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Émeutes au Capitole : la démonstration du privilège blanc ?

Et pendant ce temps en Géorgie, une lueur d’espoir.

Par
Laïma A. Gérald
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Le moins qu’on puisse dire en repensant au 6 janvier, c’est « Grosse journée! ». En pleine pandémie, le Capitole à Washington était pris d’assaut par des partisans pro-Trump.

« Nous ne reprendrons jamais notre pays avec la faiblesse. Vous devez faire preuve de force et vous devez être forts », a scandé Donald Trump.

Encouragés par le président sortant lui-même, des centaines d’émeutiers ont semé le chaos dans le bâtiment qui abrite le Congrès américain, afin d’interrompre la certification du résultat de l’élection présidentielle, la dernière étape avant que Joe Biden ne soit officiellement nommé président.

« Nous ne reprendrons jamais notre pays avec la faiblesse. Vous devez faire preuve de force et vous devez être forts », a scandé Donald Trump, qui a manifestement été pris au mot par ses partisans déchaînés.

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Mercredi en fin d’après-midi, beaucoup de monde était scotché devant leur télé pour assister aux événements en direct. Le coach et entrepreneur social Fabrice Vil et l’avocate Marie-Livia Beaugé ne faisaient pas exception.

Et s’ils avaient été noirs ?

« La première chose à laquelle j’ai pensé en voyant les images, c’est à quel point les personnes blanches avaient un privilège de violer la loi sans aucunes représailles, affirme Fabrice Vil. Une des premières réactions publiques que j’ai vues, et que j’ai relayées d’ailleurs, c’est celle de Van Jones, le commentateur de CNN. Il a d’emblée invité le public à s’imaginer la réaction des gens si ça avait été des personnes noires qui faisaient exactement la même chose. C’est une évidence que si ça avait été des personnes noires, les représailles auraient été beaucoup, beaucoup plus violentes. »

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« c’est comme s’il n’y avait aucune présomption que ça puisse devenir violent. »

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Son de cloche similaire du côté de Me Marie-Livia Beaugé. « Le double standard est tellement clair. J’ai notamment regardé la vidéo où on voit la foule d’émeutiers qui entrent dans le Capitole, avec un seul et unique agent de sécurité (noir, qui plus est) pour contrôler la foule qui gagne du terrain dans le bâtiment. Quand je repense aux manifestations de Black Lives Matter, la présence policière était ultra présente et agressive dès le départ. Dans ce cas-ci, avec les partisans pro-Trump, majoritairement blancs, c’est comme s’il n’y avait aucune présomption que ça puisse devenir violent. Ça montre qu’on prend beaucoup plus de précautions quand ce sont des personnes noires qui manifestent, même si la cause et le déroulement sont pacifiques, que quand ce sont des personnes blanches, avec des intentions pourtant violentes. »

Le racisme systémique, ça n’existe pas ?

Selon Marie-Livia et Fabrice, ce qui s’est passé mercredi à Washington constitue un exemple parfait de racisme systémique. « Si on prend les événements du Capitole, qui sont carrément des émeutes et du terrorisme, et les manifestations en faveur de Black Lives Matter (je précise que ce sont deux événements vraiment très différents), ça soulève la question de comment les pouvoirs policiers se manifestent dans une société, explique Fabrice Vil. Mercredi soir, l’État a choisi d’autoriser le geste des manifestants. La police n’a pas servi à réprimer, à faire respecter la loi. Elle a servi à affirmer, à cautionner la suprématie blanche. C’est ça qui est terrible. »

« les institutions étatiques […] sont “designées” pour autoriser le maintien de la répression des populations noires et autoriser l’expression, même illégale, de la suprématie blanche. »

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Le fondateur de Pour 3 Points va plus loin dans son analyse. « La certification du résultat de l’élection présidentielle, c’est un gros événement. Dans le contexte de transition présidentielle chaotique actuel, alors que Trump refuse de concéder la victoire et ne cesse de le crier haut et fort [NDLR Trump a finalement reconnu, en soirée le 7 janvier après notre entrevue, que Joe Biden sera président des États-Unis le 20 janvier], on savait qu’il y aurait des manifestations. Malgré tout, on n’a placé aucun policier sur les lieux. Pourquoi ? La faute est trop grossière pour ne pas se questionner sur les intentions derrière. Pendant BLM, il y avait des dizaines et des dizaines de policiers sur place. »

Selon Fabrice Vil, le message que cela envoie est puissant et inquiétant « Ça laisse penser que les institutions étatiques, à travers le gouvernement américain ou les corps policiers, sont “designées” pour autoriser le maintien de la répression des populations noires et autoriser l’expression, même illégale, de la suprématie blanche. »

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Pour sa part, Me Marie-Livia Beaugé, également chargée de projets pour l’organisme Hoodstock et fondatrice de la Clinique juridique de Montréal-Nord, y voit aussi une illustration de l’expression de la suprématie blanche, qui s’exprime d’elle-même à travers les institutions en place. « Ça démontre bien que le racisme systémique, ça va plus loin que la couleur de la peau. Il est dans les actions, l’usage, les réflexes que l’on a devant la sécurité d’un bâtiment, comme dans ce cas-ci. Ça montre aussi que tout le monde ne peut pas exister dans l’espace public de la même manière. On laisse des blancs être violents, s’attaquer au fondement même de la démocratie, le corps policier les soutient même dans leurs actions, certains prennent des selfies avec les émeutiers, peu de gens sont arrêtés, mais on sort les boucliers, les casques et les gaz lacrymogènes quand des personnes noires manifestent pour l’égalité. »

L’Amérique se réveille avec une gueule de bois.

La journée du 6 janvier 2021 n’est pas seulement marquée par les émeutes menées par des personnes soutenant les propos mensongers de Trump. Le matin même, Raphaël Warnock devenait le premier sénateur noir de la Georgie, un état très fortement marqué par son passé esclavagiste et ségrégationniste.

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« Acteuellement, les populations noires américaines prennent leurs responsabilités quant à la promotion de la démocratie. Je pense à Stacey Abrams, qui travaille à la promotion et l’augmentation du vote. Selon moi, c’est l’Amérique blanche qui doit faire un examen de conscience et avoir une conversation avec elle-même, sans ajouter un fardeau additionnel aux personnes noires », mentionne Fabrice Vil.

« En une même journée, on a assisté à deux événements opposés, qui vont passer à l’histoire. »

En effet, selon l’entrepreneur social, la journée de mercredi était historique. « C’est comme si jeudi, l’Amérique blanche s’était réveillée avec une gueule de bois, en constatant l’affront à la démocratie que constituent les émeutes du Capitole. Par contre, les personnes noires et les populations marginalisées savent, et subissent, depuis longtemps que le gouvernement Trump, c’est n’importe quoi. » Fabrice Vil va plus loin. « En une même journée, on a assisté à deux événements opposés, qui vont passer à l’histoire. Le matin, on a des personnes noires qui s’organisent et font tout pour promouvoir la démocratie. Et quelques heures plus tard, la suprématie blanche fait la démonstration de ses problèmes, détruit la démocratie, en étant même appuyée par l’État. C’est complètement fascinant. »

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Et maintenant?

Au moment d’écrire ces lignes, Trump a reconnu la victoire de Joe Biden, sans toutefois la concéder. En guise de réprimande, Mark Zuckerberg a décidé de bannir Donald Trump de Facebook et Instagram pour une durée indéterminée. Comme quoi, les réseaux sociaux ont joué un rôle énorme dans la propagande et l’incitation à la haine promue par le président sortant.

« Il y a des gens qui ont envahi le Capitole qui pensent réellement que les élections ont été truquées. »

« Plusieurs années de communications à travers les réseaux sociaux, pas réglementées de manière assez robuste, ont généré la possibilité pour des personnes de se construire un univers dans lequel elles croient des choses non fondées, et qui les poussent à avoir des comportements pareils, croit Fabrice Vil. Il y a des gens qui ont envahi le Capitole qui pensent réellement que les élections ont été truquées. La propagande et l’incitation à la haine sur le web, est un grave problème, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Et malheureusement, ce sont les populations marginalisées qui en payent le prix. Si nos gouvernements ne font rien, qu’ils n’ont pas de stratégie claire, on va être aux prises avec ce genre de problème aux 4 coins du monde. »

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Mercredi, le commentateur de CNN et activiste Van Jones a affirmé qu’il souhaitait percevoir les événements du Capitole comme la fin de quelque chose, et non comme un début, une position avec laquelle Marie-Livia Beaugé est en accord. « J’ai espoir. Je crois, j’espère de tout cœur que c’est la fin d’une époque et non le début d’une autre. Je souhaite qu’on s’en aille vers une nouvelle ère, autant aux États-Unis qu’ailleurs. »