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Écoculpabilité : entre jets privés et pailles en papier
Durant les pics de chaleur du mois de juillet, jamais n’a-t-on autant vu circuler sur les réseaux sociaux la fameuse phrase : « Ceci est l’été le plus froid du reste de ta vie. » Bien que celle-ci soit inspirée d’une célèbre réplique des Simpsons, le message transmis est bel et bien littéral.
En 2021, Paul Ullrich, professeur de modélisation climatique régionale et mondiale à l’Université de Californie à Davis, affirmait dans le New York Times que les températures que nous connaissons aujourd’hui seront aux antipodes de celles « que [nos] enfants vont connaître en moyenne ». Et hier à peine, l’humanité consommait les toutes dernières ressources annuelles de notre écosystème, inaugurant une période de « crédit écologique » d’une durée de 156 jours.
Autrement dit : la Terre se meurt et à ce stade, ralentir son décès est la seule action à notre portée.
Le poids colossal de cette mission nous fait souvent osciller entre deux émotions : l’anxiété d’une tâche presque impossible et la culpabilité de ne jamais en faire assez. C’est une profonde frustration qui, tout comme l’écrit la journaliste Michaela Barnett dans Behavioral Scientist, nous pousse à constamment nous répéter : « Je détruis la planète à chaque achat, chaque bouchée, chaque vol, chaque tote bag oublié et chaque paille qu’un serveur place sur ma table avant que je puisse refuser. »
Milliardaires en l’air
Hélas, ce sentiment d’impuissance face à l’inévitable ne semble pas préoccuper tout le monde de la même manière. Tandis que Michaela Barnett et son mari font leur toilette au vinaigre et se demandent s’il est bien éthique de faire un enfant en pleine crise écologique, l’entrepreneure milliardaire Kylie Jenner effectue des vols réguliers de trois à trente minutes en jet privé pour s’éviter les rues embouteillées. Un jet privé qui peut s’avérer « être cinq à quatorze fois plus polluant qu’un avion commercial », nous informe le média MIC.
« Pourquoi dois-je limiter ma consommation de viande et utiliser des pailles en papier alors que les 1 % pompent des tonnes de carbone dans l’atmosphère ? »
Le patron tout aussi milliardaire de Tesla, Elon Musk, semble également préférer les vols privés de cinq minutes à la simplicité d’un trajet en BIXI électrique. Si cette information a été rendue publique sur le compte Twitter ElonJets, qui traque minutieusement chacun des trajets aériens de Musk, une version de ce compte existe aussi à l’échelle de toutes les autres célébrités. Grâce à cela, il a pu être établi que la personnalité américaine la plus friande de ce mode de transport n’est autre que la chanteuse Taylor Swift, dont les émissions frôlent les 8300 tonnes pour 170 vols privés depuis janvier 2022. Elle dépasse ainsi le boxeur Floyd Mayweather et le rappeur Jay-Z.
Depuis ces révélations, l’agacement est à son comble sur les réseaux. « Pourquoi dois-je limiter ma consommation de viande et utiliser des pailles en papier alors que les 1 % pompent des tonnes de carbone dans l’atmosphère pour une excursion d’une journée à Palm Springs ? », s’emporte ainsi un internaute à propos de Kylie Jenner, renommée à présent « criminelle climatique » par la toile entière. « Une personne, un jet privé, Dieu sait combien d’émissions de CO2 juste pour éviter le trafic. Tandis que de l’autre côté, des gens perdent la vie et des biens. Comment est-ce même juste? », déplore à son tour une autre internaute.
Le sort de la Terre pèse le plus lourd sur les épaules des personnes qui l’ont dégradée le moins.
Comment, en effet, comparer ces deux réalités parallèles sans ressentir un seul pincement d’amertume ? Notre empreinte carbone annuelle tourne individuellement autour de huit et neuf tonnes. Idéalement, elle devrait descendre à 2,3 tonnes d’ici 2030, selon ce que préconisent les scientifiques. Or, prendre un jet privé une seule fois reviendrait à avoir « le même impact sur la planète que 100 Haïtien.ne.s en un an », selon The Earthbound Report. Cerise sur le cheesecake : ce seront ensuite ces mêmes personnes qui, plusieurs milliers de tonnes au compteur, écriront des livres sur Comment éviter un désastre climatique.
Détourner la responsabilité
Le sort de la Terre pèse le plus lourd sur les épaules des personnes qui l’ont dégradée le moins. Rien que cette réalisation peut pousser à cesser tout effort. Toutefois, elle peut aussi nous aider à accepter la part de responsabilité qui est la nôtre et à identifier puis rejeter celle qui nous a été injustement attribuée. Une démarche de discernement qui nous montre clairement qu’après les milliardaires en jets, ce sont les marques qui ne sont pas toutes blanches.
Anxiété et remords ne sont ni vivables ni aidants, surtout si le fardeau écologique que nous portons n’est majoritairement pas le nôtre.
Nombreuses entretiennent, voire marquettent, notre culpabilité écologique en nous proposant des produits toujours plus green pour ainsi donner l’impression « qu’elles font leur part pour l’environnement et que c’est maintenant au consommateur de faire le reste », tel que le relève la blogueuse mode Amma Aburam. En réalité, de nombreux produits présentés comme durables cachent bien des mensonges — et cela, le tout dernier scandale H&M nous l’enseigne. Il en va de même pour les « mi-vérités à propos du recyclage », comme les nomme Amma Aburam, consistant à commercialiser l’idée d’un plastique renouvelable plutôt que de s’attaquer à la racine même du problème : la surproduction.
Il revient donc de porter chacun.e sa croix : les entreprises adeptes du greenwashing, les célébrités cumulant à elles seules l’empreinte carbone de l’Amérique entière, les gouvernements qui se doivent d’agir face au danger imminent et nous, au milieu de cela, qui faisons de notre mieux au quotidien. Car c’est finalement la seule chose que nous puissions faire à notre échelle. Anxiété et remords ne sont ni vivables ni aidants, surtout si le fardeau écologique que nous portons n’est majoritairement pas le nôtre. Alors, pour un sauvetage plus équitable de cette planète-qui-n’est plus-très-bleue, continuons à mettre les impuni.e.s face à leurs actes afin qu’ils et elles réalisent que cette crise écologique est aussi la leur.