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En politique, les femmes appelées pour éteindre le feu

« Il reste une forme de cooptation masculine ».

Par
Audrey Parmentier
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La féminisation du pouvoir se heurte parfois au concept de falaise de verre quand certaines accèdent à des postes à responsabilité dans des situations compliquées.

En pleine tempête, Elisabeth Borne veut s’accrocher à Matignon. « Je suis à ma tâche. Pas pour répondre à un plan de carrière, j’ai passé l’âge. Mais parce que je pense encore être utile dans la crise que traverse notre pays », affirme la Première ministre, le samedi 8 avril, au Parisien. Alors que bruissent des rumeurs de remaniement, celle qui est en poste depuis le 16 mai 2022, tient la barque d’un gouvernement fragilisé par la contestation du projet de réforme des retraites. « Elle occupe ce poste, tandis qu’Emmanuel Macron a une majorité relative difficile à tenir, une réforme des retraites impopulaire et un dialogue rompu avec les syndicats depuis 2017. Elle est à deux doigts de se faire éjecter », estime Léa Chamboncel, journaliste politique, streameuse et podcasteuse.

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« Elles se trouvent au bord du précipice »

La deuxième femme nommée à ce poste a été choisie à un moment de crise. Hasard du calendrier ? Pas vraiment. Sa situation peut s’inscrire dans un processus appelé la falaise de verre. Soit, le fait de donner plus de pouvoir à une femme quand la situation se complique. Conséquence : elle a un risque plus élevé d’échouer. « Quand tout va mal, on appelle les femmes. Elles se trouvent donc au bord du précipice », explique Léa Chamboncel. Ce concept a été identifié en 2005. À l’époque, un article du Times, quotidien d’Outre-manche, liste les 100 entreprises britanniques cotées à la bourse de Londres. Il tente de démontrer que parmi ces poids lourds du marché économique, les compagnies qui avaient une femme à leur tête étaient moins performantes. Cette idée fonctionne en entreprises, mais aussi en politique.

« Les études menées sur le Parlement ont mis cela en avant assez tôt. Lors des élections législatives, historiquement, les femmes sont envoyées dans des circonscriptions réputées non gagnables », complète Maud Navarre, docteure en sociologie, spécialisée sur la question des femmes en politique. En témoigne la dernière élection présidentielle en mai 2022 : dans les starting-block, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse, qui étaient en course respectivement pour le Parti socialiste (PS) et Les Républicains. Au scrutin, les deux femmes ont représenté des formations politiques en perte de vitesse, selon les sondages. La maire de Paris et la cheffe de la région Ile-de-France avaient très peu de chances de se hisser au second tour.

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« Concernant le Parti socialiste, il n’y a pas grand monde qui se bousculait au portillon. Personne n’aurait fait mieux qu’Anne Hidalgo. Ça tenait surtout au fait que Jean-Luc Mélenchon, candidat La France Insoumise, avait complètement vampirisé cette élection à gauche, à raison. Dans d’autres circonstances, il y aurait forcément eu d’autres prétendants », déroule Léa Chamboncel. Par principe, quand le poste est pénible, la concurrence est moindre. Aujourd’hui, le PS se cherche une ligne directrice en interne et la voix de Bernard Cazeneuve – ex-Premier ministre – devient plus audible. Idem chez Les Républicains qui voient désormais à sa tête Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, après la crise du parti gérée par Valérie Pécresse.

Aurore Bergé, Yaël Braun-Pivet… Des postes à haut risque

Lors de la dernière élection présidentielle, la nomination de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale avait été saluée comme une avancée. Mais il est possible d’avoir une autre grille de lecture : divisée, la chambre basse peine à jouer son rôle de contre-pouvoir face à un exécutif qui ne se prive pas de faire usage de l’article 49.3. Là encore, la mission attribuée à Yaël Braun-Pivet apparaît ardue. Même chose du côté d’Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale. Alors que les rangs de la Macronie sont marqués par des nombreux désaccords, la députée des Yvelines doit composer avec les différentes sensibilités. « Elle préside un groupe difficile à tenir. Certains aimeraient une alliance avec Les Républicains et d’autres avec la gauche », constate Léa Chamboncel.

« Il reste une forme de cooptation masculine »

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Sur l’échiquier politique, les femmes occupent des postes laborieux. Et les conditions d’exercice ne sont pas simples non plus. C’est l’autre difficulté relevée par Fiona Texeire, cofondatrice de l’Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique. Collaboratrice d’élus non-encartée depuis quatorze ans, elle est à l’initiative du #MeToopolitique : « La façon dont on exerce le poste est très importante : Est-ce qu’on l’exerce avec du soutien de sa hiérarchie ou de ses collègues ? Avec la confiance des autres ? Dans un climat de défiance ? », interroge-t-elle. Fiona Texeire donne l’exemple d’Edith Cresson, Première ministre sous François Mitterrand entre le 15 mai 1991 et le 2 avril 1992. Elle décrit le manque de soutien dont elle a bénéficié dans ses rangs : « Tout le monde voulait son poste, elle n’avait pas de soutien en Conseil des ministres. »

Au niveau local, Maud Navarre, observe souvent un environnement défavorable lorsqu’une femme occupe des responsabilités électives : « Il reste une forme de cooptation masculine, les hommes débattent entre eux. Quand c’est une femme, la légitimité reste à conquérir. » Trente ans après l’arrivée d’Edith Cresson, la place de la femme en politique évolue encore lentement. « Le centre du pouvoir n’a pas beaucoup changé. On nous dit qu’on vit un moment historique (avec la féminisation de certains postes), mais c’est toujours le président qui décide. Quand on ne l’entend pas, c’est le ministre de l’Intérieur. L’espace médiatique est saturé », assure Fiona Texeire

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Cependant, quelques lignes bougent. Des voix féminines ont émergé dans le débat politique, en témoigne la déclaration de politique générale, portée l’année dernière, par des femmes. « Ça n’a pas beaucoup changé la pratique institutionnelle à ce stade », ajoute Fiona Texeire. Par ailleurs, l’année 2017 a marqué une féminisation historique assez forte à l’Assemblée nationale, mais en 2022, la part des femmes élues a eu tendance à régresser légèrement (37,3% contre 38,8% en 2017). « Depuis les années 90, on était sur une hausse constante de la féminisation à l’Assemblée nationale, c’est un petit peu inquiétant », glisse Maud Navarre.

Enfin, la féminisation du pouvoir n’empêche pas les députées de toujours subir des propos misogynes et du harcèlement, même si un progrès est noté avec l’émergence de la question des violences sexistes et sexuelles dans le débat public : « Avec l’affaire Damien Abad, l’an dernier, on a vu que ça avait choqué la Première ministre, mais pas le chef de l’Etat. Rien n’est réglé, mais au moins on parle. Il y a une mise à l’agenda de ces sujets-là. »

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