute sur ton propos.
Après, évidemment il y a des gens qui sont très durs dans la réception du contenu, mais, lorsque ça m’arrive, je me dis que c’est moi qui n’ai pas maîtrisé le sujet sinon il n’y aurait pas d’ambiguïté. Notamment quand tu touches à des trucs un peu délicats comme le handicap, plus le thème est difficile plus il faut le taffer. Mieux vaut passer un peu plus de temps pour que ce soit impec, et éviter qu’une personne puisse y voir un sous-entendu. C’est important de se remettre en question, de ne pas défendre ses blagues jusqu’à la mort. C’est pas un combat, c’est un truc drôle.
Vous en êtes déjà à votre deuxième exposition, vous êtes sur le point de publier un livre, et pourtant, vous avez déclaré au journal Le Monde d’être étonné de ces honneurs. Ça vous étonne d’intégrer le monde des institutions premier degré?
Pour moi faire des expos c’est vraiment le truc ultime d’un artiste. Quand la Bibliothèque Nationale de France m’a contacté, j’ai trouvé ça super mais c’est vrai que j’étais super étonné. C’est très surprenant d’être validé, parce qu’on commence pour rigoler et on se rend compte qu’on fait partie d’une espèce de tradition française hyper ancienne. Dans cette expo il y avait aussi des trucs du début du siècle, et même des trucs du 19e siècle … Mais le plus important c’est de garder la fraîcheur des premières unes où on faisait ça pour rigoler.
Souvent je me suis demandé “Est-ce que c’est pas un peu trop débile ?” Mais en fait si, et justement il faut le laisser. Et puis il y a de plus en plus de gens qui regardent et ça donne une responsabilité d’être bienveillant avec tout le monde et de bien accueillir tout le monde. J’aimerais m’extraire de cette pression mais j’ai toujours trouvé que c’est important quand on fait des blagues, d’être copain avec les gens qui les regardent.