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Écologie populaire : les banlieues à bout de souffle

« On veut des légumes, pas du bitume !». Reportage en Seine-Saint-Denis.

Par
Christiane Oyewo
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En périphérie de Paris en Seine-Saint-Denis, les classes populaires délaissées sur le plan environnemental veulent faire entendre leurs voix et faire bouger les choses. Reportage.

« La qualité de l’air en Île-de-France n’est pas satisfaisante. » C’est en tout cas ce que relate Pierre Pernot d’Airparif, observatoire chargé de surveiller et informer sur la qualité de l’air en Île-de-France. L’exposition à des niveaux de pollution en ozone et taux de particules fines des Franciliens dépasse les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé. Plus encore suite aux nouvelles lignes directives de l’OMS relatives à la qualité de l’air du 22 septembre dernier. « Les taux importants se trouvent près des grands axes routiers. Et avec l’échangeur autoroutier à Bagnolet, les niveaux de pollution sont bien évidemment très importants », constate l’ingénieur de formation. Pour lui, la particularité de cet échangeur en Seine-Saint-Denis est son « étendue spatiale » ainsi que son « impact direct – et quotidien – au-delà de 400 mètres autour ».

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« Rien ne changera si nous ne tapons pas du poing sur la table collectivement ! »

« Le quotidien des classes populaires, notamment les noir-e-s, les arabes, les descendant-e-s de l’immigration postcoloniale, c’est un quotidien que nous pouvons lire sur une grille écologiste. Et ce sont des luttes que nous devons mener », me confie Fatima Ouassak. Consultante en politique, elle est avant tout militante politique, l’une des fondatrices du syndicat des parents des quartiers populaires Front de Mères, et co-créatrice de Verdragon, la première maison de l’écologie populaire en France. Mener la lutte dans les quartiers populaires est d’ailleurs la raison pour laquelle Verdragon a ouvert ses portes en juin dernier à Bagnolet – au 14 rue de l’Épine Prolongée. Un lieu issu du mouvement citoyen pour le climat Alternatiba que l’on ne présente plus, et Front de Mères. Pour la militante, « rien ne changera si nous ne tapons pas du poing sur la table collectivement et politiquement. Je veux que quand une décision soit prise, on puisse participer à cette démocratie qui se veut participative et où les classes populaires sont exclues. Qu’on puisse dire “c’est ce qu’il y a de mieux pour nous et nos enfants, notre santé, et de notre point de vue de quartier populaire, de classe populaire…” », complète Fatima Ouassak.

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Un avis que partage Gabriel Mazzolini, l’un des coordinateurs de Verdragon et membre d’Alternatiba. Selon lui, défendre l’écologie en banlieue et dans les quartiers populaires n’est pas une nouveauté. « Dans les quartiers populaires, on s’occupe d’écologie. Soit on refuse de le voir, soit on fait semblant que ça n’existe pas, soit on ne fait pas l’effort d’aller le voir. Mais il y a une énorme mobilisation dans les quartiers par rapport à la question écologique. Elle est juste différente de celle qu’on peut voir ailleurs », lance-t-il. Il fait ici référence à la lutte de Fatima Ouassak pour une alternative végétarienne dans les cantines scolaires de Bagnolet. Un combat débuté en 2016 parce que maman et végétarienne, mais surtout, pour la santé et les papilles des enfants (pour beaucoup, la viande et plus généralement les repas des cantines, gérés par l’industrie agroalimentaire sont de mauvaise qualité). Après de nombreux refus la renvoyant à ses origines (« une musulmane ne peut pas être végétarienne »), comme elle me l’expliquait avec agacement et l’explique dans ce podcast de la radio Nova, elle et son association ont obtenu gain de cause récemment.

« Aucun mur phonique pour limiter la pollution sonore ou la pollution directe, rien ! »

Pour Gabriel Mazzolini cela va plus loin. « Il y a une certaine injustice climatique, on subit tous les changements climatiques, mais nous ne sommes pas tous égaux. Les plus fortunés ou les multinationales s’en sortiront toujours, et on ne peut pas attendre les mains tendues. C’est à nous de nous organiser, nous les gens du bas pour reprendre en main notre destin ! ». Lorsque je rencontre Fatima et Gabriel pour la première fois, nous sommes en pleine action autour de l’échangeur autoroutier A3 qui traverse Bagnolet. Chaque jour, environ 300 000 voitures passent sur ce nœud autoroutier qui est l’un des échangeurs les plus fréquentés d’Europe. « Pourtant, il n’y a aucune protection, aucun mur phonique pour limiter la pollution sonore ou la pollution directe, rien », dit avec désolation le militant.

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La mobilisation intitulée « Pendant que Paris Respire, Bagnolet s’étouffe » a été organisée en même temps qu’une journée sans voiture à Paris, fruit d’années de lutte des organisations écologistes et de cyclistes à Paris.

« C’est une bonne chose, il a fallu faire pression pour obtenir des espaces piétons et moins de voitures », commente Gabriel avant de rapidement nuancer. « Il faut aussi être conscient du fait qu’on ne peut pas avoir juste Paris sans voiture avec une circulation réduite, sans qu’il n’y ait de répercussions sur les zones les plus proches. Donc concrètement, les banlieues populaires sont celles qui subissent les conséquences directes de ça », ajoute-t-il.

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L’objectif des actions comme celles-ci est de mobiliser, habitant-e-s, familles, parents d’élèves et centres sociaux autour de questions environnementales liées à la pollution atmosphérique. Pour Cécile de l’Association de Jeunes pour le Développement à Bagnolet (AJDB), cela est très concret. Lors d’un débat dans les locaux de Verdragon, elle décrit avec lassitude l’échangeur qui pollue terre, air et eau. « Avec l’asso, on fait du jardinage, de l’agriculture urbaine, et on est sur un parc qui donne pile sur l’autoroute A3. On est là tous les mercredis avec des enfants, et en fin de journée, on entend plus la pollution sonore avec toutes les voitures présentes que les oiseaux ». Maïder, militante présente est contrariée par autre chose : « Comment se fait-il qu’il y ait des immeubles très proches de l’échangeur, que les promoteurs aient encore des contrats et qu’ils puissent continuer à construire ? Il y a des normes, les chiffres de la pollution de l’air n’en respectent aucune et nous le savons ! Comment se fait-il qu’elles ne soient pas respectées ? ». En effet, il existe peu de leviers juridiques, malgré quelques avancées. Cet été par exemple, le Tribunal administratif de Paris a annulé le permis de construire du projet de quartier suspendu « Mille Arbres ». Il devait se situer au-dessus du périphérique entre Neuilly-sur-Seine et Porte Maillot. Le Tribunal a considéré qu’il pouvait porter atteinte à la santé publique, notamment dû au fait que la zone souffrait déjà d’un niveau de pollution de l’air élevé.

« Partir pour éviter de suffoquer »

Sans compter que bien souvent, les pollutions entraînent des problèmes d’anxiété et de santé pour les riverain-e-s. Martine habite près de l’échangeur et sa maison est devenue une source d’angoisse. « Quand j’ouvre mes fenêtres je respire mal, ça me fait stresser », nous dit-elle durant une journée de mobilisation. Pour Abdelramane, professeur enseignant certifié en physique chimie au collège, son état de santé s’est détérioré depuis qu’il est arrivé en Seine-Saint-Denis il y a environ 30 ans. Ancien athlète, il n’était pas un patient régulier chez les médecins. Mais sa situation est bien différente aujourd’hui. « Mon allergie durant une courte période de l’année s’est transformée en asthme sévère avec des crises à répétition, à des problèmes respiratoires en permanence nécessitant la prise de médicaments », explique le quinquagénaire. Il fait donc des radios et va régulièrement voir un pneumologue qui lui a confirmé que son état était clairement dû à la pollution. Et il ne va pas dire le contraire, car en plus du bruit et de sa santé, il voit matériellement la pollution. Tous les jours, de la suinte noire apparaît le long de ses fenêtres : « j’ai beau essuyer tous les jours, mais tous les jours ça revient ». Les particules et le pollen aggravent l’état de ses poumons au point de devoir être hospitalisé. « J’ai failli mourir à plusieurs reprises durant des pics de pollution. Le taux d’oxygénation dans mon sang était si bas, qu’on a dû m’amener à l’hôpital deux fois et me mettre sous oxygène malgré la Ventoline », m’explique-t-il. S’il se soigne, il a trouvé sa bouée d’oxygène : il essaye de partir quelques week-ends par mois dans des lieux plus verts et un peu moins pollués « pour éviter de suffoquer ».

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« Réfléchir les parcs comme des petites forêts urbaines »

Léonard, paysagiste et co-président de l’association les Serres-Volantes n’en pense pas moins. Selon lui, il faudrait créer des nouveaux espaces verts, ou tout simplement, que ceux qui existent actuellement soient vraiment bien traités. « Pas simplement un gazon d’agrément héritage des réflexions des années 60-70, mais vraiment réfléchir les parcs comme des petites forêts urbaines pour rafraîchir la ville et dépolluer l’air », argumente-t-il. Il explique ensuite qu’il faut arrêter de penser que « ça a été fait comme ça, donc on le laisse comme ça ».

Après différents débats, rencontres et entretiens téléphoniques, je décide de me rendre aux Jardins Ouvriers Des Vertus d’Aubervilliers que les « jadistes » (de JAD, Jardins à défendre) veulent préserver (comme retranscrit ici et), car des milliers de mètres carrés de jardins vont disparaître et laisser place une piscine olympique en vue des Jeux Olympiques de Paris 2024.

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En cherchant l’une des entrées, je tombe nez à nez sur Rose-Maie en train de se garer. Au fil de la discussion, elle propose de me laisser entrer dans les jardins et de me montrer son petit bout de parcelle qu’elle occupe depuis 8 ans. « Je vous ouvre, mais comme je dois refermer derrière moi, il faudra trouver quelqu’un d’autre pour vous faire sortir si vous faites un tour des Jardins », me dit-elle. Travaillant dans la production florale, elle cultive des fleurs, mais aussi des fruits, agrumes et des légumes. Dans sa parcelle, aucun produit chimique n’est autorisé, Rose-Maie n’utilise que du bio, « c’est mieux », précise-t-elle. Quand j’évoque la destruction des parcelles pour les infrastructures des JO, Rose-Maie répond que « ce n’est pas intéressant ». Elle ne se définit pas comme une militante, mais elle a son avis sur la question : « Si on détruit tout, on détruit pour les abeilles, les insectes, les animaux, pour la culture, pour beaucoup de choses… Et notamment le lien social qu’il y a ici dans les Jardins. Il y a beaucoup de choses qui vont être détruites, pour l’humain et pour les animaux, c’est ça qu’on n’arrive pas à comprendre ! » Pour Fatima Ouassak, les pouvoirs publics et les choix politiques « ne sont pas en faveur de la classe populaire », et nous pouvons l’illustrer. Lorsqu’elle évoque cela, c’est tout d’abord l’échangeur qu’elle a en tête, même si cela vaut également pour les Jardins d’Aubervilliers.

« Qu’on arrête de dépenser de l’argent dans des actions qui sont anti-écolos »

Comme Fatima, Gabriel ou encore Maïder, Wandrille Jumeaux, militant écologiste, élu à Bagnolet et secrétaire général du groupe Écologiste solidarité et territoires au Sénat, voit le problème – et les possibles solutions – d’un point de vue politique. Bagnolet fait partie de la structure intercommunale « Est Ensemble – Grand Paris » qui regroupe 9 communes de Seine-Saint-Denis, dont Bobigny, Bondy, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin ou encore Romainville, et depuis septembre 2021, une Convention citoyenne locale pour le climat regroupant 100 personnes tirées au sort a débuté. L’objectif est de réfléchir à des mesures concrètes pour le territoire permettant de lutter contre le dérèglement climatique (sans les élus, mais en étant accompagné d’expert-e-s et intervenant-e-s neutres).

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Durant 6 mois, la Convention va travailler sur cinq thématiques : se loger, se nourrir et consommer, se déplacer, travailler et produire, et s’engager pour la transition, avec la possibilité de proposer de nouvelles thématiques. Puis au premier trimestre 2022, un avis citoyen sera rendu au Conseil territorial. Wandrille Jumeaux ne se fait cependant pas trop d’illusion. S’il incite les habitant-e-s à identifier des membres de la Convention afin de leur faire remonter des problématiques locales, il sait déjà qu’il y aura un obstacle majeur à la réalisation des actions et sur lequel il faut travailler : l’argent public. Il le dit lui-même : « L’argent public pour entamer cette transition écologique, il n’y en a pas assez, au niveau national comme au niveau local. Il faudrait qu’on arrête de déverser des millions dans des choses qui polluent ! Quand on construit, il faut construire malin ! Quand on bétonne, il faut bétonner malin ! Il faut vraiment avoir une vision au long terme et qu’on arrête de dépenser de l’argent dans des actions qui sont anti-écolos ! », soutient l’élu. Mais le béton, les habitant-e-s n’en veulent pas. Le week-end dernier, différentes marches contre la bétonisation de l’Île-de-France ont eu lieu, je pouvais entendre les manifestants scander : « On veut des légumes, pas du bitume ! ».

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Une marche parmi tant d’autres actions en faveur de l’environnement qui se déroulent en Seine-Saint-Denis, loin des clichés sur les banlieues. « Le fait qu’on respire moins bien ici par rapport à ailleurs alors qu’on a des poumons comme tout le monde, qu’on est des êtres humains comme ailleurs, nos enfants sont des êtres humains… Il n’y a pas de raison que nos enfants respirent plus mal que les autres », pouvait-on entendre dans les locaux de Verdragon. Une réalité exprimée bien avant le récent rapport de l’UNICEF qui estime qu’en France, plus de trois enfants sur quatre respirent un air pollué, et que les enfants pauvres (donc généralement issus des classes populaires), sont plus vulnérables à la pollution de l’air. En Seine-Saint-Denis, lorsqu’il n’y a pas d’actes physiques, ce sont les artistes qui s’expriment à travers le département.

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