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Dry January : l’occasion de réfléchir à notre consommation d’alcool
Ça y est, les Fêtes sont terminées. Que tu aies dû subir le tonton raciste et homophobe ou que l’ambiance ait été joyeuse, une constante accompagne souvent les fêtes familiales : l’alcool. Un sondage datant de 2013 montrait que 9 Français.es sur 10 prévoyaient de boire de l’alcool le soir du Réveillon. Et si on pourrait penser que les Fêtes de fin d’année restent exceptionnelles dans la pratique, en réalité, 1 Français.e sur 10 consomme de l’alcool quotidiennement. Chez les 18-30 ans, 32,5 % des Français.es boivent au moins une fois par semaine, et chez les 65-75 ans, ils sont 26 % à boire tous les jours.
On peut se dire que c’est peu. Mais cette année, j’ai pour la première fois, commencé à ressentir un malaise avec l’alcool. À ne pas trouver ça drôle quand un pote tombe dans la rue parce qu’il est bourré. À être vraiment énervée qu’un autre ami pète l’ambiance de la soirée avec son alcool(isme) aux conséquences néfastes. Ou juste à m’interroger sur ma propre consommation d’alcool et à me demander : suis-je alcoolique ou ai-je un risque de le devenir ?
Alors, aussi pour la première fois cette année, j’ai commencé à sortir sans boire d’alcool. Ça peut paraître complètement anodin pour certain.e.s, mais pour moi, c’était expérimenter la socialisation d’une manière nouvelle. Pour tout vous dire, il m’est arrivé d’avoir peur de m’ennuyer, ou d’aimer moins mes ami.e.s, si l’alcool n’accompagnait pas nos discussions. Je bois de l’alcool à chaque fois que je vois des gens depuis l’âge de 16 ans, boire fait partie de ma façon de socialiser, et le remettre en question peut parfois faire perdre quelques repères.
À l’approche des Fêtes, j’ai donc sondé (de façon nullement scientifique) ma communauté Instagram sur le sujet. À la question « L’alcool est-il un problème dans ta famille pendant les Fêtes? », 81 % m’ont répondu « oui » (soit 1472 votes) et seulement 19 % ont répondu « non ». Bon, on s’entend que ces résultats sont biaisés, puisque les personnes qui ne trouvent pas que l’alcool est un problème ont probablement simplement passé ma story. Mais quand même, ce qui revenait ensuite dans les messages privés, c’est que les personnes qui boivent trop ont des propos déplacés, monopolisent l’attention, deviennent désagréables, voire carrément méchantes ou violentes.
Admettre qu’il y A un problème sociétal
Dans un pays comme la France, où l’alcool n’est pas perçu comme un problème de santé, mais seulement comme une partie de notre terroir, notamment avec les vins et la bière, il est difficile de faire entrer le débat dans la sphère publique. Bien sûr, des campagnes de prévention nationales existent, surtout en lien avec la sécurité routière. Pourtant, dans nos quotidiens, combien sommes-nous à vraiment réfléchir à notre rapport à l’alcool ? Boire un verre de vin, c’est boire un verre d’eau, dans pas mal de familles.
Dans les entreprises, les pots de fin d’année, les cadeaux d’employeurs, tournent eux aussi autour de l’alcool. Combien de salariés ont été conviés à des apéros alcoolisés, ou ont reçu une bouteille de vin dans le panier garni de fin d’année ? Ces détails participent à la normalisation de l’alcool : on n’imagine même pas que certaines personnes soient gênées par ces cadeaux ou que cela soit pénible ou traumatisant pour elles.
Alors certes, la sécurité sociale française établit que la consommation d’alcool ne doit pas dépasser 10 verres par semaine, ou 2 verres par jour. Toutefois, ces recommandations n’ont rien de « naturelles », elles sont bien culturelles : par exemple, la recommandation en Italie est de ne pas dépasser 25 verres par semaine, alors qu’au Kazakhstan, on conseille de ne pas dépasser un verre par jour en toutes circonstances.
Selon moi, ces simples conseils venant d’institutions et de scientifiques sont délétères : on aurait tendance à croire qu’en dessous de ces seuils, l’alcool n’a pas d’impact sur notre santé. Or, il ne s’agit pas là d’une autorisation à boire ! Dès le premier verre d’alcool, nos gestes et nos réflexes sont modifiés, et notre corps altéré par cette consommation.
La stigmatisation de celles et ceux qui ne boivent pas
En 2015, une de mes collègues de travail avait décidé de freiner drastiquement sa consommation d’alcool, en lien avec les problèmes d’alcoolisme de sa mère. Je me souviendrai toujours de sa colère lorsque, pour la énième fois, un autre collègue la bassinait avec « allez, un petit verre?! », « ben alors, t’as changé! », simplement parce qu’elle avait choisi un Perrier plutôt qu’une pinte.
L’été dernier, alors que je buvais un verre avec un ami pour la première fois, celui-ci m’a prévenue qu’il ne buvait pas d’alcool lorsque j’ai moi-même commandé un verre de rosé. Il m’a expliqué que pas mal de gens réagissaient mal lorsqu’ils prenaient un verre en tête à tête avec lui et qu’il ne commandait pas d’alcool.
Pourquoi est-ce qu’on s’échine à emmerder les gens qui ne boivent pas ? Simplement, je pense, parce qu’ils nous confrontent à notre relation problématique avec l’alcool. Nous sommes tellement à avoir grandi avec une vision banalisée de la consommation d’alcool que lorsque quelqu’un nous montre un autre chemin, une consommation marginalisée, cela nous met face au fait que non, boire de l’alcool en permanence n’a rien de naturel : il s’agit d’une habitude, d’une pratique, qui tend à être réfléchie.
On préfère dire des gens qui ne boivent pas qu’ils sont chiants plutôt que se confronter à la raison pour laquelle l’alcool est autant banalisé. Claire Touzard, dans son ouvrage Sans alcool, relate son alcoolisme et la réflexion qu’elle a menée sur le sujet : « J’ai bu pour m’autoflageller, me haïr encore plus. Pendant longtemps, je me suis dit que j’avais merdé, que je n’avais mérité que cela, la maltraitance et l’opprobre des autres. »
Doit-on arrêter de boire ?
Le Dry January (ou mois sans alcool) est une initiative lancée par Alcohol Change UK, en 2013. L’objectif de cet organisme est de prévenir l’alcoolisme via des campagnes de sensibilisation. Le Dry-January, qui fait chaque année de plus en plus d’adeptes, permet de s’octroyer un temps de réflexion face à la banalisation de l’alcool.
Si je ne pense pas à arrêter complètement l’alcool, il me semble toutefois que la pratique d’un événement comme le Dry-January peut avoir du bon. En effet, elle permet d’entamer la discussion en famille, dans les groupes d’ami.e.s, et peut-être de faire prendre du recul quant à notre consommation régulière.
À ce sujet, Claire Touzard explique encore : « Je n’allais pas seulement me frotter à mes démons, à mes frustrations : j’allais devoir affronter tous ceux des autres. Car en France, tout le monde boit. Et personne ne veut en parler. »
C’est là que se trouve toute la difficulté à mon sens : réfléchir à ce sujet dans une société où l’alcool est à la fois omniprésent et complètement tabou.