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Elles ont fait un bébé toutes seules

Qui a dit qu’il fallait être deux pour faire un enfant ?

Par
Pauline Allione
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« J’avais bientôt 35 ans, et j’ai réalisé qu’il n’y aurait finalement jamais de “bon” moment pour avoir un enfant. Je n’allais pas attendre l’homme de ma vie, alors je me suis lancée. » Sabrina, 38 ans, vit à Montréal avec son petit garçon, qu’elle a eu grâce à la procréation médicalement assistée deux ans plus tôt. Au Canada, la PMA est accessible à toutes les femmes, peu importe leur orientation sexuelle et leur situation conjugale, contrairement à la France, où elle est interdite aux femmes seules et aux couples de lesbiennes. Ce qui complique pas mal le projet de celles qui, par désir pressant d’enfant, par amour du célibat ou parce que l’horloge biologique tourne, souhaitent fonder une famille en solo.

« Mon désir d’enfant était plus important que celui d’être en couple »

Ce fut le cas d’Alexandra, déjà maman d’un ado de 17 ans, et qui désirait un deuxième enfant. « Après quelques échecs amoureux, je me suis rendu compte que j’étais heureuse, célibataire. Mon désir d’enfant était plus important que celui d’être en couple », explique-t-elle. Sa décision prise, la Bordelaise commence à économiser pour se payer un séjour dans une clinique en Espagne, avec option PMA.

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Au Québec, Lucie* a pris son premier rendez-vous en clinique de fertilité à 26 ans. « Je suis très indépendante et je ne voulais pas attendre quelqu’un et passer à côté du plus grand désir de ma vie. La famille nucléaire n’est plus ce qu’elle était. Une famille, c’est d’abord des personnes qui s’aiment, peu importe que les parents soient hétéros, homos ou solo. »

Deux ans et neuf inséminations infructueuses plus tard, la Québécoise finit par trouver un donneur via une petite annonce sur le Web et cette fois, le test de grossesse est positif. « J’allais le jeter sans même le vérifier quand j’ai cru apercevoir une deuxième barre. J’ai dû refaire une dizaine de tests dans la semaine pour que ça soit plus concret, je n’y croyais pas ».

Alexandra a été un peu plus chanceuse : trois inséminations “seulement” auront suffi, et la famille s’est agrandie il y a cinq mois pour accueillir un petit garçon. « C’est encore mieux que ce que j’imaginais, je suis accompagnée de mes copines, bien entourée médicalement… Je suis sur un petit nuage depuis plus d’un an. »

PRENDRE LES DÉCISIONS SEULE

Ça, c’est quand tout se passe bien. Du côté de Sabrina, les débuts ressemblaient plus à un nuage orageux qu’à un nuage de ouate. Secouée par les nausées de la grossesse, la future maman a connu de sérieuses complications dès la fin du second trimestre. « J’avais de tels maux de ventre que je dormais dans ma baignoire. Les médecins m’ont finalement diagnostiquée un syndrome de HELLP… Pour faire simple, mon foie pouvait exploser et me tuer en quelques minutes. »

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Sabrina accouche une dizaine de semaines avant le terme de sa grossesse, et son bébé passe deux mois en soins intensifs. « Je voyais les autres parents qui venaient à deux mais moi, lorsqu’il y avait une décision à prendre, je la prenais seule », se souvient la maman. Elle est bien entourée d’ami·e·s, mais cela ne remplace pas la présence et l’implication d’un·e conjoint·e selon ses dires. C’est donc seule qu’elle gère tout, de A à Z. « Je n’avais pas le temps de me poser de questions, je fonctionnais en pilote automatique : je me levais, j’allais à l’hôpital, je rentrais le soir ».

Tous deux rentrent à la maison sains et saufs et finalement, Sabrina trouve des avantages à la gestion de crise en solo. « Je n’ai pas à dealer avec quelqu’un d’autre, à faire des concessions, à m’énerver parce que les tâches ne sont pas réparties équitablement… Ce qui est paradoxal parce que les nuits c’est toujours moi qui me lève, personne ne va le faire à ma place ». Plus de boulot mais moins de prises de tête.

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LA FAMILLE AUTREMENT

Sept ans après avoir eu son fils seule, Corinne, 49 ans, connaît bien la charge des responsabilités à assumer.

« Être maman solo, c’est anticiper toutes les situations et réfléchir à son testament avant même d’accoucher »

« J’ai constamment besoin d’être organisée et de penser à un plan A, un plan B, un plan C… Être maman solo, c’est anticiper toutes les situations et réfléchir à son testament avant même d’accoucher : qui va s’en occuper s’il nous arrive quelque chose ? » Malgré une charge mentale plus importante et la nécessité d’une organisation millimétrée, Corinne ne regrette pas de s’être écartée du modèle de la famille nucléaire. « Le temps jouait contre moi mais j’ai finalement pu être maman. C’est la continuation de l’émancipation féminine ».

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Aujourd’hui, son fils est en relation avec ses demi-frères et sœurs nés du même donneur, dispatchés un peu partout à travers le globe – Islande, Australie, Allemagne, États-Unis – et à 7 ans, il apprend déjà l’anglais, l’espagnol et l’allemand pour échanger avec eux. « À l’école, il a dû présenter sa famille, donc sa maman, sa grand-mère, ses oncles, ses chats et chien, ses demi-frères et sœurs… C’est une famille élargie, dans laquelle tout le monde ne vit pas forcément ensemble », raconte simplement la maman.

SOLO EN SORORITÉ

Pour cette Française immigrée au Canada, le retard de son pays natal sur la PMA pour toutes est incompréhensible. « Au XXIème siècle, une femme qui souhaite disposer de son corps et avoir des enfants par elle-même ne peut pas faire appel à la science ? C’est ridicule. À la rigueur, il faudrait qu’elle aille coucher avec un mec un soir et qu’elle croise les doigts pour tomber enceinte ».

En février dernier, le Sénat – dont la chambre haute est composée aux deux tiers d’hommes d’un âge avancé – rejetait l’extension de la PMA à toutes les femmes, considérant que les femmes ne sont pas prêtes à se passer des hommes.

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Au Québec, Lucie, désormais à 22 semaines de grossesse, est loin d’être inquiète sur ce point. « Ma famille n’est pas loin et le réseau que je me suis créé au cours des années est présent, nous sommes une douzaine de femmes enceintes solo dans la région. Mes joies, mes doutes et mes journées compliquées, je les partage avec d’autres filles qui vivent la même chose. On est solo, mais on n’est pas vraiment seules ».

* Prénom d’emprunt.