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Elles ont fait des bébés toutes seules

On a discuté avec Emmanuelle Friedmann et Sophie Ruffieux, mamans d'une magnifique BD sur la PMA.

Par
Daisy Le Corre
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La procréation médicalement assistée (PMA), la parentalité solo, les violences gynécologiques, etc. Avec leur BD intitulée Elle a fait un bébé toute seule (comme la chanson de Goldman, oui ; il a d’ailleurs donné son accord pour le titre du livre), Emmanuelle Friedmann, l’écrivaine et Sophie Ruffieux, la dessinatrice, s’emparent de sujets sociétaux brûlants. Et ça fait du bien.

Le pitch ? Leah, scénariste parisienne célibataire de 36 ans, rêve de devenir maman. Mais nous sommes en 2014, et à cette époque (pas si lointaine), la PMA n’est pas encore autorisée pour les femmes célibataires ni les lesbiennes. Il faudra attendre 2021 pour que l’accès leur soit finalement autorisé par décret.

La BD retrace donc le réel parcours de combattante de Leah qui va faire tout ce qui est en son pouvoir pour réaliser son rêve de devenir mère. Des sites de rencontres aux rendez-vous médicaux en passant par les petites remarques agaçantes du quotidien et les violences médicales auxquelles elle ne peut échapper : tout y passe. Ça sent le vécu, et pour cause : les autrices ont toutes les deux traversé des parcours de PMA.

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« Quand j’ai eu mes jumeaux en solo, j’ai eu envie de raconter mon histoire mais je n’avais que des images qui me venaient en tête… Il fallait vraiment que je trouve une dessinatrice pour m’aider dans ce projet. Je suis tombée sur Sophie, en fouillant un peu. Et le destin s’est chargé du reste ! », confie Emmanuelle qui considère encore leur rencontre comme un hasard nécessaire. « Quand Emmanuelle m’a contactée, j’étais enceinte de 2 mois, ma PMA avait enfin fonctionné. Et ça me semblait être comme un signe, je voulais aussi raconter ce parcours semé d’embûches. C’est comme si les étoiles s’étaient alignées ! C’était fou. »

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Si leur roman graphique n’est pas autobiographique, elles y ont évidemment mis certaines de leurs expériences personnelles et celles d’autres personnes. « Mais je peux le dire : l’anecdote où on voit le personnage se piquer dans les toilettes de l’aéroport, c’est moi ! (rires) », lance Sophie. « Et la maltraitance médicale, c’est moi ! (rire jaune) », ajoute Emmanuelle qui anime aujourd’hui un groupe de mamans solos de jumeaux.

« J’avais lu quelques bouquins sur la PMA, sur le tourisme reproductif mais c’était très plombant, je ne m’y reconnaissais pas trop et je ne trouvais rien qui me parlait, rien de vivant ni de drôle. J’ai écrit le livre que j’aurais aimé lire en pleine PMA », explique Emmanuelle qui, au début de son parcours avait l’étrange sensation d’être hors la loi. « Je n’osais pas forcément dire que j’étais enceinte alors que c’était super important ce que j’étais en train de vivre. Au final, j’étais juste une célibataire qui voulait des enfants… mais c’était compliqué à assumer. Je me souviens de certains médecins qui me rassuraient en me disant qu’ils n’étaient pas de la police (rires) ».

« “Où est votre conjoint ?”. Cette question me rendait ouf, et ça me stressait quand j’allais pour faire des échos en France. »

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Même ressenti du côté de Sophie. « À l’époque, je n’osais pas dire que j’étais dans un parcours PMA en solo en Espagne, j’avais l’impression de faire un truc illégal ! C’était super dur. » Sans parler des propos ou questions déplacés de parts et d’autres. « Je pense que le pire c’était : “Où est votre conjoint ?”. Cette question me rendait ouf, et ça me stressait quand j’allais pour faire des échos en France. » Comme si son pays natal avait 1000 ans de retard comparé à l’Espagne où elle commençait à avoir ses repères (sans père ! pardon ;) ndlr).

« À la pharmacie discount de ma ville (ndlr : discount parce qu’il faut quand même compter entre 1000 et 1500 euros de traitement pour une PMA, donc il n’y a pas de petites économies dans ces cas-là), ils m’ont filé des boîtes de piqûres à préparer moi-même avec des petites fioles à mélanger, etc. Je croyais rêver ! Alors qu’on était censées avoir un stylo pré-chargé prêt à utiliser… En fait, en Espagne, ça se passait comme ça mais pas en France. C’était deux mondes parallèles… J’étais en panique. Le traitement en Espagne n’est pas le même qu’en France : là-bas, ils ont beaucoup plus d’expérience puisqu’ils en font depuis 25/30 ans. Ça me rendait dingue ce genre de situations… », raconte la dessinatrice qui se sentait seule mais qui a tenu bon.

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D’après Emmanuelle, dont les jumeaux auront bientôt 8 ans, la loi est effectivement passée mais dans les faits, cela reste très compliqué de se lancer en PMA en France. « Il y a tellement d’attentes que les femmes sont quand même obligées de partir à l’étranger. Ils n’avaient pas prévu qu’il y aurait autant de demandes du jour au lendemain. Donc il n’y a pas assez de donneurs ni de donneuses, pas assez de médecins, etc. Il n’y a pas les infrastructures nécessaires pour recevoir autant de personnes. Et parfois, on ne peut pas attendre ! Quand on est âgées ou infertiles, c’est compliqué… ».

L’Espagne, la Belgique et parfois même le Danemark, l’Angleterre ou la Tchéquie restent donc des destinations prisées pour les personnes qui veulent entamer un parcours de PMA sans trop attendre.

« Il y a aussi des centres qui ne sont pas à même de nous aider… ou qui ne veulent pas ! Il faut le dire », lancent les autrices qui font aujourd’hui face à de nouveaux défis en tant que parents solos. « Je trouve que ça reste compliqué notre profil vis à vis de la société en général. Évidemment, il y a quand même des choses qui se sont démocratisées mais il y a encore du boulot », estime Emmanuelle qui considère que l’école n’est pas forcément l’endroit où les gens sont les plus ouverts d’esprits, contrairement à ce qu’on pourrait croire. « Il arrive d’avoir certains enseignants assez obtus qui imaginent que nos enfants sont plus dynamiques parce qu’ils manquent d’un papa, ou autre. Ou qui s’adressent systématiquement à “papa et maman” alors qu’ils savent pertinemment qu’il n’y a que “maman” dans notre cas. C’est usant comme réflexions et ça met hyper mal à l’aise ! Sans parler de certains parents pas très ouverts non plus… Quand il y a un souci, on nous renvoie toute suite à notre situation familiale. C’est presque un réflexe ».

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Sophie, quant à elle, a l’habitude de dire qu’il n’y a pas de papa dans sa structure familiale et se prépare inconsciemment à tous commentaires éventuels. « On ne me pose pas trop de questions, en général. J’ai eu des petites réflexions pourries au début, du genre : “Peut-être que ton enfant a fait telle bêtise ou tel truc parce qu’il manque d’un papa dans sa vie”. Mais je coupe court rapidement ! (rires) ».

« Avant les femmes allaient se faire avorter à l’étranger, aujourd’hui, elles vont à l’étranger pour faire des enfants… »

Sur le sujet, Emmanuelle estime qu’elle ne doit rien à personne, sauf à ses enfants. « Je n’ai pas à expliquer aux gens et à la société comment j’ai fait mes enfants ! Ça ne regarde que moi et mes fils. Les gens s’imaginent ce qu’ils veulent. On ne devrait pas avoir à s’expliquer », confie l’écrivaine qui prend le temps d’expliquer à ses jumeaux que toutes les familles sont différentes. « Il peut y avoir un papa, une maman, un papa et une maman, 2 papas ou 2 mamans, etc. Ça les aide et les rassure, je pense, comme moi d’ailleurs ! C’est important d’avoir un sentiment d’appartenance. »

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Leurs conseils à toutes celles qui s’apprêtent à franchir le cap de la PMA : ne pas attendre, prendre les devants, faire congeler ses ovocytes, se rapprocher d’associations ou de groupes (sur Facebook) de femmes qui l’ont fait. Entraide et sororité sont les mots d’ordres dans ce parcours de combattantes.

« Il y a quelques années, et encore aujourd’hui, les femmes se battent pour avorter. Maintenant, elles se battent aussi pour avoir des enfants. Ça reste un combat de femmes. Avant les femmes allaient se faire avorter à l’étranger, aujourd’hui, elles vont à l’étranger pour faire des enfants… Le corps des femmes est un champ de batailles », confie Emmanuelle, fière d’avoir pu livrer le récit d’un combat sociétal d’aujourd’hui. « Notre BD est un témoignage important, mais il en faudrait plein d’autres comme ça ! »

Rendez-vous en 2024 (environ) pour la suite de la BD : le destin d’une femme dont le mari décide de la quitter avec 2 enfants en bas âges. « Ça va être l’histoire d’une maman solo hyper touchante… et assez universelle, hélas ». Hâte de lire ça.

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