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En mission pour sauver les Kevin

Le chef des Kevin nous dit tout sur les Kevin

Par
Elise Gilles
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Son documentaire “Sauvons les Kevins” découd les stéréotypes autour de ce prénom qui porte la beauferie et la loose comme un col roulé : entre honte, mépris de classe et discrimination, Kevin Fafournoux, réalisateur, a enquêté sur les origines et les retombées de ce prénom des années 90 au pic de popularité jamais égalé. Un pour tous et tous pour Kevin.

Est-ce que tu as déjà fait du tuning et porté un mulet ?
K. F. : Alors dans la vraie vie : jamais. Mais pour les besoins du film, et surtout pour illustrer les clichés un peu lourds qu’on colle aux “Kévin », je me suis retrouvé en short, tee-shirt loup, coupe mulet, devant une voiture tuning. Et c’est là que j’ai commencé à m’inquiéter : plusieurs personnes m’ont dit que ça m’allait bien…

Pourquoi est-ce que dans la tête des gens, le Kevin originel est un gars du nord ?
Parce que le prénom Kévin est historiquement associé aux classes moyennes et populaires qui dans les années 90, ont voulu s’émanciper des prénoms traditionnels hérités des classes supérieures. Et même si ces classes populaires sont présentes partout en France, elles sont particulièrement visibles et concentrées dans le Nord. Alors forcément, dans la tête de beaucoup, un Kévin, c’est un gars du Nord. C’est plus un raccourci sociologique qu’une réalité géographique… Mais les clichés, eux, voyagent vite et s’installent longtemps.

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Pourquoi est-ce que les préjugés autour de Kevin sont en fait super liés à un mépris de classe pas trop avoué ?
Parce que ça commence comme une blague. Un truc léger, censé faire rire tout le monde. Mais derrière le rire, il y a un vrai fond de mépris social. Se moquer d’un Kevin, un prénom massivement porté par les enfants des classes populaires dans les années 90 est devenu une forme de moquerie socialement admise. C’est plus simple, plus acceptable de rire d’un Kevin que d’un Mohamed. Comme le dit très justement le sociologue Baptiste Coulmont dans le film, le mépris de classe circule plus librement que le racisme frontal : il fait moins de bruit, mais pas forcément moins de dégâts.

C’est quoi un Kevin finalement ?
C’est un adulte, généralement entre 30 et 45 ans, avec un pic marqué autour de la quarantaine. Il fait partie de la jeunesse active de la France et on le retrouve partout : ouvrier, baby-sitter, avocat, médecin, prof… Mais dans la majorité des cas, c’est aussi quelqu’un qui n’est pas vraiment en phase avec son prénom, et qui en souffre plus souvent qu’on ne l’imagine. Plus grave encore, certains évoquent des cas de discriminations subies uniquement à cause de ce prénom-là.

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Dans ton docu, un intervenant explique que “rire des Kevins, c’est dire qu’on a 40 ans”. Du coup les non-quadras, ils en pensent quoi des Kevin ?
Chez les plus âgés, comme mes parents, l’idée même de faire un film sur mon prénom les a laissés un peu perplexes. Ils ne comprenaient pas trop le sujet, jusqu’à ce qu’ils réalisent et disent finalement « Ah oui, quand même… ». Chez les plus jeunes, les clichés autour des Kévin sont connus, parfois relayés, mais j’ai l’impression que ça les fait moins rire. Peut-être parce qu’ils ont grandi avec d’autres prénoms à moquer…

Même si les Kevin sont imbattables, y a un prénom aujourd’hui qui te semble connaître le même sort ?
Kylian n’atteint pas nos sommets en matière de natalité, mais il traîne déjà une connotation pas franchement valorisante. Et puis il y a Enzo, qui revient très souvent dans les discussions. Beaucoup le voient comme le successeur désigné. Il y a comme une sorte de malédiction générationnelle qui plane sur certains prénoms populaires.

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Du coup Kevin, c’est pire que Steeven et Dylan sur le Kevinomètre ?
Sans aucun doute. On a littéralement explosé les compteurs dans les années 90. En termes de volume, aucun prénom du genre n’a fait mieux : ni Steeven, Dylan, Jordan ou Kimberley. Kevin, c’est un peu le boss final des prénoms moqués.

Ça t’arrive d’avoir une pensée pour les Aurélie de la chanson de Colonel Reyel ou pour les Mégane de la Renault ?
J’ai une pensée pour toutes celles et ceux qui galèrent avec leur prénom. Et notamment une spéciale pour cette petite fille prénommée “Périphérique Sud” évoquée par une sage-femme dans le documentaire, au détour d’un souvenir des années 90. C’est là qu’on réalise qu’un prénom, ça peut vite devenir un vrai fardeau.

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Ils en pensent quoi Kevin Costner et Kevin McAllister du rassemblement des Kevin ?
J’ai essayé de contacter Kevin Costner à plusieurs reprises : par son agent, ses relations presse, et même par un ami d’ami d’ami. Je lui ai fait suivre un dossier spécialement rédigé pour lui, avec la proposition de faire un petit coucou en visio… mais je n’ai jamais eu de retour. Je suis sûr que ça l’aurait bien fait marrer !

Finalement, est-ce que c’est pas toi le Saint-Kevin des temps modernes, le guide spirituel de la commu ?
Hahahaha, certains Kévin m’ont dit que j’étais devenu “le chef des Kévin”. Ça m’a fait rire… et ça m’a surtout touché. J’ai reçu énormément de messages bienveillants d’homonymes que je ne connais pas qui m’ont écrit pour soutenir mon projet. Je n’ai aucune vocation à devenir un leader ou un porte-drapeau. Mais si le film peut participer à faire évoluer les mentalités, à ouvrir une discussion sur ce que cache un prénom moqué, alors j’aurai déjà rempli ma mission.

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Qu’est-ce qu’on peut souhaiter à la communauté des Kevin à l’avenir, maintenant qu’ils t’ont comme porte-parole ?
Ce que j’entends le plus souvent de la part des Kevin, c’est : « J’espère qu’on va enfin être pris au sérieux » ou « Qu’on nous laisse tranquilles, qu’on passe à autre chose ». Et franchement, je nous le souhaite. Qu’un jour, on puisse dire « Kévin » dans une salle sans provoquer ni rire gêné, ni regard complice. Juste un prénom. Comme Paul ou Nicolas. Le vrai luxe, pour un Kévin en 2025, ce serait peut-être l’indifférence.

Le documentaire “Sauvons les Kevins” est à retrouver sur les plateformes M6+ et myCanal.