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Elles écrivent de la littérature érotique pour arrondir les fins de mois

Est-ce que c’est payant, écrire des récits coquins ? On a posé la question à quelques auteur.e.s.

Par
Marie-Ève Martel
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La littérature érotique fait son retour doucement, mais surement. Si bien que les auteur.e.s peuvent en tirer une coquette somme, à condition de savoir où et comment bien se vendre.

Maison d’édition, autopublication, réseaux sociaux : les moyens sont variés pour partager ses récits coquins avec le reste du monde, et essayer d’en tirer quelques billets au passage.

La littérature érotique décomplexée

C’est la popularité fulgurante de la trilogie Cinquante nuances de Grey, puis l’adaptation de la série Les Chroniques de Bridgerton, qui ont insufflé un regain de d’intérêt envers la littérature coquine.

Auteure éditée au Québec et en France, Sara Agnès L. attribue elle aussi à la trilogie de E.L. James l’essor de nombreuses œuvres de fiction érotique francophones. « Avant, ce n’était que des traductions, note-t-elle. On voit que plusieurs maisons élargissent leur ligne éditoriale, qu’on démarre des séries érotiques. »

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La spécialiste de la commercialisation du livre Séléna Bernard est du même avis. « Ça a donné un courant littéraire nommé romantica (le mariage de “romance” et “erotica”) et des codes qui y sont propres, dit-elle. Il suffit de penser aux menottes, aux colliers de perles… »

Un milieu typiquement féminin

Selon Bernard, si l’univers littéraire en général se situe en zone paritaire, la littérature romantique et érotique en est l’exception : 98% des plumes qui signent ces œuvres appartiennent à des femmes.

Parmi elles, l’auteure Kim Messier a publié la série Adultes consentants, qui s’est vendue à plus de 10 000 exemplaires.

À son avis, il est plus payant d’être publié au sein d’une maison d’édition réputée, qu’elle soit spécialisée ou non dans la littérature érotique, qui met ensuite plusieurs ressources à contribution pour faire la promotion des livres. Messier, par exemple, est publiée aux Éditions de Mortagne ; les Éditions ADA ont aussi récemment lancé une collection de titres érotiques avec plusieurs auteur.e.s.

Kim Messier est l’auteure de la série Adultes consentants aux Éditions de Mortagne – Photo fournie
Kim Messier est l’auteure de la série Adultes consentants aux Éditions de Mortagne – Photo fournie
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Mais encore faut-il être accueilli par une maison d’édition. Ça n’a pas été le cas de Charlie-Kate Gariépy. « Les maisons ne voulaient pas aller ‘’là’’ », dit-elle, faisant référence à son personnage principal et ses intrigues qui détonnent des récits plus… conventionnels.

L’auteure Charlie-Kate Gariépy
L’auteure Charlie-Kate Gariépy

En choisissant la voie de l’autoédition, la jeune auteure, qui donne aussi dans le livre pour enfants, affirme « faire ses frais ». Bref, elle réussit à gagner ce qu’elle débourse pour la révision, l’infographie, l’illustration, l’impression et la distribution de ses ouvrages, en plus de sa participation à des salons du livre et la publicité pour mousser ses produits. En moyenne, cela équivaut à une somme d’environ 2 000 euros annuellement, calcule-t-elle.

Le meilleur des deux mondes

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Angel Trudel s’est lancée dans la littérature érotique en 2018. Six ans plus tard, elle compte sept romans à son actif, vendus aussi bien par les Éditions ÉdiLigne que sur Amazon, ce qui lui permet de jouir du meilleur des deux mondes.

« Oui, le créneau vend bien en ce moment, mais il faut se souvenir qu’un auteur publié par une maison d’édition touche 10% de ses ventes en redevance. Sur Amazon, je peux rejoindre un plus grand bassin de lecteurs, mais il n’est pas possible de publiciser mes romans comme étant érotiques. »

Elle rappelle pourtant que la plupart des titres de la catégorie « Romance » comprennent des passages érotiques.

Pour tirer profit de ses récits érotiques, Angel Trudel publie à la fois en ligne et aux Éditions ÉdiLigne. – Photo fournie
Pour tirer profit de ses récits érotiques, Angel Trudel publie à la fois en ligne et aux Éditions ÉdiLigne. – Photo fournie
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Pour sa part, Sara Agnès L. a commencé par publier quelques chapitres sur un forum juste pour le plaisir et pour obtenir une rétroaction de lecteur.rice.s. Finalement, la communauté virtuelle a adoré, si bien que l’auteure, qui utilise un nom de plume, a décidé d’autoéditer un premier roman. Depuis, elle publie également avec une maison d’édition, parfois sous son pseudonyme et parfois sous son véritable nom.

L’auteure québécoise fait cependant figure d’exception : ses fictions érotiques, publiées en France et Québec, ne sont pas son gagne-pain principal, mais elle affirme en avoir tiré 45 000 euros en autoédition sur dix ans. En maison d’édition, « selon les années », elle tire de ses écrits un revenu brut allant de 15 000 à 60 000 euros. « Mais quand l’impôt passe dessus, il ne reste pas beaucoup d’argent à la fin ! », lâche-t-elle.

Une offre élargie

Alors que peu de personnes se vantaient de lire les romans Harlequin autrefois jugés « kitschs », fréquenter le rayon Romance dans une librairie n’est aujourd’hui plus tabou, soutient le libraire Anthony Ozorai.

« Il n’y a plus de gêne du tout, constate-t-il. Les clients viennent nous voir et nous demandent si on a tel ou tel titre. Je dirais même que notre clientèle est assez friande de littérature de ce genre. »

Le libraire Anthony Ozorai entouré de ses collègues à la Librairie Poirier. – Photo fournie
Le libraire Anthony Ozorai entouré de ses collègues à la Librairie Poirier. – Photo fournie
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En fait, la demande est telle qu’à la Librairie Poirier où Ozorai travaille depuis sept ans, l’espace dédié à la littérature romantique et érotique a gonflé, passant de « trois tablettes » à « deux bibliothèques complètes et un bloc de nouveautés » bien en vue.

Si la clientèle cible de la littérature romantique et érotique demeure les femmes, l’offre s’est cependant élargie depuis quelques années pour inclure des lecteurs adolescents ou jeunes adultes, de même qu’issus de la communauté LGBTQ+.

« Avant, c’étaient des trucs très hétéros alors que maintenant, il y a une diversité sexuelle et de genre, relate Anthony Ozorai. Autant les plus âgés lisaient du Harlequin, beaucoup de jeunes aujourd’hui découvrent ce style d’écrits sur les réseaux sociaux, comme Instagram et TikTok. »

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Charlie-Kate Gariépy dit constater une certaine effervescence auprès de la communauté queer autour de son premier tome grâce aux réseaux sociaux. Son héroïne, une travailleuse du sexe à l’esprit très ouvert, rencontre des personnes de tous les âges et de tous les horizons. « Parce que le sexe, ça appartient à tout le monde : trans, non-binaires, handicapés, personnes âgées… », énumère-t-elle.

Grâce aux réseaux sociaux, Charlie-Kate Gariépy connaît un certain succès avec ses livres érotiques, dont son premier opus, Journal d’une traînée.- Photos fournies
Grâce aux réseaux sociaux, Charlie-Kate Gariépy connaît un certain succès avec ses livres érotiques, dont son premier opus, Journal d’une traînée.- Photos fournies

Séléna Bernard reconnaît aussi l’apport important des réseaux sociaux pour l’explosion du genre. « Toutes ces femmes qui aimaient la littérature romantique ou érotique ont trouvé sur les réseaux une plateforme grâce à laquelle elles peuvent assumer leurs goûts, découvrir et recommander de nouveaux titres », souligne-t-elle.

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Les amateurs de littérature érotique ne semblent d’ailleurs plus prêts à retourner dans le placard. « Les femmes adorent en lire, car ça stimule directement leur imagination, leurs fantasmes. Et on le sait, chez elles, l’excitation passe principalement par la tête, avant même les sensations physiques », note pour sa part l’auteure Kim Messier.